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26 août 2017 6 26 /08 /août /2017 07:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (26)

 

 

 

 

LETTRE OUVERTE AUX MONARQUES DE L'EUROPE : 1786

  

 

 

 

 

    C'est très certainement l'aspect physique du souverain qui a le plus impressionné Mirabeau lors de cette première entrevue ratée. C'est le souvenir de l'aspect de Frédéric II qui va lui mettre en tête une idée à laquelle il va s'accrocher : la mort du souverain, que l'on donne pour imminente, va constituer un extraordinaire événement dans l'Europe tout entière.

    Mirabeau sera, à Berlin, le témoin privilégié de cet événement pour lequel il prévoit des conséquences sans pareil. Mais, avant cela, il devra faire preuve d'une belle patience car le vieillard, que tout le monde dit mourant depuis bien des mois, se montre d'une grande résistance. Peu importe !.. S’il faut attendre, Mirabeau attendra. Après tout, la vie ici est plutôt agréable. D’autant qu’il a tout de même pris soin de se faire confirmer par Calonne dans sa fonction d'ambassadeur officieux et d'informateur privilégié.

    Calonne qui continue à penser qu'il vaut mieux avoir ce diable de Mirabeau avec lui que contre lui, confirme la mission secrète de Mirabeau après avoir obtenu l'accord de Vergennes. Il confirme également à Mirabeau, et c'est sans doute ce qui revêt la plus grande importance à ses yeux, que le Ministère assurera le remboursement de toutes les dépenses de train de vie.

    Il faut dire, tout de même, que si Calonne est aussi bien disposé vis à vis de Mirabeau c'est que Panchaud et Talleyrand lui ont fait passer quelques extraits d'un mémoire de Gabriel-Honoré en lui expliquant que l'auteur renoncerait éventuellement à la publication si le ministre se montrait généreux et compréhensif.. Calonne n'a pas hésité une minute; il connaît trop bien Mirabeau !...

 

    Depuis que Mirabeau est à Berlin, ses nombreux courriers, rapports ou notes arrivent jusqu'à Calonne par l'intermédiaire de l'abbé de Périgord, que Gabriel-Honoré désigne maintenant comme l'une des quatre personnes qu'il aime le plus au monde. Ensuite, Monsieur de Calonne les fait passer au roi qui apprécie beaucoup la lecture de toutes ces correspondances secrètes.

 

    Après quelques semaines d'attente, Mirabeau, qui n'est pas un modèle de patience, se décide enfin à forcer le destin. Il prétexte un retour précipité à Paris pour solliciter une nouvelle audience auprès de Frédéric II et lui adresse un courrier le 14 avril :

 

« Des circonstances imprévues changent ou suspendent mes projets, et la déplorable santé de mon père me rappelle en France. J’ose prendre la liberté de demander à Votre Majesté ses ordres, et n’osant me flatter d’obtenir la faveur d’aller les recevoir verbalement, je me contente d’être assuré que je me trouverais heureux d’être honoré de la plus l&gère commission de sa part, et que j’emporte de son pays des motifs éternels de reconnaissance, de dévouement et de respect avec lesquels je ne cesserai d’être… » (1)

 

    On l’aura compris, Mirabeau n’a nullement l’intention de quitter Berlin et cela fait bien longtemps qu’il ne se préoccupe pas de la santé de son père !.. Mais le coup réussit. Le 15 avril, il reçoit une réponse de Frédéric II :

 

« Vous me ferez plaisir, au cas que vous preniez la route par ici, de me faire savoir votre arrivée en cette ville.

« Agréez, en attendant, mes remerciements de tout ce que vous me dites d’obligeant, et soyez assuré… » (2)

 

Le 17 Avril 1786, Mirabeau pénètre pour la deuxième fois dans les ors du palais de Postdam et s'entretient, pendant plus d'une heure, avec le vieillard sur les juifs et sur la tolérance... Une audience qui n’a pas de portée politique importante mais qui conforte la place de Mirabeau à Berlin.

 

    Ce n'est que le 17 Août 1786 que s'éteint Frédéric II de Prusse. Aussitôt Mirabeau relate l'événement à Talleyrand dans une longue lettre :

 

«  L'événement est consommé. Frédéric-Guillaume règne et l'un des plus grands caractères qui aient jamais occupé le trône est brisé avec l'un des plus beaux moules que la nature ait jamais organisés (..)

« Tout est morne, rien n'est triste; tout est occupé, rien n'est affligé. Pas un visage qui n'annonce le délassement et l'espoir; pas un regret, pas un soupir, pas un éloge. Et c'est donc là qu'aboutissent tant de batailles gagnées, tant de gloires, un règne d'un demi-siècle rempli de tant de faits ! Tout le monde en désirait la fin, tout le monde s'en félicite.. On en était fatigué jusqu'à la haine... » (3)

 

    Ce qu'il a raté avec le souverain défunt, Mirabeau veut absolument le réussir avec son successeur. Le jour même de la mort de Frédéric II, il fait donc porter une lettre à Frédéric-Guillaume II de Prusse. Le texte est extrait d'un document d'environ quatre-vingts pages que Mirabeau fera imprimer quelques mois plus tard sous le titre : « Lettre remise à Frédéric-Guillaume II, roi régnant de Prusse, le jour même de son avènement au trône, par le Comte de Mirabeau ». Mirabeau travaille évidemment sur cette brochure depuis déjà plusieurs semaines et, comme nous l'écrit Claude Manceron (4) ".. Pour la première fois dans l'histoire, un particulier sans importance fait la leçon à un nouveau roi. Et sur quel ton !..." C'est dans un style de lettre ouverte à tous les rois de la terre que Mirabeau s'exprime. Il apostrophe le roi de Prusse et, au-delà du personnage, il s'adresse à tous les puissants de l'Europe.

    Le texte est bien encore un peu brouillon. L'auteur s'est, une nouvelle fois, laissé emporter par sa fougue qui le conduit à aborder beaucoup trop de sujets sans aller au fond des choses. Mais, tout de même, les recommandations faites au nouveau roi de Prusse sont, elles, suffisamment claires : ne faites pas la guerre comme votre prédécesseur, soyez libéral au lieu d'être dirigiste, mettez fin aux privilèges de l'aristocratie.....

 

«  Votre prédécesseur a gagné sans doute assez et peut-être trop de batailles. Il a pour plusieurs règnes, pour plusieurs siècles, à peu près tari la gloire militaire.. Frédéric a conquis l'admiration des humains, jamais Frédéric n'obtint leur amour; il peut vous appartenir tout entier (..)

«  Frédéric II a été un exemple (...) au-dessus des autres hommes. Il est aisé de voir qu'ayant tourné toutes les forces de son talent à former une grande puissance militaire avec des états désunis, morcelés, pour la plupart inféconds, et voulant pour cela devancer la marche lente de la nature, il a songé principalement à l'argent, parce que l'argent était l'unique moyen de hâter. De là lui est venu le culte de l'argent, le goût d'amasser (..) Toutes les ruses, toutes les extorsions fiscales nées dans d'autres royaumes se sont tour à tour naturalisées dans ses Etats...

« Il est des choses que vous pouvez exécuter à l'instant même, et qui, donnant de vous la plus haute opinion, vous feront recueillir les fruits de la confiance et vous faciliteront les grandes réformes (..) Au premier rang, je compte l'abolition de l'esclavage militaire, c'est à dire l'obligation imposée dans vos états à tout homme de servir depuis l'âge de dix-huit ans jusqu'à celui de soixante et plus (..)

«  On doit être heureux dans vos Etats, Sire. Donnez la liberté de s'expatrier à quiconque n'est pas retenu d'une manière légale par des obligations particulières..

«  Une des plus urgentes opérations qui appelle vos regards, et qu'un seul mot peut encore exécuter, c'est une loi pour rendre aux bourgeois la liberté d'acquérir les terres nobles.. Abolissez, Sire, ces prérogatives insensées qui remplissent de grandes places d'hommes médiocres, pour ne pas dire pis, et désintéressent le plus grand nombre de vos sujets sur un pays où ils ne trouvent qu'entraves et humiliations... Ce ne sont pas les rois que ces peuples appréhendent et repoussent, ce sont leurs ministres, leurs courtisans, leurs nobles, l'aristocratie (..)

«  Soyez le premier, Sire, à établir une justice vraiment gratuite.. Soyez aussi le premier souverain dans les états duquel tout homme qui veut travailler trouve du travail. Tout ce qui respire doit être nourri en travaillant.. Il y a trop de pauvres chez vous, surtout à Berlin (..)

 

«  J'ose espérer que ma franchise ne vous déplaira pas. Si elle vous touche, O Frédéric, méditez sur ces lignes libres et sincères, mais respectueuses, et dites, daignez dire :

« Voilà ce qu'on ne m'avouera pas, et peut-être le contraire de ce qu'on me dira tous les jours. Les plus courageux n'offrent aux rois que des vérités voilées; ici je vois la vérité toute nue.. Pourquoi m'offenserai-je ? Parce qu'on me traite en homme, parce qu'un étranger qui ne me demande rien, qui quittera bientôt ma cour pour ne me revoir jamais, me parle sans fard ? »  (5)

 

    Au-delà du "Prussien" ce sont, évidemment, tous les monarques de l'Europe, et plus particulièrement Louis XVI*, que Mirabeau apostrophe en cette fin d'été 1786. Son texte, avant d'être diffusé par un libraire, aura bien évidemment quelque retentissement à Paris. Beaucoup moins en tous cas que ce qu'en attendait son auteur. Quant à l'Europe elle n'a que faire, en ce moment, des états d'âme du comte de Mirabeau !...

 

    Ayant adressé ses conseils au souverain, Mirabeau continu de mener à Berlin le train de vie d'un prince. Le tout aux frais de Calonne dont les services commencent pourtant à s'inquiéter du montant des factures que leur adresse périodiquement l'émissaire spécial à Berlin. Les domestiques, les chevaux, les équipages de M. de Mirabeau coûtent vraiment très cher au trésor du royaume. L'intéressé, qui croit de plus en plus à l'intérêt fondamental de sa mission et qui vit enfin sans compter, comme il en a toujours rêvé, dicte maintenant ses conditions. Comme il l'écrit à son ami Talleyrand, il ne veut même pas en discuter :

 

«  Deux cents pistoles chaque mois, mon Cher Maître, et un avenir ou mon rappel, c'est mon dernier mot. Je ne suis pas fait pour être marchandé (..) En un mot, je vaux mieux que la plupart des ministres du roi par la naissance et, pour ce qui est de la capacité, jugez en vous-même. »  (6)

 

    On peut constater que Mirabeau n'a pas changé. Il a toujours une très haute opinion de lui-même !...

  

 

 

 

 

 

 

1 - Cité  par Henri WELSHINGER  "La Mission secrète de Mirabeau à Berlin"  Paris, Plon, 1900, page 16

 

2 - Idem

 

3 - Henri WELSHINGER  "La Mission secrète de Mirabeau à Berlin"  Paris, Plon, 1900, page 37

        Cité également par Claude MANCERON  "Les Hommes de la Liberté"  op. cit. Vol IV, page 292

 

4 - Claude MANCERON  "Les Hommes de la Liberté"  op. cit. Vol IV, page 302

 

5 - Idem pages 303 à 306

 

6 - Idem page 309

 

 

 

 

ILLUSTRATION : Frédéric Guillaume II de Prusse

 

 

 

 

 

A SUIVRE

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (27)

L'ESPOIR DANS LES NOTABLES : 1786 - 1787

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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