Aujourd'hui, il est difficile d'imaginer que dans le début des années 1950 la voiture de tourisme la plus élaborée et la plus rapide a été construite non pas en Italie, en Allemagne, en France ou en Angleterre, mais en Espagne. Cela devient un peu plus facile à imaginer lorsque l‘on apprend que cette «supercar» est du à l'ancien patron du style d’Alfa Romeo Wilfredo Ricart et qu’elle a été construite par ENASA dans les vestiges de l'usine Hispano Suiza. Et pourtant, il faut noter qu'aucun des multiples projets développés par Ricart pendant plusieurs années n’a été couronné de succès. Sans doute parce que la société ENASA est plutôt spécialisée dans les autobus et les camions. Mais au salon de l’Automobile de Paris en 1951 l’entreprise présente la Pégaso Z102 et cela va tout changer.
Avant d’entrer chez Alfa Roméo en 1936, Ricart a construit sous son propre nom, et piloté des voitures de courses en Espagne. Mais la guerre civile va l’obliger à quitter son pays avec sa famille pour se réfugier en Italie. Au sein de l’entreprise italienne il va très vite grimper les échelons pour se retrouver patron du style d’ « Alfa Corse » le nouveau département compétition d’Alfa Roméo dirigé par un certain Enzo Ferrari. Il est communément admis que les deux hommes ne s’entendent pas très bien, entraînant finalement le départ de Ferrari. Chez Alfa Romeo, Ricart mène plusieurs projets tant dans le domaine des voitures de tourisme que des voitures de courses mais, pour diverses raisons, aucun ne dépasse le stade du prototype. Le plus célèbre d'entre eux est la voiture de compétition 512 « voiturette », motorisée par un moteur suralimenté de 12 cylindres à plat monté en position centrale.
Lorsque la paix revient en Europe, Ricart retourne dans son Espagne natale. C’est à cette période qu’il entre dans l’entreprise nationale ENASA : « Empressa Nationale de Autocamiones SA ». L’activité de l’entreprise est en plein essor et, vers la fin des années 1940, Ricart propose aux dirigeants de développer une voiture performante 100 % espagnole. Le gouvernement nationaliste se montre très intéressé par le projet qui pourrait donner à l’Espagne un statut de pays constructeur automobile en Europe. Ricart reçoit le feu vert et démarre aussitôt la conception de la voiture qu’il a en tête depuis fort longtemps. Peut être en souvenir du cheval cabré d’Enzo Ferrari, un homme qui l’a sans doute impressionné, il choisit pour nom de la future marque Pégaso. Un nom dérivé de la créature mythique grecque Pegasus : un cheval volant…
La spécialité de Ricart était les moteurs et il n'a pas rien perdu de ses talents pendant toutes ces années. Il dessine un V8 à 90° équipé de deux arbres à cames pour chaque rangée de cylindres. Dans la conception de ce moteur on retrouve bien évidemment quelques principes typiques d’Alfa Romeo tels les chambres de combustion hémisphériques. La cylindrée initiale est relativement modeste 2,5 litres mais Ricart a pensé aux extensions possibles et la cylindrée évolue vers 2,8 et même 3,2 litres. L’alimentation se fait par deux carburateurs Weber (les rares pièces de la voiture qui ne sont pas d’origine espagnole). Une version suralimentée a également été mise au point. Le plus « petit » des moteurs V8 (2 472 cc) développe une puissance maxi de 165 ch tandis que la version 3.2 litres annonce une puissance de 360 ch.
Pour le châssis de la Pégaso Z102 Ricart va mettre en œuvre son expérience de la compétition. Le train avant est à double triangles avec barres de torsion longitudinales. L’essieu arrière DeDion est à barres de torsion transversales. Ces trains sont montés sur une plate-forme en acier avec un empattement inhabituellement court de 2 340 mm.
Une mécanique très sophistiquée pour cette première voiture espagnole que malheureusement les carrossiers de l’entreprise ENASA vont « habiller » dans un style pour le moins maladroit. Les visiteurs du Salon de l’Automobile de Paris en 1951 ne vont pas tomber sous le charme de cette nouvelle voiture venue de Barcelone. Heureusement Pégaso va très rapidement rattraper le « coup » en missionnant le carrossier milanais Touring pour définir une carrosserie de coupé tandis que le parisien Jacques Saoutchik prenait en charge un coupé et un cabriolet.
Bien sur, compte tenu des performances de la Pégaso Z102, Ricart va aussitôt lancer l’étude d’une version compétition. Avec l’aide de Touring et de sa technique « Superleggera » est lancée la construction d’un roadster dont le poids total en ordre de marche sera inférieur à 1 000 kg. Deux voitures sont réalisées à temps pour être engagées au Grand Prix de Monaco en 1952 où elles ne parviendront pas à rejoindre l’arrivée. Les voitures préparées pour les « 24 Heures du Mans » 1952 ne seront pas non plus prêtes à temps et la Pégaso devra donc se contenter de quelques victoires modestes dans des courses de cotes locales.
La saison 1953 ne sera pas plus glorieuse. Aux essais des « 24 Heures du Mans » le pilote de l’équipe Pégaso Jover se tue et l’équipe doit se retirer de la compétition. Le seul succès international de l’équipe sera remporté au cours de la « Carrera PanAmericana » fin 1953.
En parallèle à cet effort de la marque espagnole en compétition la production des voitures de tourisme est très lente. Les ouvriers de ENASA ne sont pas assez qualifiés pour assembler des voitures de ce niveau technique. De plus toutes les pièces doivent être réalisées en interne car il n’y a pas en Espagne de fournisseurs compétents pour fabriquer. Malgré tous ces aléas, Pégaso va parvenir à écrire une page de l’histoire de l’automobile : en 1953 un roadster avec un moteur suralimenté est chronométré à 152 mph. Un record pour une voiture de tourisme. Record qui ne va d’ailleurs pas tenir longtemps puisque, quelques semaines plus tard il est pulvérisé par Jaguar avec une XK 140 allégée.
On pense que seulement 87 exemplaires de la Pégaso Z102 avaient été construits lors du lancement, en 1956, du nouveau modèle Z103 équipé d’un nouveau moteur V8 beaucoup moins complexe. Ce modèle ne fera d’ailleurs pas non plus la fortune de Pégaso qui devra cesser la production de voitures de tourisme en 1958 pour revenir aux camions et autocars beaucoup plus rentables.
Le modèle présenté ici (châssis 0102 150 0121) est la deuxième Pégaso Z102 construite et baptisée coupé « Cupula ». La carrosserie pour le moins originale est due à l’équipe de style interne à ENASA. C’est le seul exemplaire de ce type qui a survécu.
Le surnom de « Cupula » a pour origine la lunette arrière très large et bulbeuse. Le dessin de la carrosserie est le fruit de la collaboration avec des étudiants espagnols à qui on avait demandé d’imaginer ce que pourrait être une voiture de tourisme dans trente ans !! La voiture a été exposée au salon de l’Automobile de New-York en 1953 avant d’être vendue au Président Trijillo de la République Dominicaine. En 1954 elle est engagée dans la course « Carrera Panamericana ». Le président dominicain la conserve jusqu’à sa mort en 1962 et alors elle disparait jusqu’au milieu des années 1980 quand elle rejoint la collection de Peter Kaus. En 2006 elle est intégrée dans une autre collection, la collection Louwman et, entre 2009 et 2015, elle subit une restauration complète dans sa configuration d’origine. Le travail est terminé à temps pour la présentation au Concorso d’Eleganza Villa d’Este en 2015.
Je recommande à tous les passionnés de l'automobile et de son histoire les remarquables sites (en anglais) cités ci-dessous. Ils présentent, outre des commentaires et données techniques très complètes, de magnifiques photos sur la production automobile mondiale
ultimatecarpage.com
supercar.net
swisscarsighting.com
mais il y a aussi un site en Hongrois sur lequel il faut se contenter de regarder les photos :
autogaleria.hu
Vous pouvez retrouver d'autres véhicules, tout aussi exceptionnels, dans la rubrique "VOITURES DE LEGENDE" de ce blog ou en vous inscrivant à la Newsletter (voir ci-contre)