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Gabriel Honoré Mirabeau
DANTON S'ENNUIE – MORT DE MIRABEAU :
JANVIER - JUIN 1791
Danton, on l'a vu, a bien fait quelques apparitions au Club des Jacobins à partir du mois de Mai 1790, mais ce n'est véritablement que dans le courant du mois de Septembre qu'il a commencé à assister assez régulièrement aux séances. Il ne va déployer une activité intense au Club qu'à partir des premières semaines de l'année 1791.
Parallèlement, il poursuit son action au sein des instances parisiennes où il occupe le poste d'Administrateur du Département de Paris, obtenu grâce à l'appui de Mirabeau* (1).
Les modérés ont pourtant tout tenté pour essayer d'écarter celui qui est devenu, depuis quelques mois, leur cible privilégiée. Son image d'agitateur largement incontrôlable acquise durant la période de sa présidence du District des Cordeliers lui colle toujours à la peau !
Un Directoire de huit membres, élu par le Conseil du Département, est formé dans lequel on trouve Mirabeau*, Alexandre de Lameth (2), Talleyrand (3) et Sieyès entre autres. Danton sera tenu à l'écart par la majorité des Administrateurs du Département et ne jouera, dans les mois qui vont suivre, qu'un rôle mineur, comparable à celui qu'il a joué au sein de la Commune provisoire.
D'ailleurs, ce travail de réflexion et de bureaucratie ne l'intéresse pas vraiment. Il préfère toujours l'action et c'est probablement pour cette raison que, dès Janvier, il va se sentir plus à l'aise dans l'atmosphère, souvent survoltée, du Club des Jacobins.
Ses détracteurs sont de plus en plus nombreux car les rumeurs à son sujet se confirment. La corruption de Danton semble maintenant ne plus faire de doute. Brissot affirmera avoir vu un reçu pour une somme de 300 000 Livres versée par Montmorin. Le ministre Bertrand de Molleville confirmera ce fait dans ses mémoires et Mirabeau*, dans une lettre à son ami La Marck, fera état de versement de fonds, mais pour un montant, il est vrai, dix fois inférieur !
Danton touche de l'argent; beaucoup d'argent et d'ailleurs comment ne pas le croire puisqu'il ne plaide quasiment plus et qu'il continue à mener grand train et même à s'endetter à nouveau : le 28 Janvier, il a pu acheter la ferme de Nuisement, à proximité d'Arcis, pour la coquette somme de 48 000 Livres dont 5784 Livres payées au comptant et douze annuités avec intérêt de 5 % (4). Quelque temps plus tard, le 13 Avril, il acquiert une jolie maison située sur la Place du Grand Pont à Arcis-sur-Aube. Coût : 25 300 Livres.
Payé par la Cour, payé par le Duc d'Orléans, voire même par les deux, Danton est-il vraiment acheté ? La réponse est beaucoup plus difficile à apporter car il faut bien reconnaître que le Champenois continue à n'en faire qu'à sa tête : il ne ménage pas la Cour; il n'a pas plus de scrupules à l'égard de Mirabeau* puisqu’il attaque même sa politique dans « Les Révolutions de France et de Brabant », le journal de son ami Desmoulins*. Ces faits constitueront d'ailleurs un argument de choix pour ceux qui voudront passer sous silence, et même nier, la vénalité de Danton, tel l'historien Louis Barthou. Pourquoi Danton aurait-il aussi mal traité ceux qui lui procuraient des subsides ? Une seule réponse à cette question : parce que c'est Danton ! Il n’y a pas d’autre explication !..
On le voit bien, il n'agit que par impulsion. Il ne sait faire que des « coups ». Enflammé un jour pour une cause, il semble, quelque temps plus tard, s'en désintéresser totalement !
Dans ses nombreux discours prononcés aux Jacobins durant ce début d'année 1791, Danton s'en prend particulièrement à Sieyès qu'il range parmi les « prétendus grands hommes ». Il est, en effet, totalement opposé aux idées de l'abbé sur la Constitution, notamment sur le régime des deux chambres, que celui-ci défend à l'Assemblée et que Danton combat vigoureusement. Mais Sieyès ne fréquente guère les Jacobins, il n'y aura donc jamais, entre les deux hommes de véritable polémique mais plutôt une antipathie réciproque.
Lors de l'élection de l'Evêque de Paris, en Mars 1791, le nom de l'abbé Sieyès est mis en avant par Mirabeau* mais aussitôt réfuté par Danton qui s'indigne d'entendre formuler une telle proposition qu’il trouve particulièrement absurde :
« Vous voulez choisir Sieyès ? Est-ce comme dévot ? Il ne croit pas en Dieu. Est-ce comme patriote ? Il a défendu la dîme !.. » (5)
L'Abbé, qui redoute probablement un conflit ouvert, fera aussitôt savoir qu'il n'est pas candidat !..
Arrestation de Louis XVI et de sa famille à Varennes
Hormis quelques coups de gueule de temps à autre, Danton ne s'illustre pas beaucoup pendant cette période. En fait, tout porte à croire qu’il s'ennuie ! Administrateur du Département de Paris est une fonction qui lui sied bien mal. Il est tout sauf un administrateur. Les dossiers, les salons de l'Hôtel de Ville, les relations avec ses collègues qui, pour la plupart d'entre eux, sont des notables de la capitale, tout cela représente pour Danton des contraintes difficiles à surmonter. Certes, il a fait des efforts pour se débarrasser de son langage populiste, mais cela n'a pas suffi pour qu'on renonce à le tenir à l’écart et il en a ressenti un peu d’amertume.
Mal à l'aise, Danton siège peu. On le voit rarement; sa paresse naturelle a vite repris le dessus. Ce rôle qu'il a pourtant si ardemment convoité ne lui est décidément pas destiné. Et pourtant, un événement politique majeur va le sortir de sa torpeur : la mort de Mirabeau* qui survient brusquement le 2 Avril. Evénement inattendu qui plonge tout le monde politique, les monarchiens comme les patriotes, dans une profonde tristesse. Tous s'accordent à reconnaître les mérites du « grand homme ». Camille Desmoulins* qui, quelques semaines auparavant, l'attaquait dans son journal, salue le défunt avec déférence; Barnave, adversaire de longue date, prononce un éloge dans lequel transparaît une émotion profonde aux accents de sincérité.
Le peuple de Paris prend le deuil et accompagne la dépouille mortelle de Mirabeau* à l'Eglise Sainte-Geneviève que l'on vient de transformer en Panthéon.
Mirabeau* était devenu, au fil des mois, le principal protecteur de la monarchie. Le décès subit du grand homme est donc pour le roi et Marie-Antoinette* une perte considérable qui remet en cause une partie de leurs plans. Il s'agit donc maintenant pour la Cour de se rapprocher de la gauche de l'Assemblée et de ses représentants que sont Duport (6) et les frères Lameth. Pour Danton, le choix est clair. Il se doit d'emboîter le pas et de resserrer, lui aussi, ses liens avec ces hommes là.
Mais la mort de Mirabeau* aura bien d'autres conséquences. Dans l'esprit de Louis XVI*, mais surtout dans celui de Marie-Antoinette*, va revenir une idée que le député d'Aix était presque parvenu à leur enlever : fuir le royaume. Marie-Antoinette* a maintenant convaincu le Roi qu'il n'a plus d'autre choix et c'est le 18 Avril que doit avoir lieu, selon elle, la répétition générale. Louis XVI* entend, ce jour là, se rendre, avec sa famille, en son château de Saint-Cloud; officiellement pour y passer les fêtes de Pâques; officieusement pour pouvoir communier de la main d'un prêtre non « jureur ». Le Roi, en effet, ne communie plus aux Tuileries depuis qu'on lui impose la messe célébrée par un ecclésiastique ayant prêté serment à la Constitution Civile du Clergé. (7)
En prévision du départ de la famille royale, La Fayette* a fait poster aux Tuileries une troupe de plusieurs bataillons de la Garde Nationale afin d'assurer la libre circulation des voitures. La précaution est nécessaire car le bruit court dans Paris, depuis quelques jours, que Louis XVI* s'apprête à rejoindre des contre-révolutionnaires stationnés hors de la capitale.
Ce sont encore les Cordeliers qui, les premiers, vont donner le signal. Ils appellent la population à se rendre au Château pour s'opposer au départ de la famille royale. Le Roi tente bien de forcer le passage : en vain. Il doit donner ordre de faire reculer les chevaux sous les huées de la foule et attendre, patiemment, que la voie soit libre. L'attente va durer près de deux heures ! Deux heures pendant lesquelles la Garde nationale reste impassible alors que la foule continue à s'agiter et à vociférer contre le monarque et sa famille.
Louis XVI* et Marie-Antoinette* sont contraints de céder et de regagner leurs appartements. Le Roi vient enfin de réaliser ce que son épouse lui explique depuis des mois : il est bel et bien prisonnier du peuple de Paris !
Arrestation de Louis XVI à Varennes
De cet épisode, les deux journalistes Fréron et Desmoulins* vont faire un récit dans lequel Danton est célébré comme le héros du jour. C'est lui, Danton, qui a mis à jour le complot; c'est grâce à lui que le Roi a renoncé à déserter son royaume; c'est lui encore qui a évité le bain de sang en obtenant du Directoire du Département de Paris que la loi martiale ne soit pas proclamée comme le réclamaient Bailly et La Fayette*. Quelques jours plus tard, on pourra lire sur tous les murs de Paris un « Avis aux Citoyens », placardé par les Orléanistes, qui proclame :
« Le Roi est un traître; l'Assemblée nationale toute corrompue; La Fayette* un contre-révolutionnaire; le département vendu; la municipalité despote; la garde nationale de plats pieds. Nommez d'Orléans régent, Lameth Général, d'Anton Maire, et nous serons heureux. » (8)
Louis XVI* est maintenant résolu, après des mois d'hésitation, à quitter Paris pour Montmédy, où il espère retrouver, au moins, les pouvoirs que lui accorde la Constitution. L'expédition, plusieurs fois différée, est finalement exécutée dans la nuit du 20 au 21 Juin (9). Dès les premières heures de la matinée du 21, la nouvelle du départ du Roi se répand dans Paris. La foule se masse dans les rues, des cortèges se forment et se dirigent vers les Tuileries, le tocsin sonne....
Les Cordeliers décident de rédiger une pétition dans laquelle, pour la première fois, est prônée ouvertement l'idée de République. La pétition est présentée à l'Assemblée le 22 Juin et affichée sur les murs de la capitale le même jour. Il ne semble pas que Danton ait participé à la rédaction de ce texte incendiaire :
« Elle n'existe plus cette prétendue convention d'un peuple avec son roi; Louis a abdiqué la royauté; désormais Louis n'est plus rien pour nous, à moins qu'il ne devienne notre ennemi. Nous voilà donc au même état où nous étions lors de la prise de la Bastille : libres et sans roi. Reste à voir s'il est avantageux d'en nommer un autre... La royauté, héréditaire surtout, est incompatible avec la liberté (..) »
« Nous vous conjurons, au nom de la patrie, ou de déclarer sur-le-champ que la France n'est plus une monarchie, qu'elle est une République; ou au moins d'attendre que tous les départements, toutes les assemblées primaires aient émis leur vœu sur cette question importante, avant de penser à replonger une seconde fois le plus bel empire du monde dans les chaînes et les entraves du monarchisme. » (10)
Les Cordeliers montrent ainsi, une nouvelle fois, qu'ils sont à la pointe de la Révolution. Mais ni le peuple, ni l'Assemblée, ni la grande majorité des Clubs, ne sont prêts à accepter cette idée de République qui, pour l'instant, n'a aucun contenu réel. La monarchie fait encore partie intégrante des règles constitutionnelles.
(1) Dans son rapport d'accusation contre Danton, Saint-Just* dira : "C'est par la protection de Mirabeau* que Danton fut nommé Administrateur du Département de Paris, dans le temps où l'Assemblée électorale était décidément royaliste. "
Cité par Albert MATHIEZ "Etude sur Robespierre" page 124 note 3
(2) LAMETH (Alexandre Théodore Victor de) : Né à Pris le 28 Octobre 1760. Il participe à la guerre d'Indépendance américaine; il est colonel de cavalerie lorsqu'il est élu aux Etats Généraux par la noblesse d'Artois. Il se rallie rapidement au Tiers Etat et devient un ardent opposant à la monarchie.
Après la fuite de Varennes, il tentera, tardivement, de se rapprocher du Roi, mais il sera contraint de se livrer aux Autrichiens avec La Fayette* après les événements du 10 Août 1792.
Bonaparte le fera baron d'Empire et il mourra à Paris le 18 Mars 1829.
(3) TALLEYRAND (Charles Maurice de Talleyrand-Périgord) : Né dans une très grande famille le 2 Février 1754 il choisit, sans doute à cause de son infirmité (il avait un pied bot), l'état ecclésiastique. Agent Général du Clergé en 1780, il devient évêque d'Autun en 1788 et est élu aux Etats Généraux. Il approuve le principe de la Constitution Civile du Clergé et c'est même lui qui célèbre la messe lors de la Fête de la Fédération du 14 Juillet 1790.
Alors qu'il s'est démis de son évêché, il accepte une mission à Londres en Janvier 1792 et est contraint de rentrer après la journée du 10 Août. Il se rapproche alors de Danton qui lui confie une nouvelle mission en Angleterre. Le 5 Décembre 1792, est lue à la Convention une lettre dans laquelle Talleyrand offre ses services à Louis XVI*. Il est aussitôt décrété d'accusation et devra émigrer en Amérique jusqu'en 1796.
(4) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 110
(5) cité par Jean-Denis BREDIN "Siéyès"
de Fallois, Paris, 1988, page 196
(6) DUPORT (Adrien) : Né à Paris le 24 Février 1759. Fils de Parlementaire et brillant avocat, il est élu aux Etats Généraux et constitue avec Barnave et Alexandre de Lameth le "triumvirat" qui ambitionne de diriger la nouvelle Révolution.
Il prône d'abord la diminution des pouvoirs du Roi, fonde le Club des Feuillants, puis change de cap en essayant de rendre au
Roi une partie des pouvoirs dont il a contribué à le dépouiller.
Hostile à la guerre en 1792, il suggérera à la Cour un coup d'état militaire dirigé par La Fayette* mais il ne sera pas entendu. Il devra fuir Paris après l'insurrection du 10 Août 1792 et ne reviendra en France qu'après la chute de Robespierre*. Il devra de nouveau se réfugier en Suisse où il mourra le 6 Juillet 1798.
(7) Constitution civile du clergé : Discutée du 29 Mai au 12 Juillet 1790, la Constitution Civile du Clergé est présentée par l'Abbé Grégoire, Camus et Treillard. Elle ramène le nombre des évêques à 83, c'est à dire un par département. Archevêques, évêques, curés, doivent être élus par les citoyens. Tous doivent prêter serment de fidélité à la nation, au roi et à la Constitution avant de prendre leurs fonctions.
L'obligation de ce serment va, très rapidement, diviser le Clergé. Deux camps se forment : les prêtres constitutionnels ou jureurs et les prêtres réfractaires ou insermentés.
(8) Annales révolutionnaires, 1914, page 725
(9) Voir Louis XVI* et Marie-Antoinette*
(10) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 122-123
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (12/52)
DANTON, LA FAYETTE ET LE ROI : JUIN - SEPTEMBRE 1791