.
Le peuple envahit le château des Tuileries - 20 juin 1792
LE PEUPLE AUX TUILERIES : JUIN 1792
Alors que le Roi, le 15 Juin, vient d'opposer son veto à deux des trois décrets votés par les députés, le Président de l'Assemblée reçoit une lettre du général La Fayette* dont les députés entendent la lecture le 18. Celui-ci dénonce violemment « les factieux de l'intérieur » et demande la dissolution des Sociétés populaires dont il blâme « la fureur délirante ».
Le soir même aux Jacobins, les orateurs se succèdent à la tribune pour fustiger le général. La lettre de La Fayette* a eu au moins un mérite, celui de ressouder tous les membres du Club. C'est à celui qui fera preuve de plus d'éloquence et de plus de sévérité pour dénoncer le général orgueilleux, ambitieux et perfide. Après Robespierre*, Camille Desmoulins*, Collot-d'Herbois, Danton règle, lui aussi, ses vieux comptes :
« C'est sans doute un beau jour que celui où La Fayette* est venu se dévoiler à la France entière ! »
« La Fayette* réduit à un seul visage ne peut plus être aussi dangereux ! (..) Il n'est pas douteux que La Fayette* ne soit le chef de cette noblesse coalisée avec tous les tyrans de l'Europe !... » (1)
Le veto du Roi, la provocation de La Fayette*, donnent le signal du branle bas de combat dans tous les faubourgs de la capitale. Des pétitions circulent contre le veto et la révocation des ministres. Les Cordeliers et le Faubourg Saint-Antoine commencent à organiser une manifestation avec, à leur tête, deux meneurs décidés : Legendre (2) et Santerre (3). A la Commune de Paris, le Maire Pétion et le Procureur Syndic Manuel (4) encouragent, discrètement, les manifestants.
Le 20 Juin, date historique du double anniversaire du « Serment du Jeu de Paume » et de la fuite du Roi à Varennes, 8 à 10 000 pétitionnaires en armes, envahissent, en un long cortège, l'Assemblée nationale avant de se diriger vers le Château des Tuileries. Commence alors un interminable défilé dans le Palais investi par la foule. Durant près de six heures, le Roi et ses Ministres vont être contraints à regarder passer une file ininterrompue constituée par la populace des Faubourgs et à subir les quolibets des plus excités. Louis XVI*, très calme, devra se plier aux exigences des émeutiers : coiffer le bonnet rouge et lever son verre à la santé de la nation. Il s'exécutera sans mot dire; il n'y aura pas de violences...(5)
Malgré les sommations de Santerre, malgré la pression du peuple de Paris, Louis XVI* tient bon. Il refuse de revenir sur ses décisions.
Le peuple oblige le Roi à boire à la santé de la Nation - 20 juin 1792
Cette journée du 20 Juin, d'initiative brissotine, se soldera finalement par un échec. Les organisateurs avaient voulu faire fléchir le Roi en s'appuyant sur le peuple, mais le peuple dans son ensemble n'a pas suivi et le Roi a tenu bon. La tentative était sans aucun doute prématurée, comme d'ailleurs Robespierre* l'avait prédit.
Danton, quant à lui, n'a pas participé à la manifestation. Volontairement il s'est tenu à l'écart pendant toute cette journée semblant, de ce fait, approuver l'opinion de Robespierre*.
En fait, le bilan de cette journée d’émeute du 20 Juin ne va pas être du tout conforme à ce que les organisateurs avaient espéré. Ils voulaient affaiblir le Roi, ils n'ont réussi qu'à renforcer son prestige. D’autant plus que les provinces réagissent très différemment de la capitale. De tous les départements arrivent, dès le lendemain, des centaines de pétitions condamnant l'outrage fait au Monarque. La province affirme sa différence avec Paris. Depuis plus d'un an, jamais la royauté n'a compté autant de partisans.
C'est probablement cet élan de sympathie envers Louis XVI* qui décide La Fayette* à abandonner son armée pour revenir à Paris le 28 Juin. Il se présente fièrement à la barre de l'Assemblée et somme la Législative de décréter la fermeture des Clubs et de faire poursuivre les responsables de l'émeute. La Fayette* est très chaleureusement applaudi et une motion de blâme, déposée contre lui par Guadet, est rejetée par 339 voix contre 234.
Fort de son succès à la Législative, La Fayette* tente alors de rassembler ses partisans et, en particulier, la garde nationale parisienne dont il a été le Commandant : c'est l'échec ! A peine quelques centaines d'hommes répondent à son appel...
Il essaie alors de persuader le Roi, et surtout la Reine, de se mettre sous sa protection. Mais Marie-Antoinette* usera de tout son pouvoir sur son époux pour qu'il refuse la proposition qui lui est faite avec la plus grande fermeté : depuis le triste épisode de Varennes elle n'a plus aucune confiance dans ce général.
Dès le lendemain, les sans-culottes brûlent La Fayette* en effigie dans les rues de Paris. La carrière du Général semble bien, maintenant, définitivement finie !...
(1) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Pages 168-169
(2) LEGENDRE (Louis) : Né à Versailles le 22 Mai 1752. Boucher à Paris avant la Révolution, il est sans aucune instruction mais possède des talents d'orateur exceptionnels. Le 14 Juillet 1789, il est l'un des meneurs de la Prise de la Bastille. Membre du District du Théâtre Français, Danton en fait son "lieutenant". Ils forment ensemble le Club des Cordeliers dont Legendre sera l'un des principaux orateurs à partir de la fin 1791. Il participe, le 10 Août 1792, à la prise des Tuileries et est élu à la Convention dans la députation de Paris.
D'abord enclin à la conciliation entre Montagnards et Girondins, Legendre prend vite part au combat contre ces derniers en particulier lors de la journée du 2 Juin 1793. Exclu des Cordeliers pour avoir critiqué les projets terroristes d'Hébert, il sera accusé par ce dernier.
Le jour de l'arrestation de Danton, il prendra sa défense à l'Assemblée mais, attaqué par Robespierre*, il se rétractera lâchement et restera muet jusqu'à la chute de l'Incorruptible.
Il sera élu au Conseil des Anciens mais il mourra peu après le 13 Décembre 1797.
(3) SANTERRE (Antoine Joseph) : Né en 1752. Riche brasseur du Faubourg Saint-Antoine, il est très populaire dans le Faubourg où il se livre à de nombreux actes de bienfaisance. Sa renommée lui vaut d'être nommé Commandant Général de la Garde nationale le 10 Août 1792. Le 21 Janvier 1793, c'est à ce titre qu'il est chargé d'accompagner Louis XVI* à l'échafaud.
Grisé par l'uniforme, il demande alors un commandement pour aller combattre en Vendée mais s'y montre pitoyable. Le Comité de Salut Public devra le rappeler et le faire incarcérer. Il restera en prison jusqu'au 9 Thermidor et sortira évidemment ruiné. Il mourra en 1809.
(4) MANUEL (Louis Pierre) : Né en 1751. Se fait connaître après le 14 Juillet 1789 par un recueil d'anecdotes sans grande valeur littéraire : "La Bastille dévoilée". Il se fait élire membre de la Municipalité puis, le 2 Décembre 1791, devient procureur de la Commune. Sa conduite lors de la prise des Tuileries le 2O Juin 1792 lui vaut d'être suspendu de ses fonctions en même temps que Pétion. Soutenu par Robespierre*, il retrouve son poste le 23 Juillet et participe activement à la journée du 10 Août.
Elu par Paris à la Convention, il adoptera une attitude surprenante : devant les Jacobins, il condamne le 5 Novembre 1792, les massacres de Septembre; se déclare contre la peine de mort lors du procès du Roi et démissionne après le vote.
Ces prises de positions lui valent une haine farouche de la part de ses anciens amis parisiens. Traduit devant le Tribunal révolutionnaire pour trahison, il sera condamné à mort et guillotiné le 14 Novembre 1793.
(5) Voir Louis XVI*
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (18/52)
L'INSURRECTION : AOUT 1792