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Dominique Joseph Garat remplace Danton au Ministère de la Justice le 9 octobre 1792
DES INITIATIVES BIEN MALENCONTREUSES :
SEPTEMBRE - OCTOBRE 1792
On se souvient que Danton, dès l'ouverture officielle de la Convention nationale, le 21 Septembre, avait présenté sa démission du ministère de la Justice. Il réitère sa demande le 24 Septembre, puis le 26, mais reste en poste en attendant la nomination de son successeur pour lequel aucune décision n’est encore prise. Les Girondins vont profiter de cette situation, qu'ils jugent ambiguë, pour relancer leurs attaques contre le tribun. Par la voix de Buzot, l'ami de cœur de Madame Roland, ils tentent plusieurs assauts et demandent que Roland soit maintenu au ministère de l'Intérieur. Les amis de Danton répliquent alors en réclamant que l'exception faite pour Roland s'applique également au ministre de la Justice. Mais Danton refuse cette tractation. Il maintient, le 29 Septembre, sa demande de démission et lance une contre-attaque :
« Personne ne rend plus justice que moi à Roland ! Mais je dirai : si vous lui faites une invitation (à rester en poste) faites la donc aussi à Mme Roland, car tout le monde sait que Roland n'était pas seul dans son département ! (..) »
« Je rappellerai, moi, qu'il fut un moment où la confiance fut tellement abattue qu'il n'y avait plus de ministres et que Roland eut l'idée de sortir de Paris ! Il n'est pas possible que vous invitiez un tel citoyen à rester au ministère ! » (1)
La déclaration de Danton provoque un énorme tumulte dans l'Assemblée. Pour les députés Girondins, Danton est allé trop loin en attaquant madame Roland. Ils ne lui pardonneront pas cette perfidie et les faibles espoirs de conciliation, qui semblaient pourtant avoir l'aval de Brissot et de Vergniaud, semblent dorénavant anéantis.
D'autant plus que Danton, impulsif, sanguin, va encore faciliter la tâche de ses adversaires par ses prises de positions malencontreuses et parfois même par ses gaffes. Il y eut d'abord ce débat de fond sur les « buts de la guerre » au cours duquel s'affrontent Camille Desmoulins* et Louvet (2). Camille prône une guerre conquérante dans laquelle la France ne peut que s'immiscer dans les affaires intérieures des peuples pour les affranchir de la monarchie qui les oppriment. Le Girondin Louvet demande, lui, à la Convention de déclarer solennellement la guerre aux rois en garantissant l'indépendance et la souveraineté des pays concernés. Deux thèses, a priori inconciliables, mais sur lesquelles les représentants du peuple ont pourtant le devoir de trancher, pendant qu'il en est encore temps !
Danton, assez stupidement, intervient dans le débat, avec la fougue qui le caractérise :
« En même temps que nous devons donner aux peuples voisins la liberté, je déclare que nous avons le droit de leur dire : vous n'aurez plus de rois, car, tant que vous serez entourés de tyrans, leur coalition pourra mettre notre propre liberté en péril (..) En nous députant ici, la nation française a créé un grand comité d'insurrection générale des peuples contre les rois de l'univers.. » (3)
Ainsi Danton déclare la Convention « comité d'insurrection générale ». Si la proposition enflamme les tribunes, comme chaque fois que Danton prend la parole, elle ne recueille pas l'enthousiasme des députés qui manifestent bruyamment leur désapprobation !
Le 4 Octobre suivant, c'est une énorme ovation qui salue, à l'Assemblée, l'annonce de la prise de Spire par Custine (4) sur les troupes autrichiennes. Le bouillant Danton se lève et demande que la Convention déclare que la Patrie n'est plus en danger. Que se passe-t-il à cet instant dans la tête du tribun ? Pourquoi émettre une proposition aussi irraisonnée alors que Lille et Thionville sont encore assiégées; que Longwy et Verdun sont occupées par les Prussiens ?
L'intervention de Danton est suivie d'un grand brouhaha et, montant à la tribune, il tente, en vain, de justifier son opinion en disant que la chute de la royauté avait aboli le danger que celle-ci créait ! Intervention maladroite, totalement injustifiée et quasiment inexplicable de la part d'un homme qui est très au fait des questions militaires pour les avoir traitées directement avec, en général, beaucoup de mesure et de discernement.
Ce malencontreux discours, qui ne rehausse pas le prestige de Danton, bien au contraire, est le dernier qu'il prononce en tant que membre du Conseil Exécutif. Le 6 Octobre, la Convention remplace Danton au ministère de la Justice par François de Neufchâteau qui se récuse aussitôt. Le 9, elle choisit Garat (5).
Danton est libéré le 11 de toutes ses activités au Conseil. Il redevient, comme il l'a souhaité, le simple représentant du peuple, libre de ses mouvements, libre de tout !....
Danton qui aime à « vivre », et à bien vivre en profite, dit-on, pour mener la grande vie : restaurants réputés, filles de mauvaise vie et autres plaisirs dont il n'a jamais réussi à se passer mais pour lesquels il n'avait plus guère de temps !
Il entre cependant dans le tout nouveau Comité de Constitution, composé de neuf membres (6), et chargé d'établir le futur texte constitutionnel.
(1) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 226
(2) LOUVET (Jean Baptiste) : Né à Paris le 2 Juin 1760, il conquiert une certaine notoriété grâce à la publication de romans licencieux. Acquis aux idées de la Révolution, il rejoint le Club des Jacobins en 1789. Bon orateur, il milite à la Section des Lombards et est élu du Loiret à la Convention où il vote la mort du Roi avec sursis. Adversaire déclaré de Robespierre*, dès les premiers jours, il sera décrété d'accusation, avec ses amis Girondins, le 2 Juin 1793 et réussira à prendre la fuite. Il sera réadmis à la Convention en 1795, puis élu au Conseil des Cinq-Cents avant de mourir d'épuisement le 25 Août 1797.
(3) cité par Albert MATHIEZ "La Révolution française" op. cit. Page 324
(4) CUSTINE (Adam Philippe, Comte de) : Elu de la noblesse aux Etats Généraux, il reprend du service dans l'armée et est nommé Lieutenant Général à la fin de la Législative. Il s'efforce loyalement de remettre de l'ordre dans l'armée et remporte des victoires dès le début de la guerre en Avril 1792. Nommé à la tête de l'Armée du Rhin il s'empare de Spire, Worms et Mayence en Septembre et Octobre 1792.
La chute des Girondins et quelques déclarations intempestives lui vaudront d'être arrêté le 22 Juillet 1793. Il sera condamné et exécuté le 28 Août 1793.
(5) GARAT (Dominique Joseph) : Né à Bayonne le 8 Septembre 1749. Avocat, il quitte le sud ouest en 1773 pour s'établir à Paris. Grand amateur de littérature, il se lie avec Diderot, d'Alembert, Condorcet, Grimm, Fréron.
Elu par le Tiers Etat aux Etats Généraux, il reste bien discret à la tribune et se contente de collaborer au "Journal de Paris".
Envoyé comme ambassadeur en Angleterre à la séparation de l'Assemblée Constituante, il est rappelé par Brissot pour succéder à Danton au ministère de la Justice le 9 Octobre 1792.
Il assistera, à ce titre, à l'exécution de Louis XVI* sans manifester aucune émotion. Son attitude de recherche du compromis permanent lui attirera les inimitiés des Girondins, de la Commune et même de la Montagne.
Passé du Ministère de la Justice à l'Intérieur, il laissera, sans rien dire, arrêter les 22 députés girondins le 31 Mai et le 2 Juin 1793. Il démissionnera, par prudence, de son ministère le 19 Août 1793 mais sera cependant arrêté le 27 Septembre sur accusation des Jacobins.
Il passera tout de même au travers de la terreur et siégera au Conseil des Anciens. Garat accueillera avec chaleur Bonaparte qui le fera plus tard Comte d'Empire et membre de l'Académie française. Napoléon n'aura pour cet homme que du mépris, mais il saura pourtant le récompenser. Il mourra à Ustaritz le 9 Décembre 1833.
(6) Ce Comité comprend Thomas Paine, Brissot, Vergniaud, Gensonné, Pétion, Barrère, Condorcet, Siéyès et Danton. Tous sauf les deux derniers sont les amis de Madame Roland.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (25/52)
REGLEMENTS DE COMPTES : OCTOBRE - NOVEMBRE 1792