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Etre Suprême – Peuple Souverain – République française
LA FETE DE L'ETRE SUPREME : JUIN 1794
Cette grande fête du 8 Juin (20 Prairial), doit être l'apogée de toutes les fêtes organisées spontanément depuis les premiers jours de la Révolution. Elle doit être, de par la volonté des organisateurs, à la fois plus solennelle, plus populaire et plus grandiose que les Fêtes de la Fédération. Elle le fut effectivement : David s'est surpassé. Rien n’a été laissé au hasard, pas même les mouvements de foule dans la capitale. Chaque parisien est un acteur de la fête, les décors sont somptueux, les fenêtres ont été garnies de fleurs et de drapeaux.
Au signal, le peuple des 48 sections s'ébranle pour converger vers le jardin des Tuileries où l'attendent les membres de l'Assemblée en grande tenue. Puis, le long cortège, avec à sa tête, (ce n’est surement pas un hasard) le président de la Convention, Maximilien Robespierre, se dirige vers une vaste estrade spécialement dressée pour l'occasion.
Au pied de l'estrade, ont été érigées des représentations de l'Athéisme, de l'Ambition, de l'Egoïsme, de la Discorde et de la Fausse Simplicité. Robespierre prononce un bref discours pour faire l'éloge de la croyance en Dieu :
« Français républicains, il est enfin arrivé ce jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l’Etre-Suprême ! Jamais le monde qu’il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l’imposture: il voit dans ce moment une nation entière aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Etre qui lui donna la mission de les entreprendre et la force de les exécuter ! »
« N’est-ce pas lui dont la main immortelle, en gravant dans le cœur de l’homme le code de la justice et de l’égalité, y traça la sentence de mort des tyrans ? »
« N’est-ce pas lui qui, dès le commencement des temps, décréta la république, et mit à l’ordre du jour, pour tous les siècles et pour tous les peuples, la liberté, la bonne foi et la justice ? »
« Il n’a point créé les rois pour dévorer l’espèce humaine; il n’a point créé les prêtres pour nous atteler comme de vils animaux au char des rois, et pour donner au monde l’exemple de la bassesse, de l’orgueil, de la perfidie, de l’avarice, de la débauche et du mensonge; mais il a créé l’univers pour publier sa puissance; il a créé les hommes pour s’aider, pour s’aimer mutuellement, et pour arriver au bonheur par la route de la vertu ».
« C’est lui qui plaça dans le sein de l’oppresseur triomphant le remords et l’épouvante, et dans le cœur de l’innocent opprimé le calme et la fierté; c’est lui qui force l’homme juste à haïr le méchant, et le méchant à respecter l’homme juste, c’est lui qui orna de pudeur le front de la beauté pour l’embellir encore; c’est lui qui fait palpiter les entrailles maternelles de tendresse et de joie; c’est lai qui baigne de larmes délicieuses les yeux du fils pressé contre le sein de sa mère; c’est lui qui fait taire les passions les plus impérieuses et les plus tendres devant l’amour sublime de la patrie; c’est lui qui a couvert la nature de charmes, de richesses et de majesté. Tout ce qui est bon est son ouvrage, ou c’est lui-même: le mal appartient à l’homme dépravé qui opprime ou qui laisse opprimer ses semblables. »
« L’auteur de la nature avait lié tous les mortels par une chaîne immense d’amour et de félicité: périssent les tyrans qui ont osé la briser ! »
« Français républicains, c’est à vous de purifier la terre qu’ils ont souillée, et d’y rappeler la justice qu’ils en ont bannie ! La liberté et la vertu sont sorties ensemble du sein de la Divinité: l’une ne peut séjourner sans l’autre parmi les hommes. » « Peuple généreux, veux-tu triompher de tous tes ennemis ? Pratique la justice, et rends à la Divinité le seul culte digne d’elle. Peuple, livrons-nous aujourd’hui sous ses auspices aux transports d’une pure allégresse ! Demain, nous combattrons encore les vices et les tyrans; nous donnerons au monde l’exemple des vertus républicaines, et ce sera l’honorer encore ! » (1)
Fête de l’Etre Suprême – 8 juin 1794 (20 Prairial an II)
Puis, il s'interrompt, et brandit une torche qui embrase l'Athéisme et les autres représentations symboliques. Dès que l’Athéisme est consumé s'élève la Sagesse sortie des flammes et des cendres.
Robespierre reprend alors :
« Il est rentré dans le néant, ce monstre que le génie des rois avait vomi sur la France ! Qu’avec lui disparaissent tous les crimes et tous les malheurs du monde!
« Armés tour à tour des poignards du fanatisme et des poisons de l’athéisme, les rois conspirent toujours pour assassiner l’humanité: s’ils ne peuvent plus défigurer la Divinité par la superstition, pour l’associer à leurs forfaits, ifs s’efforcent de la bannir de la terre pour y régner seuls avec le crime. »
« Peuple, ne crains plus leurs complots sacrilèges; ils ne peuvent pas plus arracher le monde du sein de son auteur que le remords de leurs propres cœurs !
« Infortunés, redressez vos fronts abattus; vous pouvez encore impunément lever tes yeux vers le Ciel ! Héros de la patrie, votre généreux dévoûment n’est point une brillante folie; si les satellites de la tyrannie peuvent vous assassiner ,il n’est pas en leur pouvoir de vous anéantir tout entiers ! Homme, qui que tu sois, tu peux concevoir encore de hautes pensées de toi-même; tu peux lier fa vie passagère à Dieu même et à l’immortalité! Que la nature reprenne donc tout son éclat, et la sagesse tout son empire! L’Etre-Suprême n’est point anéanti »
« C’est surtout la sagesse que nos coupables ennemis voulaient chasser de la république: c’est à la sagesse seule qu’il appartient d’affermir la prospérité des empires; c’est à elle de nous garantir les fruits de notre courage. »
« Associons-la donc à toutes nos entreprises ! Soyons graves et discrets dans nos délibérations, comme des hommes qui stipulent les intérêts du monde; soyons ardents et opiniâtres dans notre colère contre les tyrans conjurés, imperturbables dans les dangers, patients dans les travaux, terribles dans les revers, modestes et vigilants dans les succès; soyons généreux envers les bons, compatissants envers les malheureux, inexorables envers les méchants, justes envers tout le monde; ne comptons point sur une prospérité sans mélange et sur des triomphes sans obstacles, ni sur tout ce qui dépend de la fortune ou de la perversité d’autrui; ne nous reposons que sur notre constance et sur notre vertu, seuls, mais infaillibles garants de notre indépendance; écrasons la ligue impie des rois par la grandeur de notre caractère, plus encore que par la force de nos armes. »
« Français, vous combattez les rois; vous êtes donc dignes d’honorer la Divinité !
« Etre des êtres, auteur de la nature, l’esclave abruti, le vil suppôt du despotisme, l’aristocrate perfide et cruel t’outragent en t’invoquant; mais les défenseurs de la liberté peuvent s’abandonner avec confiance dans ton sein paternel ! »
« Etre des êtres, nous n’avons point à t’adresser d’injustes prières: tu connais les créatures sorties de tes mains; leurs besoins n’échappent pas plus à tes regards que leurs plus secrètes pensées. La haine de la mauvaise foi et de là tyrannie brûle dans nos cœurs avec l’amour de la justice et de la patrie; notre sang coule pour la cause de l’humanité: voilà notre prière, voilà nos sacrifices, voilà le culte que nous t’offrons ! » (2)
Fête de l’Etre Suprême – 8 juin 1794 (20 Prairial an II)
Ses derniers mots sont couverts par les acclamations de la foule. Une grande procession se forme alors en direction du Champs de Mars. Fanfares et cavalerie ouvrent la marche, suivies des représentants des sections puis des députés conduits par leur président. Chacun des représentants du peuple porte un bouquet d'épis de blé, de fleurs et de fruits. Au Champs de Mars a été érigée une montagne artificielle avec, à son sommet, l'arbre de la liberté. Les membres de la Convention gravissent la montagne, par des chemins tracés sur ses flancs, tandis que la foule s'installe en bas : près de 500 000 personnes participent à la fête.
On danse, on chante, les fanfares jouent des hymnes patriotiques, repris en chœur par les parisiens.
Même si cette fête revêt un caractère très artificiel, une grande émotion se dégage de la foule qui se presse au Champs de Mars ce jour là. Robespierre, aux dires de plusieurs témoins, ne fut jamais aussi heureux que durant cette journée. La joie rayonnait sur son visage, ce qui est assez rare pour être remarqué.
Et pourtant, ce 8 Juin, la puissance de l'Incorruptible est révélée au grand jour. Il apparaît comme un pontife, ses ennemis y verront un « Messie », « le Sauveur prédestiné du peuple français et du genre humain tout entier ».
A-t-il eu à cet instant le sentiment de détenir le pouvoir absolu ? Comprend-t-il que l'immense popularité qu'il a patiemment acquise auprès des révolutionnaires va attiser les jalousies et précipiter sa perte ? Les cris de « Vive Robespierre ! » qui partent de la foule déclenchent les sarcasmes d'une partie de ses collègues de la Convention : « Voyez comme on l'applaudit !.. Ne veut-il pas faire le Dieu ?... Robespierre n'est-il pas devenu le grand prêtre de l'Etre Suprême ? »
Les détracteurs de l'Incorruptible, parmi lesquels on compte l’historien de la révolution J. Michelet, prétendront que l'organisation de ces fêtes nationales n'avait d'autre objet que de renforcer le prestige personnel de Robespierre. Il est vrai qu'en Mai 1794, l'Incorruptible dirige tout, contrôle tout et qu'il souhaite encore plus de pouvoir parce qu'il se sent menacé dans sa personne. Il n'est pas impossible, en effet, qu'il ait pensé, par ce biais, asseoir un peu plus son autorité à la fois dans le pays et aussi au sein du Comité de Salut Public. Il est certain qu'il a également souhaité donner au peuple, par ces réjouissances organisées, quelques occasions d'oublier sa triste condition que la Révolution n'a guère su améliorer.
(1) Premier discours de Robespierre Président de la Convention Nationale lors de la Fête de l’Etre Suprême le 8 juin 1794 (20 Prairial an II)
(2) Deuxième discours de Maximilien Robespierre Président de la Convention Nationale au moment ou l’Athéisme consumé a disparu et que la Sagesse apparait à sa place au regard du peuple. 8 juin 1794 (20 Prairial an II)
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : ROBESPIERRE (46/50)
LA GRANDE TERREUR : JUIN 1794