Ma chère Christiane,
Cinq jours déjà que tu es partie et déjà j'ai mal à ma gauche. Pourquoi m'as-tu quitté comme ça si brutalement? Normalement, avec les femmes, c'est moi qui pars le premier. Les autres ministres, Batho, Ayrault, Montebourg, Hamon, Filippetti, je les avais virés sans ménagement comme on coupe une branche morte quand on n'en a plus l'usage. Christiane, avec toi, c'était différent, j'étais prêt à tout pour que tu restes jusqu'en 2017 mais tu n'es pas une femme de compromis et tu as claqué la porte brutalement.
Pendant ces trois années que nous avons passées ensemble, j'ai admiré la force de tes convictions lors du vote de la loi pour le mariage pour tous. J'ai apprécié ton éloquence, ton amour de la langue française, ta dignité face aux attaques violentes dont tu as été l'objet. Quand on est ministre de la Justice, on vous tient curieusement pour responsable et coupable de tous les actes délictueux commis dans le pays. On t'a accusée de laxisme alors que tu n'as fait qu'appliquer les lois votées par les précédents gouvernements.
Bien sûr, les relations étaient un peu tendues entre nous depuis quelque temps à cause de cette maudite loi sur la déchéance de la nationalité mais j'espérais que nous parviendrions à surmonter nos différends. Tu agaçais un peu Manuel comme l'agacent tous ceux qui ne sont pas d'accord avec lui mais moi, je t'ai toujours soutenue. Tu étais la caution de gauche de ce gouvernement, la femme debout, celle qui déborde du cadre, qui résiste. Quel ministre maintenant va ruer dans les brancards? Ségolène qui semble ne plus penser qu'à poser avec des people pour sauver la planète? Emmanuel Macron qui prend un malin plaisir à multiplier les sorties provocatrices pour ensuite déclarer qu'on a mal interprété ses propos?
Ton tweet était élégant "Parfois résister, c'est rester. Parfois résister, c'est partir", c'est mieux que "je ne peux plus voir ta gueule". J'ai apprécié aussi, ma chère Christiane, que, lors de ta conférence à New York, tu aies affirmé ta loyauté à mon égard : "Le président de la République mérite de l'estime." J'espère que, comme tant d'autres, tu ne céderas pas aux sirènes d'un éditeur parisien qui te proposera sans doute un pont d'or pour raconter l'envers du décor.
Tu as déclaré que 2017 ne t'intéressait pas, en voilà une bonne nouvelle! Je suis bien conscient que tu pourrais mobiliser sur ta personne ces 3 ou 4 % de voix qui pourraient m'empêcher d'accéder au second tour. Aussi je suis prêt à te recevoir pour te proposer des postes la hauteur de ton talent.
Hormis ton départ, la semaine a été bonne, j'ai été accueilli comme un pacha en Inde. Je leur ai presque vendu des Rafale, c'est-à-dire qu'on a signé un accord mais qu'ils n'ont pas d'argent pour les payer. Ça change des Mistral où c'est nous qui avons payé pour ne pas qu'on nous les achète. Nous avons vendu 118 Airbus à l'Iran. Je sais bien que ça n'est pas un pays irréprochable mais j'ai tellement besoin de croissance et puis, si on ne leur vend pas, d'autres le feront.
Ma chère Christiane, tu es partie en vélo, rayonnante et libérée. Moi, il m'est avis qu'entre les chauffeurs de taxi, les agriculteurs, les frondeurs et tous les mécontents, je n'ai pas fini de pédaler.
Anne Roumanoff - Le Journal du Dimanche31 janvier 2016