L’ex-dictature militaire en Birmanie va vivre dimanche 8 novembre ses premières élections libres depuis vingt-cinq ans. Le parti du Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi espère remporter le plus grand nombre de sièges au Parlement.
Aung San Suu Kyi a présidé son dernier meeting de campagne dimanche 1er novembre dernier. Il n'a pas eu lieu dans le parc du Peuple, lieu symbolique de Rangoun, capitale économique du pays où, en 1988, elle avait annoncé son entrée en politique. Le Prix Nobel de la paix n'a pas obtenu d'autorisation. L'ex-junte au pouvoir lui aura mis des bâtons dans les roues jusqu'à la fin. Mais dans les rues de Rangoun, le rouge des supporters de la démocratie l'emporte de loin sur le vert du drapeau du parti de l'ancienne junte. Si l'icône de la démocratie ne pourra être élue présidente – la faute à une loi constitutionnelle faite sur mesure –, son visage est partout et concentre à lui seul tous les espoirs des Birmans. "Je soutiens Aung San Suu Kyi depuis plus de trente ans", s'enflamme Ma Hye Nie, une électrice de 50 ans. "Elle est tout pour moi, elle est parfaite. Il n'y a qu'elle et la Ligue nationale pour la démocratie (LND) qui puissent permettre à la Birmanie de changer." Pour clore la campagne en beauté avant le scrutin du 8 novembre, militants et candidats recouvrent les rues, les voitures et les enfants d'autocollants rouge et or du parti démocrate.
Les milices tiennent les campagnes
Une campagne réussie mais qui n'a pas été facile. La LND n'a pas toujours été bien reçue, notamment par le Ma Ba Tha, groupuscule de moines bouddhistes nationalistes soutenus par le gouvernement. Il y a quelques jours, un candidat LND a reçu un coup de machette en pleine rue. Dans certaines régions, des milices pro-gouvernement ont effrayé et découragé les habitants de se rendre aux meetings des démocrates. Si l'électorat urbain est acquis à la cause de la LND, les candidats restent mesurés dans les régions reculées. "En ville, les élections sont plus libres, personne n'a peur de s'exprimer. Mais en zone rurale, on sait très bien que les conditions sont bien plus difficiles", explique Khin Moh Moh Aung, 30 ans, l'une des plus jeunes candidates du parti. Sans oublier les zones noires, inaccessibles, celles où il n'y aura pas d'élections, car l'armée et les groupes ethniques y sont toujours en conflit.
Bourrage d'urnes et "morts votants"
Le parti de l'ex-junte au pouvoir, le PUSD (Parti de l'union pour la solidarité et le développement), et les militaires n'ont pas toujours joué le jeu. "Des candidats du PUSD ont envoyé l'armée faire peur aux habitants. D'autres ont tenté de corrompre leur électorat en installant des antennes satellites dans des villages, en distribuant de l'argent et de la nourriture", raconte Kyaw Thin Aung, activiste et expert en politique. Aux dernières élections déjà, l'armée pratiquait le bourrage d'urnes et faisait voter les morts. Doté d'une administration puissante, le PUSD a vite tendance à utiliser les moyens de l'État pour sa campagne. Beaucoup de villageois attendent encore l'électricité promise par les candidats PUSD aux dernières législatives. Pourtant dans tout le pays, les affiches électorales de l'ex-junte tentent de convaincre les électeurs avec le slogan piteux : "Nous avons changé".
La commission électorale est issue du parti au pouvoir, mais la présence d'observateurs internationaux rassure ceux qui espèrent un bon déroulement des élections. "Si les élections sont libres et démocratiques, la LND va gagner", confie au JDD Khin Maung Aye, le chef de la sécurité de la campagne du parti démocrate. Très confiant, il ajoute : "Même là où la population craint toujours de parler de politique, partout où Aung San Suu Kyi est passée, les électeurs sont venus."
Un quart des sièges revient aux militaires
À quelques jours du scrutin, il y a peu de doutes à avoir sur la victoire de l'opposition démocratique. La seule incertitude réside dans son ampleur. Le PUSD, fort de quarante ans d'expérience, divise pour mieux régner : sur les quatre-vingt-douze partis en lice, beaucoup sont des alliés de la junte. Mais même en cas de triomphe de l'opposition démocratique, l'armée ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Un très bon score de la LND ne suffira pas pour réformer l'ancienne dictature militaire. "Quand on me demande combien de votes je veux, je réponds que je les veux tous", s'est exclamée l'opposante birmane lors du premier meeting de sa tournée dans le pays. Le problème est bien là : une majorité au Parlement birman suffit pour nommer un gouvernement, mais pas pour changer la Constitution en vigueur, rédigée en 2008 par l'armée. Au Parlement, 25% des sièges sont réservés aux militaires.
Mission quasi impossible
Les électeurs birmans ne votent donc pour élire que 75% du Parlement seulement. Or pour entamer toute réforme constitutionnelle, 75% des parlementaires doivent y être favorables. La LND doit donc obtenir tous les sièges disponibles pour changer le pays en démocratie, ce qui est loin d'être évident. Le chef des armées, Min Aung Hlaing, explique que, victoire de la LND ou pas, il faudra "dix ou vingt ans avant que l'armée s'écarte du pouvoir". L'état-major recommande donc aux électeurs de voter pour un candidat "décent et avec de l'expérience en politique". Et le très haut gradé d'assurer : "Aucun coup d'État n'est prévu. Le résultat des élections sera respecté coûte que coûte." Protégée par la Constitution qu'elle a écrite, l'armée est tranquille pour un moment. La Birmanie, elle, s'apprête à entrer pour la première fois depuis un quart de siècle en cohabitation, et rien ne dit que celle-ci se déroulera sans heurts.
Source : leJDD.fr 07-11-2015