Le parc de capteurs solaires en voie d'achèvement près de séville en Espagne (Reuteurs)
Etats, industriels et ONG se retrouvent pour la conférence de l’ONU. La «diplomatie verte» est à l’œuvre. L’occasion de découvrir cinq acteurs clés qui s’activent dans les couloirs ou en séance plénière.
Bluff avant l’arrivée, demain, de tous les ministres de l’Environnement ? Pression sur les chefs d’Etat de l’Union Européenne qui, au même moment, se retrouvent à Bruxelles pour mettre sur les rails le paquet énergie-climat ? Toujours est-il que le boss de l’ONU pour le changement climatique, Yvo de Boer, a douché, hier, les 12 000 délégués de 192 Etats venus pour le sommet de Poznan. Le deal, espéré en 2009 à Copenhague pour lancer l’après Protocole de Kyoto, ne sera, au mieux, pas «détaillé». Ce ne sera «pas faisable, assure-t-il. "Il faut faire attention à ne pas viser trop haut pour, finalement, ne rien atteindre".
Entre les réunions des délégués, le lobby du business et les happenings des ONG, les interrogations fusent. Les pays industrialisés vont-ils suivre l’avis des scientifiques et réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 25 à 40 % d’ici à 2020 ? Quels types d’engagements les grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil…) prendront-ils ? Quels fonds les pays pauvres recevront-ils pour faciliter leur adaptation ? En attendant le grand rendez-vous de l’année prochaine, Poznan est une négociation de transition, loin d’être négligeable pour autant. La diplomatie verte est à l’œuvre pendant quatre jours. L’occasion d’en découvrir cinq des figures clés, en action dans les couloirs ou en séance plénière.
La diplomatie verte nécessite la constance du jardinier en période de canicule. Il y faut forger des consensus, trouver des coalitions, forcer les souverainetés. "C’est la première question planétaire obligatoire", rappelle Pierre Radanne, du cabinet de consultants Futur Facteur 4. "Chacun ne peut plus faire ce qu’il veut chez lui sans emmerder son voisin." "C’est vrai", approuve le Sierra-léonais Ogulade Davidson, scientifique de l’ONU. "Nous avons enclenché un compte à rebours qui définit un calendrier à suivre". Sinon, direction le chaos. La diplomatie verte, c’est donc "un nouveau job où il faut inventer dans l’urgence une nouvelle gouvernance pour la planète", résume Brice Lalonde, ambassadeur français du climat. Et la conférence onusienne tient de laboratoire in vivo des forces en présence.
John Kerry, le nouvel air américain
"L’Amérique est de retour." C’est avec ce message en bandoulière que John Kerry, ex-candidat à la présidentielle, battu par George Bush en 2004, va venir porter la bonne parole de Barack Obama. Lundi soir, des émissaires de la délégation démocrate étaient venus préparer le terrain dans une salle bondée où des haut-parleurs tentaient de relayer les assurances du retour dans le jeu climatique des Etats-Unis. "Après huit ans d’obstruction, de délai et de déni, les Etats-Unis vont rejoindre la communauté mondiale pour combattre ce défi planétaire",a répété le futur président de la commission des affaires étrangères du Sénat (il remplacera Joe Biden, élu vice-président des Etats-Unis). Washington va s’engager à ramener ses émissions de gaz à effet de serre à leur niveau de 1990 d’ici à 2020. Trop peu, pour l’Inde ou la Chine, comme pour les ONG. Des sceptiques s’interrogent, çà et là, sur les habits d’homme providentiel que les partisans d’un deal veulent faire porter au président élu. "Ne tirez pas sur le pianiste, laissez-le commencer à jouer", dit Whitney Smith, une conseillère de John Kerry. On l’interroge : "L’attente étant tellement grande , la déception pourrait-elle l’être, aussi ?" Réponse : "Nous mènerons le leadership."
Van Schalkwyk, le franc-tireur du Sud
Dans un univers peuplé de novlangue et de langue de bois, Marthinus Van Schalkwyk, le ministre de l’Environnement et du tourisme sud-africain, détonne. Il pointe du doigt. Dénonce. Cogne. Sur les boulets climatiques, les dénis gouvernementaux, les égoïsmes nationaux. "Cela fait trop longtemps que le Japon, la Russie, l’Australie et le Canada évitent de mettre des chiffres sur la table", a-t-il ainsi assuré en ouverture du sommet. "Qu’ils s’engagent à baisser les émissions de 25 à 40 % d’ici 2020 par rapport au niveau de 1990 !" Van Schalkwyk est du genre franc-tireur. Cet Afrikaner de 49 ans a dirigé le Parti national de Frederik de Klerk et l’a rebaptisé avant de se rallier à l’ANC. Ces pourfendeurs l’appellent «kortbroek» («pantalons courts») pour son physique de poupon apparatchik. Dans les coulisses de Poznan, les pays du G77 (le groupe des 133 pays en développement) en font un porte-drapeau. «Il ose dire que les pays riches sont lâches», raconte un délégué du Malawi. Si l’Afrique du Sud est la voix radicale des pays émergents, c’est aussi le premier émetteur de CO2. Et le pays est dépendant du charbon. "Oui, mais grâce à un certain sens de l’anticipation, l’Afrique du Sud fait le pari d’une taxe carbone", note un diplomate ougandais de l’ONU.
Yvo De Boer, M. climat de l’ONU
Il roule en Toyota Prius, parle un anglais made in London, où il a étudié, et il n’a pas envie de devenir un clone de Pascal Lamy, le patron de l’OMC, qui négocie «toujours, et sans date limite claire». Yvo De Boer, le plus haut responsable climat de l’ONU, a un mandat - trouver un nouvel accord d’ici à un an «pour éviter que le monde ne plonge dans le chaos» - et rêve de s’y tenir. L’an passé, à Bali, ce Néerlandais de 54 ans, fils de diplomate né à Vienne, avait fondu en larmes à la tribune, épuisé après douze jours de négociations. Il avait arraché aux forceps une «feuille de route» pour la suite. «C’est un dur, mais très émotionnel», souligne son conseiller Matthijs Spitz. L’homme semble plus nature que one-man-show. Même s’il manie à merveille la périphrase, l’humour à froid et navigue entre les écueils des susceptibilités nationales. Forcément, l’homme se retrouve sous le feu des critiques. «Ses prédécesseurs s’agitaient en coulisses, souffle une spécialiste climat européenne. Lui, c’est Flying Dutchman, il passe son temps à voyager et à parler aux médias.» «Je suis un facilitateur qui n’a pas de baguette magique», dit l’intéressé. Il lui en faudrait pourtant une pour sortir du chapeau onusien un accord entre 192 pays.
Henry Derwent, le joueur du privé
A l’échelle d’une conférence internationale, c’est un peu un village dans le village global. Un énorme bâtiment, à l’écart du tumulte, abrite l’IETA. L’association internationale du marché des émissions a un credo : développer le marché mondial des réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Et un nouveau visage, Henry Derwent, élu président, l’an passé, de ce lobby très influent qu’ont rejoint 189 firmes internationales. Ce Britannique, ex-banquier d’affaires passé par le ministère de l’Environnement, fut l’un des sherpas de Tony Blair au G8 de Gleneagles (Ecosse) et l’un des promoteurs des marchés anglais et européen des permis de polluer. Un big player qui la joue modeste : "Ceux qui ont la main sont les ministres, les gouvernements. Nous, on est juste là pour promouvoir les moyens d’y parvenir." Plus de 250 participants, sur 1 500 venus du secteur privé, se revendiquent de l’IETA, dont le siège est à Genève. "C’est la plus grande des organisations qui promeuvent le marché carbone", dit Derwent… qui ajoute : "Sans marché global, les coûts de la lutte contre le changement climatique seront politiquement insoutenables." Oui, mais la crise est passée par là. Derwent le sait bien : "Cela nous ralentit, mais ce n’est pas désastreux."
Jennifer Morgan, la planète ONG
"14 conférences climat sur 14", se marre-t-elle. A 42 ans, Jennifer Morgan est une vieille briscard des «négos». Ex-directrice climat au WWF, et désormais à E3G (Third Generation Environmentalism), une association basée à Londres, Morgan est une des chevilles ouvrières de Climate Action Network International (CAN), toile d’araignée d’ONG environnementales. "Un miroir du monde qui renvoie des vérités qui fâchent", dit-elle. Tailleur noir, mais sans BlackBerry, cette Américaine du New Jersey se targue, à travers CAN et ses 400 délégués (WWF, Greenpeace ou Oxfam, à eux seuls, en comptent plus de 50), d’être le meilleur "réseau d’informations sur ce qui se trame en coulisses". Et d’influencer les «médias, les pays clés, l’ONU». Jennifer Morgan sait aussi que la coalition grandit, se radicalise, avec l’arrivée d’autres réseaux, comme Climate Justice Now.
Source : Liberation.fr du 10 dec 2008