Alors que le cinéaste Jean-Luc Godard est mort mardi par suicide assisté, l’Élysée annonce le lancement d’une convention citoyenne sur l’aide active à mourir. Plébiscité par l’opinion, la «mort choisie» pose des problèmes philosophiques et rebute les médecins d’unités de soins palliatifs, dont le métier consiste à accompagner les patients jusqu’à leur dernier souffle.
En 1965, un film étrange racontait les aventures d’un espion intersidéral (Eddy Constantine) dans une société futuriste totalitaire et déshumanisée. Dans la cité d’Alphaville, toute personne exprimant des sentiments ou ayant des «pensées illogiques» était condamnée au suicide. Saluée par la critique (moins par le public), le film a reçu l’Ours d’or à Berlin. 57 ans plus tard, les sentiments sont toujours autorisés, mais certaines évolutions nous rapprochent du décor sordide d’Alphaville : les supercalculateurs et leurs algorithmes façonnent une partie de nos cerveaux et les réseaux sociaux supplantent les liens sociaux. Quant au suicide, s’il n’est pas rendu obligatoire, il est accepté voire parfois encouragé.
Ironiquement le réalisateur d’«Alphaville», Jean-Luc Godard s’est lui-même est mort par suicide assisté mardi dernier. Peut-être a-t-il songé à cet aphorisme de Friedrich Nietzsche repris dans son film par Eddy Constantine : «Le privilège des morts, c’est de ne plus mourir» ? Quels privilèges devrait-on accorder aux vivants face à leur propre mort ?
Une convention citoyenne pour réfléchir à la fin de vie
Cette question philosophique n’a jamais été autant d’actualité. Hasard du calendrier, le jour la disparition de Jean-Luc Godard, le président Macron annonce le lancement d’une «convention citoyenne» sur la fin de vie. L’initiative qui mobilise le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) — des termes qu’on pourrait trouver dans «Alphaville» —, mais aussi un Comité de citoyens, le Parlement et même la Cour des comptes, doit accoucher d’ici 2023 de nouvelles dispositions législatives, pour aller au-delà de la loi Claeys-Leonetti déjà en vigueur sur «le droit des malades et la fin de vie».
Une pilule sur ordonnance et à avaler quand on le souhaite
L’idée serait d’autoriser l’euthanasie administrée par le médecin, et l’assistance au suicide qui consiste, comme en Belgique, à prescrire une pilule que les patients sont libres d’avaler quand ils veulent. Dans un avis rendu le 13 septembre, le CCNE précise que cette possibilité ne devrait être réservée qu’«aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables».
Même si les modalités donneront lieu à de longs débats, l’idée in fine est d’autoriser la «mort choisie». Le 2 septembre, l’actrice Line Renaud, militante de la légalisation de l’euthanasie a reçu du président Macron l’assurance que le droit à mourir serait bien autorisé.
L’opposition des médecins en soins palliatifs
Alors que la feuille de route semble tracée d’avance, plusieurs groupes en particulier des médecins en soins palliatifs se mobilisent depuis plusieurs mois pour dénoncer «la mort sur rendez-vous». Figure de proue de ce mouvement, le docteur Claire Fourcade a prononcé le 6 juin dernier un discours vibrant lors du Congrès de la société française d’accompagnement des soins palliatifs (SFAP) sur fond de la musique «I will survive». Médecin à la Polyclinique Le Languedoc à Narbonne, la présidente de la SFAP a déclaré que la mort n’était pas son métier. «La main qui soigne, a-t-elle lancé, n’est pas la main qui tue.»
En première ligne, ces médecins qui tutoient la mort au quotidien seraient en effet conduits, si la loi venait à être modifiée, à administrer les cocktails mortels à certains de leurs patients. Au-delà d’un clivage politique que devrait engendrer ce débat — on imagine les progressistes s’opposer aux conservateurs et les catholiques traditionnels dans les starting-blocks comme avant la loi sur le mariage pour tous —, la présidente de la SFAP place le débat au niveau de l’humain : son domaine d’expertise. Le sens de son métier est dit-elle de «permettre de vivre dignement jusqu’à la mort».
La défense de choisir sa mort
En face, les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté emploient eux aussi le terme de « dignité » mais en d’autres termes. Pour eux, mourir dignement devrait être avoir le choix. Le choix de se battre ou de tout arrêter quand la vie ne vaut plus d’être vécue. A chacun son curseur. Sans aller dans des délires de scénario de science fiction, la mort choisie fait sauter un verrou et brise un tabou. L’essayiste François de Closets, membre de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), estime qu’il y a un «blocage évident entre des Français qui, sondage après sondage, réclament à la quasi-unanimité, la liberté de choisir sa mort.»
D’après un sondage Ifop réalisé pour l’ADMD, 94% des Français approuveraient le recours à l’euthanasie et 89% seraient favorables à l’autorisation du suicide assisté. Si le président Macron décidait d’avoir recours au référendum comme il l’a évoqué, le «oui» obtiendrait sans doute une majorité écrasante. Pour François de Closets, il est évident qu’une grande majorité des Français souhaite comme lui «la mise à disposition d’une mort paisible que permet la science moderne». La plupart des militants de l’ADMD, comme le député Jean-Louis Touraine, professeur émérite de médecine, revendiquent ce droit «au nom de la liberté individuelle».
Mourir, est-ce vraiment choisir ?
Mais combien de candidats au suicide assisté agissent vraiment en toute liberté ? Dans une tribune publiée par La Croix, l’essayiste Erwan Le Morhedec soulève cette question épineuse. Il cite une étude menée aux Etats-Unis montrant que la plupart des candidats au suicide assisté serait «des femmes, âgées, isolées et malades». L’essayiste en déduit qu’elles pourraient être guidées non pas par la liberté individuelle, mais plutôt un sentiment de résignation. «La solitude de ces femmes, leur crainte d’être un poids pour leurs enfants sont des raisons majeures de leur demande d’euthanasie.»
Co-auteur de la loi sur la fin de vie votée en 2016, le maire d’Antibes, Jean Leonetti, estime pour sa part que «toute loi qui va à l’encontre de la vie humaine pose un problème fondamental et existentiel, elle porte même un problème de culture et de civilisation».
Source : Paris Match 15-09-2022