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4 février 2018 7 04 /02 /février /2018 09:00

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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  ROBESPIERRE (3/50)

 

Portrait en pied de Maximilien de Robespierre. Aquarelle et gravure sur cuivre, E. Monnin. Archives départementales du Pas-de-Calais,

 

 

 

 

LES PREMIERES PLAIDOIRIES  :  1781 - 1783

 

 

 

 

     Revenu sur sa terre natale, Maximilien de Robespierre est admis au « Conseil Provincial d'Artois », le 8 novembre 1781, sur présentation de Maître Liborel avocat à Arras et par la délibération suivante :

 

« Vu la requête présentée à la Cour par Maximilien-Marie-Isidore De Robespierre, avocat au Parlement, à ce qu’il plût de recevoir et admettre à exercer la profession d’avocat en la Cour et dans les sièges de son ressort ; les lettres de baccalauréat et de licence obtenues en l’Université de Paris, les 31 juillet et 15 mai dernier ; la matricule d’avocat au Parlement de Paris du 2 août aussi dernier, ensemble l’extrait du registre de baptême de la Paroisse de Sainte-Marie-Magdeleine d’Arras, du 6 mai 1758, conclusion de l’avocat général du roi ; la Cour a reçu et admis, reçoit et admet Maximilien-Marie-Isidore De Robespierre à exercer la profession d’avocat en la Cour et dans les sièges de son ressort, en prêtant le serment en pareil cas requis. (1)

Du 8 novembre 1781

Signé                 WATTELET DE LA VINELLE (2)

                           BRIOIS (3)

Et ledit jour, ledit Derobespierre a prêté serment à l’entrée de l’audience ès mains de M. Le Premier Président, ayant été présenté par Me Liborel, avocat à la Cour

Signé :               DELYS (4)

 

 

    Il lui faut un peu plus de deux mois de patience avant de pouvoir plaider sa première cause, sans beaucoup de succès d'ailleurs. Maximilien était sans doute plein d'illusions, car ce demi-échec l'amène déjà à se demander s'il ne va pas renoncer à la carrière judiciaire. Car il faut vivre et trouver d’urgence des moyens d’existence. Il ne peut rien attendre de sa famille dont presque tous les membres susceptibles de l’aider ont disparu pendant ses longues années d’études. Heureusement, il a conservé de bonnes relations dans le clergé d’Arras. Or, à cette époque, à la Prévôté de l’Evêché ou Salle épiscopale, la justice est rendue, au nom de l’Evêque, par trois hommes du fief choisis dans le barreau. L’un des sièges se trouve vacant et l’ex-boursier de Saint-Vaast qui s’est fait remarquer par sa vivacité d’esprit et son ardeur au travail va avoir sa chance. Très probablement sur recommandation il est nommé, le 9 mars 1782, « Homme de fief gradué du Siège de la Salle épiscopale d'Arras ». Cette charge lui est attribuée sur décision de l'évêque d'Arras M. de Conzié :

 

    

« Louis François Marc Hilaire de Conzié, par la grâce de Dieu et du Saint Siège apostolique, évêque d'Arras, à tous ceux que ces présentes lettres verront, salut. »

«  Savoir faisons que, sur le bon rapport qui nous a été fait de la personne de Me Marie Maximilien Derobespierre, avocat au conseil d'Artois, de ses sens, prudhommie, capacité et expérience, pour ces causes, nous l'avons commis et établi, au lieu et place Me Dlarsé, commettons et établissons homme de fief gradué du siège de notre Salle épiscopale d'Arras, pour y juger de tous les procès, causes et instances tant civils que criminels, appendances et dépendances, en prêtant par lui le serment en tel cas requis ès mains de notre prévôt au dit siège, et ce aux honneurs, fruits, profits et émoluments  ordinaires, sans toutefois en pouvoir prétendre aucuns à notre charge ; et durera la présente commission jusqu’à rénovation que nous pourrons faire quand il nous plaira. »

« Donné sous notre seing, notre scel ordinaire et le contre-seing du secrétaire général de notre évêché, à Paris, le neuf du mois de mars mil sept cent quatre-vingt-deux.

 

Signé        LOUIS Evêque d’Arras... » (5)

 

     De quoi lui assurer à la fois une certaine notoriété et quelques revenus. Il a, en ce moment, grandement besoin des deux. La notoriété, il va l'acquérir assez rapidement et elle lui vaut d'être remarqué par Maître Antoine-Joseph Buissart, gloire du Barreau d'Arras, grand physicien, membre de l'Académie des Sciences de la Ville. Maître Buissart reconnaît, rapidement, les talents du jeune avocat et décide de s'attacher sa collaboration.

     En Juillet 1782, Maximilien quitte donc son premier protecteur Liborel pour devenir le collaborateur direct de Maître Buissart. C’est une place enviée et, pendant près de dix huit mois, le jeune avocat va voir son nom apparaitre dans vingt six instances jugées au Conseil d’Artois. Quelques fois, même il est chargé de prendre la parole. Certes ce ne sont pas des affaires d’un grand intérêt mais, par rapport au sort généralement réservé aux jeunes avocats, Maximilien n’a pas à se plaindre. Et puis, Maitre Buissart va enfin lui confier sa première vraie cause. Celle qui va faire parler de lui : l'affaire que l'on dénommera bientôt « l'Affaire du paratonnerre ».

 

     Il s'agit d'une affaire totalement banale, mais elle va très vite avoir, grâce sans doute au talent de Robespierre, un retentissement considérable dans la Province d'Artois et même au-delà.

 

     Tout a commencé dans le début de l'été 1780. L'ancien avocat Vissery de Bois-Valé a fait installer sur sa maison de Saint-Omer un paratonnerre. Son voisin se plaint de la chose, fait signer une pétition et finalement porte plainte devant les échevins de Saint-Omer. Vissery est sommé de démonter son installation. Il s'exécute mais fait appel devant la Cour du Conseil d'Artois et s'adresse à l'un des Maîtres les plus connus du moment : Maître Buissart. Dans un mémoire, le célèbre avocat forme un traité complet sur l’électricité et formule ainsi ses conclusions : « Le conducteur électrique, loin d’attirer le tonnerre, est au contraire un préservatif, non seulement pour la maison sur laquelle il est établi, mais encore pour celles qui sont dans le voisinage. Conséquemment, le jugement du Magistrat de Saint-Omer est irrégulier » (6)

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  ROBESPIERRE (3/50)

 

Benjamin FRANKLIN vers 1785 par Joseph Siffrein Duplessis

   

 

    C'est la chance de Robespierre : le Maître du barreau va le charger de soutenir à l’audience la cause du paratonnerre. La date du procès arrive. Robespierre, comme il se doit, a préparé très soigneusement sa plaidoirie. Il a réuni un nombre impressionnant de données techniques et scientifiques sur le sujet.

 

« Messieurs,

« Les Arts et les Sciences sont le plus riche présent que le ciel ait fait aux hommes. Par quelle fatalité ont-ils trouvés tant d'obstacles pour s'établir sur la terre ? Pourquoi faut-il que nous ne puissions payer aux grands hommes qui les ont inventés ou conduits à la perfection le juste tribut de reconnaissance et d'admiration que leur doit l'humanité entière, sans être forcé de gémir en même temps sur ces honteuses persécutions, qui ont rendu leurs sublimes découvertes aussi fatales à leur repos qu'elles étaient utiles au bonheur de la société ?

« Malheur à quiconque ose éclairer ses concitoyens ! L'ignorance, les préjugés et les passions ont formé une ligne redoutable contre les hommes de génie pour punir les services qu'ils rendront à leurs semblables … »  (7)

 

    L’orateur cite évidemment Galilée, Descartes, Harvez et Franklin : 

 

« Un homme a paru de nos jours qui a osé former le projet d’armer les hommes contre le feu du ciel ; il a dit à la foudre : Vous irez jusque-là, et alors, vous éloignant de ces demeures paisibles des citoyens et de ses superbes édifices qui semblent être l’objet de votre courroux, vous suivrez cette route, et, dans le souterrain, creusé pour vous recevoir, vous irez, sans dommage et sans bruit, épuiser votre funeste activité. La foudre obéissante a reconnu ses lois ; perdant aussitôt cette aveugle et irrésistible impétuosité qui frappe, brise, renverse, écrase tout ce qui s’offre à son passage, elle a appris à discerner les objets qu’elle devait épargner, et s’écartant à leur aspect, elle a craint d’attenter à nos vies et de toucher à nos asiles. Quel beau prétexte de crier au sortilège, si cette découverte eut été faite un siècle auparavant ? Quels ressorts l’envie, secondée par les préjugés, n’eut-elle pas fait mouvoir pour l’anéantir et pour la ravir au genre humain.  Dans notre siècle, elle n’a pas même osé élever la voix contre l’expérience et la théorie qui en attestaient la certitude... » 

« Je me trompe, Messieurs, il y a une réclamation. Dans ce siècle, au milieu des lumières qui nous environnent, au milieu des hommages que la société prodiguait au philosophe à qui elle dois cette sublime invention, on a décidé qu’elle était pernicieuse au genre humain. Il est une ville dans le monde où des citoyens ont dénoncé à leurs magistrats les paratonnerres…, et les magistrats effrayés se sont empressés de les proscrire…. Vous vous demandez vous-mêmes, Messieurs, quel pays a pu être le théâtre de cette scène incroyable ; vous le placez dans quelqu’une de ces contrées lointaines où le flambeau des arts n’a jamais lui, où le nom des sciences n’est même pas connu ? Non, Messieurs, c’est au centre de l’Europe que sont arrivés les faits qui vous étonnent ; c’est au milieu de la nation la plus éclairée de cette partie du monde ; c’est dans une province très voisine de la capitale de cette nation ; c’est (car il faut faire enfin ce pénible aveu), c’est…. Dans la province même que nous habitons. Il est temps de vous faire connaitre les particularités de ce bizarre évènement... » (8)

  

     Ce premier grand plaidoyer, qui va sortir Robespierre de l'anonymat, donne un aperçu de son style : prolixe, un tantinet pédant. Ce sont des défauts de jeunesse, disent, cette année là, ses admirateurs. Mais des défauts qu'il mettra cependant bien du temps à corriger.

 

     Et Robespierre, après avoir cité Franklin et Galilée, énumère tous ceux, Princes, Souverains, Grands de ce monde, qui utilisent déjà le paratonnerre pour protéger leur demeure ou leur château. N'en a-t-on pas mis un sur le Château de la Muette « que le Monarque qui nous gouverne honore assez souvent de sa présence auguste » ? Il démontre également que, de l'issue de ce procès, dépendent les progrès scientifiques à venir :

 

 « ..A peine aurez-vous prononcé, Messieurs, le jugement qui doit nous venger, que la renommée le portera jusqu'aux extrémités de l'Europe. Ces mêmes papiers publics qui ont rendu compte de la sentence de Saint-Omer, et qui ont promis à toutes les nations l'histoire entière de ce procès singulier, s'apprêtent à leur annoncer la décision qui va le terminer. Paris, Londres, Berlin, Stockholm, Turin, Petersbourg, connaîtront presque aussi promptement qu'Arras, ce monument de votre sagesse et de votre zèle pour le progrès de la science ..... » (9)

 

     Robespierre gagne. Il a su convaincre ! Le jugement est rendu et Vissery de Bois-Valé est autorisé à remettre en place son paratonnerre !..

    En ce début d'été, le jeune avocat est heureux comme probablement il ne l'a jamais été ! La lettre qu'il adresse à son ami Buissart, en date du 12 Juin 1783, témoigne du bonheur de Maximilien : douze feuillets écrits sur un ton badin. Un ton que l'on ne retrouvera plus jamais dans aucun de ses écrits. Description attendrissante d'un voyage de six lieues qui le mène chez un de ses cousins, description pleine d'humour et de sensibilité :

 

« Monsieur,

« Il n'est pas de plaisirs agréables si on ne les partage avec ses amis. Je vais donc vous faire la peinture de ceux que je goûte depuis quelques jours.

« N’attendez pas une relation de mon voyage ; on a si prodigieusement multiplié ces espèces d'ouvrages depuis plusieurs années que le public pourrait en être rassasié. Je connais un auteur qui fit un voyage de cinq lieues et qui le célébra en vers et en prose. Qu'est-ce cependant que cette entreprise comparée à celle que j'ai exécutée ? Je n'ai pas seulement fait cinq lieues, j'en ai parcouru six, et six bonnes encore, au point que, suivant l'opinion des habitants de ce pays, elles valent bien sept lieues ordinaires. Cependant je ne vous dirai pas un mot de mon voyage. J'en suis fâché pour vous, vous y perdrez, il vous offrirait des aventures infiniment intéressantes : celles d'Ulysse et de Télémaque ne sont rien auprès.

« Il était cinq heures du matin quand nous partîmes ; le char qui nous portait, sortait des portes de la ville, précisément au même instant où celui du Soleil s'élançait du sein de l'Océan ; il était orné d'un drap d'une blancheur éclatante dont une partie flottait abandonnée au souffle des zéphyrs ; c'est ainsi que nous passâmes en triomphe devant l'aubette des commis...... »  (10)

 

 

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  ROBESPIERRE (3/50)

 

Coupure de presse de 1903 signalant que la bibliothèque de l'université de Pennsylvanie vient d'acquérir 500 manuscrits provenant de la succession de Benjamin Franklin, parmi lesquels une lettre autographe de Robespierre à Franklin daté d'Arras, 1783, relative à l'affaire du paratonnerre]. Archives départementales du Pas-de-Calais

 

    

 

    Si les échos de ce procès ne parviennent pas jusqu'à Berlin, Londres ou Petersbourg comme le croyait (peut-être ?) le jeune avocat, le succès en sera cependant complet et ira même au-delà de ses espérances. Le journal parisien « Le Mercure de France » relatera le procès en citant le nom du jeune collaborateur de Maître Buissart. (11)

 

     Robespierre fait, en outre, imprimer sa plaidoirie : 500 exemplaires, financés par M. de Vissery de Bois-Valé, qu'il va adresser aux savants du monde entier ; ceux qui l'ont aidé à recueillir les renseignements techniques qui ont étayé tout son discours. Il en envoie même un exemplaire à Franklin accompagné d'une courte lettre :

 

« Monsieur,

 

« Une sentence de proscription rendue par les échevins de Saint-Omer contre les conducteurs électriques m'a présenté l'occasion de plaider au Conseil d'Artois la cause d'une découverte sublime, dont le genre humain vous est redevable.

« Le désir de contribuer à déraciner les préjugés qui s'opposent à ces progrès, dans notre province, m'a porté à faire imprimer le plaidoyer que j'ai prononcé dans cette affaire. »  (12)

 

 

    Le jeune avocat obtient, à l'issue de ce procès, ce qui constitue maintenant sa plus belle récompense : il est parvenu à se faire un nom.

 

    Plus à l'aise matériellement, Maximilien change de cadre de vie. Il loue, à la fin de l'année 1783, une maison Rue des Jésuites et s'y installe avec sa sœur Charlotte.(13)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1)  Cité par J.A. PARIS  « La jeunesse de Robespierre et la convocation des Etats Généraux en Artois »  op. cit. Pages 35 et 36

 

(2)  Mathias René Joseph WATTELET DE VINELLE Conseiller au Conseil d’Artois

 

(3)  François-Joseph BRIOIS était le Premier Président du Conseil d’Artois où il avait succédé à son père.

 

(4  )DELYS Commis greffier au Conseil d’Artois

 

(5)  Cité par André STIL  "Quand Robespierre et Danton..."  op. cit. Page 30

 

(6)  Cité par J.A. PARIS  « La jeunesse de Robespierre et la convocation des Etats Généraux en Artois »  op. cit. Pages 49 et 50

 

(7)  Cité par Victor BARBIER et Charles VELLAY  "Œuvres Complètes de Robespierre"

        Revue Historique de la Révolution française, Paris, Vol 1, page 24

 

(8) Cité par A.J. PARIS  « La jeunesse de Robespierre et la convocation des Etats Généraux en Artois »  op. cit. Pages 52 et 53

 

(9)   Robespierre - Le Procès du Paratonnerre

        Cité par Claude MANCERON "Les Hommes de la Liberté"

        Vol. 3  "Le Bon Plaisir"   op. cit. Pages 239-240

 

(10)   cité par Claude MANCERON   "Les Hommes de la Liberté"

        op. cit.  vol 3, pages 241 et suivantes.

 

(11)   "Monsieur de ROBESPIERRE, jeune avocat d'un mérite rare, a déployé dans cette affaire qui était la cause des Sciences et des Arts, une éloquence et une sagacité, qui donne la plus haute idée de ses connaissances......"

A. MATHIEZ  "Etudes Robespierristes", Armand Collin, 1917, p.298

 

(12)   Albert COUSIN  "Franklin et Robespierre"

        PARIS, Champion, 1930, p.8

 

(13)   Il déménagera en 1787, pour aller habiter, jusqu'en 1789 une maison située rue des Rats-Porteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A SUIVRE :

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : ROBESPIERRE (4/50)

 

ENTREE A L'ACADEMIE D'ARRAS : 1783

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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