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24 décembre 2017 7 24 /12 /décembre /2017 09:00

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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (32/35)

 

Marie-Antoinette devant le Tribunal révolutionnaire

 

 

 

 

 

MARIE-ANTOINETTE DEVANT LE TRIBUNAL

REVOLUTIONNAIRE :

14 OCTOBRE - 16 OCTOBRE 1793

   

 

 

 

    Le procès commence le 14 Octobre. Marie-Antoinette, sur les conseils de ses défenseurs, a bien adressé à Herman une lettre demandant un délai supplémentaire afin que ses avocats puissent prendre connaissance du dossier. Sa lettre est restée sans réponse....

    Devant une salle comble, la Reine se présente dans une robe noire… Sa robe de deuil. Elle parait toujours calme et sereine mais son visage et ses mains montrent qu'elle est très amaigrie. Ses cheveux blancs lui donnent l'allure d'une femme de soixante ans alors qu'elle en a trente-huit à peine !

 

    Fouquier-Tinville ordonne au greffier de procéder à la lecture de l'acte d'accusation :

 

« Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, Accusateur Public près le Tribunal révolutionnaire (....)

« expose (...)

 

« ..Qu’à l'instar des Messaline, Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l'on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux, ne s'effaceront pas des fastes de l'histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été, depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français (..) »

 

« Que c'est la veuve Capet, d'intelligence avec la faction liberticide qui dominait alors l'Assemblée législative et pendant un temps la Convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohème et de Hongrie, son frère. »

 

« (..) Que c'est la veuve Capet, qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d'attaque qui étaient convenus dans le conseil ; de manière que par cette double trahison, les ennemis étaient toujours prévenus à l'avance des mouvements que devaient faire les armées de la République ; d'où suit la conséquence que la veuve Capet est l'auteur des revers qu'ont éprouvés en différents temps les armées françaises. »

 

« (...) que c'est elle qui a décidé Louis Capet à apposer son veto aux fameux et salutaires décrets rendus par l'Assemblée Législative contre les ci-devant princes frères de Louis Capet et les émigrés et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques répandus dans toute la France ; veto qui a été l'une des principales causes des maux qu'a éprouvé depuis la France. »

 

« (...) que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l'horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 Août, laquelle n'a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu'à cette fin, elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusque dans les souterrains, les Suisses qui, au terme des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet, qu'elle les a entretenus dans un état d'ivresse depuis le 9 jusqu'au 10 au matin, jour convenu pour l'exécution de cette horrible conspiration. »

 

« Que la veuve Capet, craignant sans doute que cette conspiration n'ait pas tout l'effet qu'elle s'en était promis, a été dans la soirée du 9 Août vers neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués travaillaient à des cartouches ; qu'en même temps qu'elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles (les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce) ; que le lendemain 10, il est notoire qu'elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries, vers cinq heures et demie du matin, passer la revue des véritables Suisses et d'autres scélérats qui en avaient pris l'habit et qu'à son retour elle lui a présenté un pistolet en lui disant : "voila le moment de vous montrer" et que sur son refus, elle l'a traité de lâche. »

 

« (..) Qu'enfin, la veuve Capet, immorale sous tous les rapports et nouvelle Agripine est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu'oubliant sa qualité de mère et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle n'a pas craint de se livrer avec Louis-Charles Capet, son fils, et de l'aveu de ce dernier, à des indécences dont l'idée et le nom seuls font frémir d'horreur. »  (1)

 

    Fouquier-Tinville reprend, un à un, tous les points évoqués par Hermann lors de l'interrogatoire. Malgré l'outrance des propos, l'absence totale de preuve redonne à Marie-Antoinette une lueur d'espoir ; elle écoute imperturbable.

    Commence alors le long défilé des témoins. Un grand nombre de témoins a été convoqués et se présentent à la barre pour rapporter quelques détails insignifiants, parfois grotesques ; des on-dit, des ragots, voire des mensonges. Ils vont, un à un, reprendre les faits que le Président Herman a accumulés. Ils vont tenter, vainement pour la plupart d'entre eux, d'apporter les preuves irréfutables dont le tribunal a tant besoin pour faire condamner la reine.

   Laurent Lecointre (2), premier témoin et député à la Convention, rapporte ce qu'il a vu à Versailles alors qu'il était commandant en second de la garde nationale. « Il entre dans tous les détails », ce sont les termes même du procès verbal, « des fêtes et orgies qui eurent lieu dans la ville de Versailles depuis l'année 1779 jusqu'au commencement de celle de 1789, dont le résultat a été une dilapidation effroyable dans les finances de la France.. » (3)

   Le témoin évoque bien évidemment, avec force détails, le repas du 1er Octobre 1789, l'ébriété des gardes du corps et des soldats du régiment de Flandres, les sourires de la Reine à leurs officiers, la cocarde tricolore foulée aux pieds,... Un récit que la reine connaît par cœur pour l'avoir entendu plusieurs fois, et chaque fois émaillé des mêmes mensonges.

 

LE PRESIDENT s'adressant à la reine : « Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin ? »

 

L’ACCUSEE : « Je n'ai aucune connaissance de la majeure partie des faits dont parle le témoin. Il est vrai que j'ai donné deux drapeaux à la garde nationale de Versailles ; il est vrai que nous avons fait le tour de la table le jour du repas des gardes-du-corps ; mais, voilà tout. »

 

LE PRESIDENT : « Vous convenez avoir été dans la salle des ci-devant gardes du corps ; y étiez-vous lorsque la musique a joué la musique : O Richard ! O mon Roi ! »

 

L’ACCUSEE : « Je ne m'en rappelle pas. »

 

LE PRESIDENT: « Y étiez-vous lorsque la santé de la nation fut proposée puis rejetée ? »

 

L’ACCUSEE : « Je ne le crois pas. »

 

LE PRESIDENT: « Il est notoire que le bruit de la France entière, à cette époque, était que vous aviez visité vous-même les trois corps armés qui se trouvaient à Versailles, pour les engager à défendre ce que vous appeliez les prérogatives du trône ? »

 

L’ACCUSEE : « Je n'ai rien à répondre. » (4)

 

 

   Dès cet instant Hermann a adopté une tactique qu'il va utiliser, avec succès, jusqu'au bout du procès : évoquer les bruits qui, assure-t-il, ont couru, les rumeurs, comme s'ils étaient des faits. Affirmer avec beaucoup d'aplomb ce qui n'est pour lui que des hypothèses ou des suppositions avec l'espoir que Marie-Antoinette va finir par avouer ou, tout au moins, faiblir dans sa défense. La reine, déjà, n'a plus l'assurance qu'elle avait deux jours plus tôt. La foule massée derrière elle l'impressionne. Elle entend les commentaires, le brouhaha qui suit les réponses qu'elle fait au président. Sans relâche Hermann poursuit ses questions même si celles-ci n'ont que peu de rapport avec la déposition du témoin que l'on vient d'entendre.

 

LE PRESIDENT: « Avant le 14 Juillet 1789, ne teniez-vous point des conciliabules nocturnes où assistait la Polignac, et n'était-ce point là que l'on délibérait sur les moyens de faire passer des fonds à l'empereur ? »

 

L’ACCUSEE : « Je n'ai jamais assisté à aucuns conciliabules. »

 

LE PRESIDENT: « Avez-vous connaissance du fameux lit de justice tenu par Louis Capet au milieu des représentants du peuple ? »

 

L’ACCUSEE : « Oui. »

 

LE PRESIDENT: « N'était-ce pas Despremesnil et Thouret, assistés de Barentin, qui rédigèrent les articles qui furent proposés ? »

 

L’ACCUSEE : « J'ignore absolument ce fait. »

 

LE PRESIDENT : « Vos réponses ne sont pas exactes, car c'est dans vos appartements que les articles ont été rédigés. »

 

L’ACCUSEE : « C'est dans le conseil où cette affaire a été arrêtée. »

 

LE PRESIDENT: « Votre mari ne vous a-t-il point lu le discours une demi-heure avant que d'entrer dans la salle des représentants du peuple, et ne l'avez-vous point engagé à le prononcer avec fermeté ? »

 

L’ACCUSEE : « Mon mari avait beaucoup de confiance en moi, et c'est cela qui l'avait engagé à m'en faire lecture ; mais je ne me suis permise aucune observation. » (4)

 

   C'est clair. On veut faire avouer à Marie-Antoinette qu'elle a eu une influence déterminante sur les actes de son mari. Des actes qui ont déjà été jugés et qui ont conduit le roi de France à la guillotine. Mais Marie-Antoinette ne cédera pas à la pression d'Hermann.

 

 

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (32/35)

 

Jacques René Hébert, témoin à charge lors du procès de Marie-Antoinette

 

 

    On appelle le deuxième témoin, Jean-Baptiste Lapierre, Adjudant général par intérim de la quatrième division. Il expose ce qui s'est passé au château des Tuileries dans la nuit du 20 au 21 Juin 1791 (5). Le témoin ayant terminé sa déposition, Hermann se contente de poser à Marie-Antoinette les questions posées deux jours plus tôt à propos de la présence de La Fayette* et Bailly. Marie-Antoinette fait évidemment les mêmes réponses.

   Roussillon, troisième témoin est chirurgien mais aussi canonnier. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il vient déposer sur la journée du 10 Août 1792 (6). Il affirme avoir trouvé, dans les appartements de la reine, des bouteilles d'alcool, certaines vides d'autres pleines. Et le témoin de conclure aussitôt que l'on avait fait boire les gardes suisses qui remplissaient le château pour les pousser à massacrer les patriotes. Le témoignage est sans aucun intérêt. Le pauvre Roussillon semble être venu là sur ordre et son témoignage ne résisterait pas à la moindre question ; mais il n'y aura pas de question. Les jurés manifestent l'apathie la plus complète ; aucun d'entre eux n'éprouve le besoin d'obtenir du témoin le moindre complément d'information. Hermann aussitôt reprend l'offensive :

 

LE PRESIDENT: « Avez-vous quelques observations à faire contre la déposition du témoin ? »

 

L’ACCUSEE : « J'étais sortie du château,  et j'ignore ce qui s'y est passé. »

 

LE PRESIDENT: « N'avez-vous point donné de l'argent pour faire boire les Suisses ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT: « N'avez-vous point dit, en sortant, à un officier suisse : Buvez,  mon ami, je me recommande à vous ! »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT: « Où avez-vous passé la nuit du 9 au 10 Août dont on vous parle ? »

 

L’ACCUSEE : « Je l'ai passée avec ma sœur (7) dans mon appartement, et ne me suis point couchée. »

 

LE PRESIDENT: « Pourquoi ne vous êtes-vous point couchée ? »

 

L’ACCUSEE : « Parce qu'à minuit nous avons entendu le tocsin sonner de toutes parts, et que l'on nous annonça que nous allions être attaqués. »

 

LE PRESIDENT: « N'est-ce point chez vous que se sont assemblés les ci-devant nobles et officiers suisses qui étaient au château ? N'est-ce point là que l'on a arrêté de faire feu sur le peuple ? »

 

L’ACCUSEE : « Personne n'est entré dans mon appartement. »

 

LE PRESIDENT: « N'avez-vous pas dans la nuit été trouver le ci-devant roi ? »

 

L’ACCUSEE : « Je suis restée dans son appartement jusqu'à une heure du matin. »

 

LE PRESIDENT: « Vous y avez vu sans doute tous les chevaliers du poignard et l'état-major des Suisses qui y étaient ? »

 

L’ACCUSEE : « J'y ai vu beaucoup de monde. »

 

LE PRESIDENT: « N'avez-vous rien vu écrire sur la table du ci-devant roi ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT: « Etiez-vous avec le roi lors de la revue qu'il a faite dans le jardin ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT : « N'étiez-vous point pendant ce temps à votre fenêtre ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »  (8)

 

   Herman tente encore de faire dire à la reine qu'elle a exercé des pressions sur les Suisses pour qu'ils ouvrent le feu sur le peuple ; mais Marie-Antoinette nie les faits. Le président fait alors appeler le témoin suivant. Il s'agit d'Hébert, substitut du procureur de la Commune. L'arrivée du témoin Hébert va subitement donner un autre ton à l'audience. Il dépose « ...qu'il fut chargé de différentes missions importantes, qui lui ont prouvé la conspiration d'Antoinette ; notamment, un jour, au Temple, il a trouvé un livre d'église à elle appartenant, dans lequel était un de ces signes contre-révolutionnaires, consistant en un cœur enflammé, traversé par une flèche, sur lequel était écrit : Jésus, miserere nobis... »  (9)

   Dans d'autres circonstances, moins dramatiques, un tel témoignage aurait fait pouffer de rire le jury tout entier. Mais personne ne se hasarde à faire remarquer au témoin Hébert que son témoignage est futile. Et Hébert poursuit, il cite d'autres anecdotes du même genre qu'il présente comme des preuves accablantes de la culpabilité de l'accusée et puis, soudain, il aborde la question de l'interrogatoire mené par lui auprès du jeune Capet. Il résulte des déclarations faites par le jeune Capet « ... qu'à l'époque de la fuite de Louis Capet à Varennes, La Fayette* était l'un de ceux qui avaient le plus contribué à la faciliter ; qu'il avait, pour cet effet, passé la nuit au château ; que, pendant leur séjour au Temple, les détenues n'avaient cessé pendant longtemps d'être instruites de ce qui se passait à l'extérieur ; on leur faisait passer des correspondances dans des hardes et souliers : le petit Capet nomma treize personnes comme étant celles qui avaient en partie coopéré à entretenir ces intelligences ; que l'un d'eux l'ayant enfermé avec sa sœur dans la tourelle, il entendit qu'il disait à sa mère : je vous procurerai le moyen de savoir des nouvelles, en envoyant tous les jours un colporteur  crier près de la tour le journal du soir. Enfin, le jeune Capet, dont la constitution physique dépérissait chaque jour, fut surpris par Simon dans des pollutions indécentes et funestes pour son tempérament ; que celui-ci lui ayant demandé qui lui avait appris ce manège criminel, il répondit que c'était à sa mère et à sa tante qu'il était redevable de la connaissance de cette habitude funeste. De la déclaration, observe le déposant, que le jeune Capet a faite en présence du Maire de Paris et du procureur de la commune, il résulte que ces deux femmes le faisaient souvent coucher entre elles deux ; que là, il se commettait des traits de la débauche la plus effrénée : qu'il n'y avait pas même à douter, par ce qu'a dit le fils Capet, qu'il n'y ait eu un acte incestueux entre la mère et le fils. »

« Après la mort de Capet, ces deux femmes traitaient le petit Capet avec la même déférence que s'il avait été roi. Il avait, lorsqu'il était à table, la préséance sur sa mère et sur sa tante. Il était toujours servi le premier et occupait le haut-bout. » (10)

 

   La reine qui s'est raidie en entendant les dernières phrases d'Hébert, est saisie par l'émotion. Comme le public d'ailleurs, qui manifeste sa réprobation envers les propos que vient de tenir Hébert. Pour cacher son trouble, Marie-Antoinette réplique sèchement :

 

L’ACCUSEE : « L'avez-vous vu ? »

 

HEBERT : « Je ne l'ai pas vu, mais toute la municipalité le certifiera. »

 

LE PRESIDENT s'adressant à Marie-Antoinette : « N'avez-vous pas éprouvé un tressaillement de joie en voyant entrer avec Michonis, dans votre chambre à la Conciergerie, le particulier porteur d'œillet ? »

 

L’ACCUSEE : « Etant, depuis treize mois, renfermée sans avoir personne de connaissance, j'ai tressailli dans la crainte qu'il ne fut compromis par rapport à moi. »

 

LE PRESIDENT : « Ce particulier n'a-t-il pas été un de vos agents ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT : « N'était-il pas au ci-devant château des Tuileries le 20 Juin ? »

 

L’ACCUSEE : « Oui. »

 

LE PRESIDENT : « Et sans doute aussi dans la nuit du 9 au 10 Août ? » 

 

   Herman veut faire avouer à la reine le nom du chevalier à l'œillet ; il ne va pourtant pas trop insister car il sait bien que Marie-Antoinette ne dira rien. Alors que l'on se prépare à appeler le témoin suivant, un des jurés demande à intervenir.

 

UN JURE : « Citoyen président, je vous invite à vouloir bien observer à l'accusée qu'elle n'a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert, à l'égard de ce qui s'est passé entre elle et son fils. »

 

   Le Président Herman ne régit pas à l'interpellation. A peine le juré a-t-il fini sa phrase que la reine se dresse :

 

L’ACCUSEE : « Si je n'ai point répondu, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. »  (11)

 

   Nouveau brouhaha dans le public qui semble, pour un instant au moins, prendre le parti de la reine contre Hébert. A l'émotion qui l'a saisie lors de la déposition d'Hébert, a succédé la colère. On voit sur le visage de Marie-Antoinette une détermination que les acteurs du drame qui se joue ici ne lui connaissaient pas encore. Une fureur mêlée de haine, comme chaque fois que l'on a voulu s'en prendre à ses enfants...

 

    Le tribunal se contente d'enregistrer la déposition du témoin Hébert et l'audience se poursuit. Les témoins vont se succéder. Beaucoup de personnages insignifiants témoignant d’anecdotes ou de faits eux-mêmes insignifiants. Au milieu de ces personnages, on a cité à comparaître des personnalités comme l’Amiral d’Estaing ou Bailly ou Latour du Pin, ancien Ministre de la Guerre.

    A chaque fois le Président prend prétexte des questions posées à ces témoins de marque, dont les réponses tendent en général à disculper l’accusée, pour obliger Marie-Antoinette à avouer quel rôle elle a joué dans la conduite des affaires du royaume. Ainsi, alors que Latour du Pin vient de nier avoir organisé le départ de la famille royale vers Metz et qu’il vient d’assurer n’avoir jamais vu Marie-Antoinette siéger au Conseil, le Président se tourne vers la reine :

 

LE PRESIDENT : « Lorsque vous avez demandé au témoin l’état des armées, n’était-ce point pour le faire passer au roi de Bohême et de Hongrie ? »

 

L’ACCUSEE : « Comme cela était public, il n’était pas besoin que je lui en fisse passer l’état : les papiers publics auraient pu assez l’en instruire. »

 

LE PRESIDENT : « Quel était donc le motif qui vous faisait demander cet état ? »

 

L’ACCUSEE : « Comme le bruit courait que l’Assemblée voulait qu’il y eût des changements dans l’armée, je désirais savoir l’état des régiments qui seraient supprimés. »

 

LE PRESIDENT : « N’avez-vous jamais abusé de l’influence que vous aviez sur votre époux pour en tirer des bons sur le trésor public ? »

 

L’ACCUSEE : « Jamais. »

 

LE PRESIDENT : « Où avez-vous donc pris l’argent avec lequel vous avez fait construire et meubler le petit Trianon, dans lequel vous donniez des fêtes dont vous étiez toujours la déesse ? »

 

L’ACCUSEE : « C’était un fond que l’on avait destiné à cet effet. »

 

LE PRESIDENT : « Il fallait donc que ce fond fut conséquent, car le petit Trianon doit avoir coûté des sommes énormes ? »

 

L’ACCUSEE : « Il est fort possible que le petit Trianon ait coûté des sommes immenses, peut-être plus que je n’aurais désiré ; on avait été entraîné dans des dépenses peu à peu ; du reste, je désire plus que personne que l’on soit instruits de ce qui s’y est passé. »

 

LE PRESIDENT : « N’est-ce pas au petit Trianon que vous avez connu la femme Lamotte ? »

 

L’ACCUSEE : « Je ne l’ai jamais vue. »

 

LE PRESIDENT : « N’a-t-elle pas été votre victime dans l’affaire du fameux collier? » 

 

L’ACCUSEE : « Elle n’a pu l’être, puisque je ne la connaissais pas. »

 

LE PRESIDENT : « Vous persistez donc à nier que vous l’avez connue ? »

 

L’ACCUSEE : « Mon plan n’est pas la dénégation ; c’est la vérité que j’ai dite, et que je persisterai à dire. »

 

LE PRESIDENT : « N’était-ce pas vous qui faisiez nommer les Ministres, et aux autres places civiles et militaires ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT : « N’aviez-vous pas une liste des personnes que vous désiriez placer, avec des notes encadrées sous verre ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT : « N’avez-vous pas forcé différents Ministres à accepter pour les places vacantes les personnes que vous leur désigniez ? »

 

L’ACCUSEE : « Non. »

 

LE PRESIDENT : « N’avez-vous pas forcé les Ministres des Finances à vous délivrer des fonds, et sur ce que quelques-uns d’entre eux s’y sont refusés, ne les avez-vous pas menacés de toute votre indignation ? »

 

L’ACCUSEE : « Jamais. »

 

LE PRESIDENT : « N’avez-vous pas sollicité Vergennes à faire passer six millions au roi de Bohême et de Hongrie ? » 

 

L’ACCUSEE : « Non. »  (12)

 

 

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION :  MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (32/35)

 

Claude François CHAUVEAU-LAGARDE l'un des avocats de Marie-Antoinette

 

 

    Plusieurs dizaines de témoins vont ainsi défiler, jusqu'à la levée de la séance vers onze heures du soir. Marie-Antoinette aura subie, quinze heures d'affilées, ce flot de paroles dans lequel se mêlent mensonges, calomnies, insinuations...

 

    Le procès reprend le 15 à neuf heures du matin. Nouveau défilé de témoins - il y en aura quarante en tout - qui se termine à minuit, sans que la moindre preuve de culpabilité n'ait été apportée. Herman, d'un ton solennel, demande alors à Marie-Antoinette :

 

«  Ne vous reste-t-il plus rien à ajouter pour votre défense ? »

 

«  Hier, je ne connaissais pas les témoins. J'ignorais ce qu'ils allaient déposer. Eh bien, personne n'a articulé contre moi aucun fait positif ! »

« Je finis en observant que je n'étais que la femme de Louis XVI*, et qu'il fallait bien que je me conformasse à ses volontés. »  (13)

 

    Sans rien ajouter d'autre, Herman annonce que les débats sont terminés et laisse la parole à Fouquier-Tinville pour un long réquisitoire. Puis, c'est au tour des avocats de la Reine de présenter leur défense. Ils vont le faire avec beaucoup de zèle et d'obstination, mais ils savent déjà que la cause qu'ils plaident est totalement désespérée. On ne les entend que pour la forme, pour donner à ce procès un semblant de vérité...

    On fait alors sortir l'accusée et le Président du Tribunal s'adresse aux jurés :

 

            « Citoyens jurés,

 

« Le peuple français, par l'organe de l'accusateur public, a accusé devant le jury national Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, d'avoir été la complice ou plutôt l'instigatrice de la plupart des crimes dont s'est rendu coupable ce dernier tyran de la France, d'avoir eu elle-même des intelligences avec les puissances étrangères, notamment le roi de Bohême et de Hongrie, son frère, avec les ci-devant princes français, avec les généraux perfides ; d'avoir fourni à ces ennemis de la république des secours en argent, et d'avoir conspiré  avec eux contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat. »

   « Un grand exemple est donné en ce jour à l'univers, et sans doute il ne sera pas perdu pour les peuples qui l'habitent. La nature et la raison, si longtemps outragées, sont satisfaites, l'égalité triomphe ! »

   « Une femme qu'environnaient naguère tous les prestiges les plus brillants que l'orgueil des rois et la bassesse des esclaves avaient pu inventer, occupe aujourd'hui, eu tribunal de la nation, la place qu'occupait il y a deux jours une autre femme, et cette égalité lui assure une justice impartiale. »

   « Cette affaire, citoyens jurés, n'est pas de celles ou un seul fait, un seul délit est soumis à votre conscience et à vos lumières. Vous avez à juger toute la vie politique de l'accusée depuis qu'elle est venue s'asseoir à côté du dernier roi des Français. Mais vous devez surtout fixer votre délibération sur les manœuvres qu'elle n'a cessé un instant d'employer pour détruire la liberté naissante, soit dans l'intérieur par des liaisons intimes avec d'infâmes ministres, de perfides généraux, d'infidèles représentants du peuple ; soit au-dehors, en faisant négocier cette coalition monstrueuse des despotes de l'Europe à laquelle l'histoire réserve le ridicule pour son impuissance ; enfin par ses correspondances avec les princes français émigrés et leurs dignes agents. »

   « Si l'on eût voulu de tous ces faits une preuve orale, il eût fallu faire comparaître l'accusée devant tout le peuple français. La preuve matérielle se trouve dans les papiers qui ont été saisis chez  Louis Capet, énumérés dans un rapport fait à la Convention nationale par Gohier, l'un de ses membres, (14) dans le recueil des pièces justificatives de l'acte d'accusation porté contre Louis Capet par la Convention ; enfin, et principalement, citoyens jurés, dans les événements politiques dont vous avez tous été les témoins et les juges. »

   « S'il eût été permis, en remplissant un ministère impassible, de se livrer à des mouvements que la passion de l'humanité commandait, nous eussions évoqué devant le jury national les mânes de nos frères égorgés à Nancy, au Champs de Mars, aux frontières, à la Vendée, à Marseille, à Lyon, à Toulon, par suite des machinations infernales de cette moderne Medicis ; nous eussions fait amener devant vous les pères, les mères, les épouses et les enfants de ces malheureux patriotes ! Que dis-je, malheureux ? Ils sont morts pour la liberté et fidèles à leur patrie ! Toutes ces familles éplorées et dans le désespoir de la nature auraient accusé Antoinette de leur avoir enlevé ce qu'elles avaient de plus cher au monde et dont la privation leur rend la vie insupportable. »

   « Et en effet, si les satellites du despote autrichien ont entamé pour un moment nos frontières,  et s'ils y commettent des atrocités dont l'histoire ne fournit pas encore d'exemple ; si nos ports, si nos camps, si nos villes sont vendus et livrés, n'est-ce pas évidemment le résultat des manœuvres combinées au château des Tuileries et dont Antoinette d'Autriche était l'instigatrice et le centre ? »

   « Ce sont, citoyens jurés, tous ces événements politiques qui forment la masse des preuves qui accablent Antoinette. »

   « Quant aux déclarations qui ont été faites dans l'instruction de ce procès, et aux débats qui ont eu lieu, il en est résulté quelques faits qui viennent directement à la preuve de l'accusation portée contre la veuve Capet. Tous les autres détails faits pour servir à l'histoire de la Révolution ou au procès de quelques personnages fameux et de quelques fonctionnaires publics infidèles, disparaissent devant l'accusation de haute trahison qui pèse essentiellement sur Antoinette d'Autriche, veuve du ci-devant roi. »     (15)

 

   Herman se lance alors dans un résumé des dépositions de témoins et conclut :

 

   « Je vais finir par une réflexion générale que j'ai déjà eu l'occasion de vous présenter. C'est le peuple français qui accuse Antoinette, tous les événements politiques qui ont eu lieu depuis cinq années déposent contre elle. »

«  Voici les questions que le Tribunal a arrêté de vous soumettre :

 

1° Est-il constant qu'il ait existé des manœuvres et intelligences avec les puissances étrangères et autres ennemis extérieurs de la République, lesdites manœuvres et intelligences tendant à leur fournir des secours en argent, à leur donner l'entrée du territoire français et à y faciliter les progrès de leurs armes ?

 

2° Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet est-elle convaincue d'avoir coopéré à ces manœuvres et d'avoir entretenu ces intelligences ?

 

3° Est-il constant qu'il a existé un complot et conspiration tendant à allumer la guerre civile dans l'intérieur de la République ?

 

4° Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir participé à ce complot et conspiration ? (16)

 

    Dans ces quatre questions, Herman a l'habileté de n'évoquer que ce qui peut être reproché de plus grave à la Reine. On ne parle plus des fêtes et des orgies de Versailles, ni de la fuite de Varennes, ni même du 10 Août !... Les trahisons de l'Autrichienne ne sont-elles pas évidentes pour tout le monde,  même si le procès n'a rien démontré sur ce sujet comme sur les autres.

    Le jury délibère. Une heure lui suffira pour rendre son verdict : il répond par l'affirmative, et à l'unanimité, aux quatre questions qui lui ont été posées. Le Président, qui pressent sans doute des mouvements de foule à l'énoncé du verdict,  prend alors à nouveau la parole :

 

« Si ce n'était pas des hommes libres et qui par conséquent sentent toute la dignité de leur être qui remplissent l'auditoire, je devrais peut être leur rappeler qu'au moment ou la justice nationale va prononcer la loi, la raison, la moralité, leur commandent le plus grand calme ; que la loi leur défend tout signe d'approbation, et qu'une personne, de quelques crimes qu'elle soit couverte, une fois atteinte par la loi, n'appartient plus qu'au malheur et à l'humanité. »  (17)

 

   Hermann ordonne alors que l'on ramène l'accusée à l'audience. Marie-Antoinette entre lentement. Elle est si pâle que le silence se fait aussitôt dans la salle du tribunal pourtant bondée à cette heure. C'est Fouquier-Tinville qui prend la parole et requiert :

 

   « Que l'accusée soit condamnée à la peine de mort, conformément à l'article premier de la première section du titre premier de la deuxième partie du code pénal stipulant que toute intelligence avec les ennemis de la France, tendant, soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l'Empire français, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d'une manière quelconque les progrès de leurs armes sur le territoire français, ou contre nos forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats et autres citoyens envers la Nation française seront punis de mort.

" Et encore à l'article II de la première section du titre premier de la seconde partie du même code stipulant que toute conspiration et complot tendant à troubler l'Etat, par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, ou contre l'exercice de l'autorité légitime, seront punis de mort. «   (18)

 

LE PRESIDENT s'adressant à Marie-Antoinette : « Avez-vous quelques réclamations à faire sur l'application des lois invoquées par l'accusateur public ? »

 

   Marie-Antoinette se contente de secouer la tête négativement. Le Président renouvelle alors sa question à l'adresse des défenseurs de la Reine. C'est Tronson-Ducoudray qui répond :

 

TRONSON DUCOUDRAY : « Citoyen Président, la déclaration du jury étant précise, et la loi formelle à cet égard, j'annonce que mon ministère à l'égard de la veuve Capet est terminé. »

 

LE PRESIDENT : « Le tribunal, d'après la déclaration unanime du jury, faisant droit sur le réquisitoire de l'accusateur public, d'après les lois par lui citées, condamne ladite Marie-Antoinette, dite Lorraine d'Autriche, veuve de Louis Capet, à la peine de mort ; déclare, conformément à la loi du 10 Mars dernier, ses biens, si aucuns elle a dans l'étendue du territoire français, acquis et confisqués au profit de la République ; ordonne qu'à la requête de l'accusateur public, le présent jugement sera exécuté sur la Place de la Révolution, imprimé et affiché dans toute l'étendue de la République. »  (19)

 

    Nous sommes le 16 Octobre 1793 ; il est quatre heures du matin. Marie-Antoinette se lève ; rien sur son visage, ne trahit l'immense fatigue qui vient de s'abattre sur tout son corps..... Rien non plus, dans ses mouvements, ne laisse paraître l'émotion intense qu’elle ressent depuis l'annonce du terrible verdict.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1)    Cité par sabine FLAISSIER  « Marie-Antoinette en Accusation »  op. cit. Pages 6, 305, 313, 325.

 

(2)   LECOINTRE : (Laurent) : Marchand de toiles à Versailles il devient commandant d’un bataillon de la Garde Nationale de cette ville et participa, à ce titre, aux journées des 5 et 6 octobre 1789.Elu député à la Législative puis à la Convention Nantionale en 1792/ Il votera la mort du Roi mais qualifiera, quelques mois plus tard, Robespierre* de tyran.

Il sera exilé dans sa propriété de Guignes par le Consulat. Il mourra là en 1805.

(3)   "Le Procès de Marie-Antoinette" commenté par G. WALTER op. cit. Pages 53 et 54.

 

(4)   Idem pages 54 à 56

 

(5)   Il s'agit, rappelons le, de la fuite du roi qui se terminera à Varennes.

 

(6)   Chute de la royauté après l'attaque, par les parisiens, du château des Tuileries.

 

(7)   Il s'agit en fait de la sœur du roi Louis XVI* madame Elisabeth.

 

(8)   "Le Procès de Marie Antoinette" commenté par G. Walter op. cit. Pages

 

(9)   Idem page 59

 

(10)  Idem pages 59 et 60.

 

(11)  Idem page 61

 

(12)   Idem pages 78-79.

 

(13)  Idem page 93

 

(14)  Dans ses commentaires des minutes du Procès de Marie-Antoinette G. WALTER précise qu'il s'agit d'une erreur. Gohier n'était pas membre de la Convention mais Ministre de ....

 

(15)  "Le Procès de Marie-Antoinette" commenté par G. WALTER  op. cit. Pages 93 à 95.

 

(16)  Idem pages 95 et 96.

 

(17)  Idem page 96.

 

(18)  Idem pages 96 et 97.

 

(19)  Idem page 97.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A SUIVRE :

 

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (33/35)

 

LA DERNIERE LETTRE : 16 OCTOBRE 1793

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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