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Marie-Antoinette devant ses juges
LA REINE AU PALAIS DE JUSTICE : 12 OCTOBRE 1793
Le 12 Octobre 1793, Marie-Antoinette est conduite au Palais de Justice. Après avoir été enfermée pendant quarante et un jours à la Conciergerie, humiliée, broyée depuis des mois au Temple, on la croit définitivement brisée. Et pourtant, sa détermination est restée intacte, son courage et sa fierté n'ont pas faibli : ses juges, et bientôt les jurés, vont, très vite, en avoir la preuve.
En cette période, la Terreur est à son comble et la Convention nationale, poussée par les plus extrémistes tels Hébert ou Billaud-Varenne, a décidé d'en finir avec l'Autrichienne qui, du fond de sa prison, constitue toujours une menace pour la République. La décision d’ouvrir le procès de la reine a été prise le 3 Octobre ; le 5, l'Accusateur public Fouquier-Tinville (1) se plaint de ne pas avoir entre les mains un dossier suffisamment consistant pour faire condamner la veuve Capet. On a donc envoyé, en toute hâte, le Maire, le Procureur de la Commune et trois officiers interroger les prisonniers du Temple. Ils n'ont rien obtenu de Mousseline, rien non plus de Madame Elisabeth, mais ils prétendront avoir fait avouer au Dauphin que sa mère et sa tante se livraient régulièrement sur lui à des « attouchements indécents ».
En ce matin du 12 Octobre, le Président du Tribunal révolutionnaire, Armand-Martial Joseph Hermann (2) siégeant dans la grande salle du Palais de Justice, commence l'interrogatoire selon la procédure rituelle :
« Avons fait amener de la Maison de la Conciergerie Marie-Antoinette veuve Capet, à laquelle nous avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure.
A répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine d'Autriche, âgée de trente-huit ans, veuve du roi de France » (3)
Il est à peine six heures du matin. Cet interrogatoire secret se déroule dans la grande salle d'audience vide et froide. Seuls sont présents, aux côtés du Président, Fouquier-Tinville et un greffier. Les questions d'Hermann sont brèves et claquent sèchement.
LE PRESIDENT : « Quelle était votre demeure au moment de votre arrestation ? » (4)
L’ACCUSEE : « Je n'ai point été arrêtée. On est venu me prendre à l'Assemblée Nationale pour me conduire au Temple. »
LE PRESIDENT : « Vous avez eu avant la révolution des rapports politiques avec le roi de Bohême et de Hongrie, et ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France qui vous comblait de biens ? »
L’ACCUSEE : « Le roi de Bohême et de Hongrie était mon frère. Je n'ai eu avec lui que des rapports d'amitié et point de politique. Si j'avais eu de la politique, mes rapports n'eussent été qu'à l'avantage de la France, à laquelle je tenais par la famille que j'ai épousée. »
LE PRESIDENT : « Non contente de dilapider d'une manière effroyable les finances de la France, fruit des sueurs du peuple, pour vos plaisirs et vos intrigues, de concert avec d'infâmes ministres, vous avez fait passer à l'Empereur des millions pour servir contre le peuple qui vous nourrissait ? »
L’ACCUSEE : « Jamais ! Je sais que souvent on s'est servi de ce moyen contre moi, mais j'aimais trop mon époux pour dilapider l'argent de son pays. Mon frère n'avait d'ailleurs pas besoin de l'argent de la France et, par les mêmes principes qui m'attachaient à la France, je ne lui en aurais point donné. »
Les questions du Président Hermann se font plus pressantes. Il sait, bien évidemment, que les charges les plus graves qui seront retenues contre Marie-Antoinette porteront sur ses relations avec les puissances étrangères
LE PRESIDENT : « Depuis la Révolution, vous n'avez cessé un instant de manœuvrer chez les puissances étrangères et dans l'intérieur contre la liberté, lors même que nous n'avions encore que le simulacre de cette liberté que veut absolument le peuple français ? » (5)
L’ACCUSEE : « Depuis la révolution je me suis interdit personnellement toute correspondance au-dehors et je ne me suis jamais mêlée de l'intérieur. »
LE PRESIDENT : « N'avez-vous employé aucun agent secret pour correspondre avec les puissances étrangères notamment avec votre frère ? »
L’ACCUSEE : « Jamais de la vie ! »
LE PRESIDENT : « Je vous fais observer que votre réponse ne me parait pas exacte ; car il est constant qu'il existait au ci-devant château des Tuileries des conciliabules secrets et nocturnes que vous présidiez vous-même, et dans lesquels on discutait, délibérait et arrêtait les réponses à faire aux puissances étrangères et aux Assemblées Constituante et Législative successivement ? "
L’ACCUSEE : « Je confirme que ma réponse précédente est parfaitement exacte. Il est constant que le bruit de ces comités a existé toutes les fois que l'on a voulu tromper le peuple et l'amuser. Jamais je n'ai connu de Comité, il n'en a jamais existé (...) »
Marie-Antoinette est digne, elle parait même sereine malgré le flot des questions qui lui sont posées par le Président. Elle ment avec beaucoup d'aplomb et jamais Hermann ne parviendra à la prendre en défaut. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé : après avoir tenté de lui faire avouer ses relations avec les Cours étrangères, le Président du Tribunal révolutionnaire entreprend de faire endosser à Marie-Antoinette les fautes dont on a accusé Louis XVI*, lors de son procès :
LE PRESIDENT : « C'est vous qui avez appris à Louis Capet cet art de profonde dissimulation avec laquelle il a trompé trop longtemps le bon peuple français, qui ne se doutait pas qu'on put porter à un tel degré le scélératisme et la perfidie ! »
L’ACCUSEE : « Oui le peuple a été trompé ; il l'a été cruellement mais ce n'est ni par mon mari ni par moi.... »
LE PRESIDENT : « Par qui donc le peuple a-t-il été trompé ? »
L’ACCUSEE : « Par ceux qui y avaient intérêt. Ce n'était pas le nôtre de le tromper. »
LE PRESIDENT : « Qui sont donc ceux qui, dans votre opinion, avaient intérêt à tromper le peuple ? »
L’ACCUSEE : « Je ne connaissais pas leur intérêt mais le nôtre était de l’éclairer et non de le tromper. »
LE PRESIDENT : « Vous ne répondez pas directement à la question »
L’ACCUSEE : « J’y répondrais directement si je connaissais les noms des personnes. »
LE PRESIDENT : « Vous avez été l'instigatrice principale de la trahison de Louis Capet ; c'est par vos conseils et peut être par vos persécutions, qu'il a voulu fuir la France, pour se mettre à la tête des furieux qui voulaient déchirer leur Patrie. »
L’ACCUSEE : « Mon époux n'a jamais voulu fuir la France ; je l'ai suivi partout ; mais, s'il avait voulu sortir de son pays, j'aurais employé tous les moyens pour l'en dissuader, mais ce n'était pas son intention. »
LE PRESIDENT : « Quel était donc le but du voyage connu sous le nom de Varennes ? »
L’ACCUSEE : « De se donner la liberté qu'il ne pouvait avoir ici aux yeux de personne, et de se concilier de là tous les partis pour le bonheur et la tranquillité de la France. »
LE PRESIDENT : « Pourquoi voyagiez-vous alors sous le nom emprunté d’une baronne russe ? »
L’ACCUSEE : « Parce que nous ne pouvions pas sortir de Paris sans changer de nom. »
LE PRESIDENT : « Entre autres personnes qui ont favorisé votre évasion, La Fayette*, Bailly et Renard, architecte, n’étaient-ils pas du nombre ? »
L’ACCUSEE : « Les deux premières personnes auraient été les dernières que nous aurions employées ; la troisième était dans le temps sous nos ordres mais elle n’a jamais été employée à cet effet. »
LE PRESIDENT : « Votre réponse est contradictoire avec les déclarations faites par des personnes qui ont fuit avec vous et desquelles il résulte : que la voiture de La Fayette*, au moment où tous les fugitifs sont descendus par l’appartement d’une femme au service de l’accusée, était dans l’une des cours, et que La Fayette* et Bailly observaient tandis que Renard dirigeait la marche ? »
L’ACCUSEE : « Je ne sais pas quelles dépositions ont pu faire les personnes qui étaient avec moi ; ce que je sais, c’est que c’est moi qui ai rencontré, dans la Place du Carrousel, la voiture de La Fayette*, mais elle passait son chemin et elle était bien loin de s’arrêter ; quant à Renard, je peux assurer qu’il ne dirigeait pas la marche ; c’est moi seule qui ait ouvert la porte et fait sortir tout le monde. »
Antoine Fouquier-Tinville
Le Président qui, depuis un moment, cherche une faille dans les réponses de Marie-Antoinette, saute sur cette dernière phrase pour tenter de démontrer que c’est elle qui a tout arrangé dans l’épisode de Varennes :
LE PRESIDENT : « J’observe que, de cet aveu que vous avez ouvert la porte et fait sortir tout le monde, il ne reste aucun doute que c’est vous qui dirigiez Louis Capet dans ses actions et qui l’avez déterminé à fuir »
L’ACCUSEE : « Je ne crois pas qu’une porte ouverte prouve qu’on dirige les actions en général de quelqu’un ; mon époux désirait et croyait devoir sortir d’ici avec ses enfants, je devais le suivre, c’était mon devoir, mon sentiment ; je devais tout employer pour rendre sa sortie sûre. »
Marie-Antoinette continue à mentir, sans se décontenancer le moins du monde, et son calme parvient à faire exploser Herman qui, subitement, hausse le ton :
LE PRESIDENT : « Vous n'avez jamais cessé un moment de vouloir détruire la liberté ; vous vouliez régner à quelque prix que ce fut et remonter au trône sur les cadavres des patriotes. »
L’ACCUSEE : « Nous n'avions pas besoin de remonter sur le trône puisque nous y étions ; nous n'avons jamais désiré que le bonheur de la France, qu'elle fut heureuse... »
LE PRESIDENT : « Vous avez eu avec des ci-devant princes français, depuis qu'ils sont sortis de France, des intelligences ; vous avez conspiré avec eux contre la sûreté de l'Etat. »
« Vous avez entretenu une correspondance suivie avec vos frères pour leur demander une intervention militaire contre la France. »
L’ACCUSEE : « Je n'ai jamais eu aucune intelligence avec aucun Français du dehors ; quant à mes frères, il est possible que j'ai écrit une ou deux lettres insignifiantes ; mais je ne le crois pas, car je me rappelle en avoir refusé souvent. »
Il s'ensuit une avalanche de questions avec lesquelles Herman va tenter, en vain, de faire prononcer à la Reine le mot qui déciderait enfin de sa culpabilité. Mais Marie-Antoinette tient bon ; pas un seul instant elle ne va relâcher son attention :
LE PRESIDENT : « Vous avez dit le 4 Octobre 1789 que vous étiez enchantée de la journée du 1er Octobre, journée remarquable par une orgie des gardes du corps et du régiment de Flandres qui, dans l'épanchement de l'ivresse, avait exprimé leur dévouement pour le trône et leur aversion pour le peuple, et avait foulé aux pieds la cocarde nationale pour arborer la cocarde blanche. »
L’ACCUSEE : « Je ne me rappelle pas avoir dit pareille chose ; mais il est possible que j'aie dit avoir été touchée du premier sentiment qui animait cette fête. Quant au reste de la question, il ne fallait pas l'ivresse pour que les gardes du corps témoignent du dévouement et de l'attachement pour les personnes au service desquelles ils étaient. Pour ce qui est de la cocarde, si elle a existé, ce ne pouvait être que l'erreur de quelques-uns uns mais que nous ne l'avons pas su. Si non nous l'aurions désapprouvé dans le moment (..)»
LE PRESIDENT : « Quel intérêt mettez-vous aux armes de la République ? »
L’ACCUSEE : « Le bonheur de la France est celui que je désire par-dessus tout.»
LE PRESIDENT: « Pensez-vous que les rois soient nécessaires au bonheur des peuples ? »
L’ACCUSEE : « Un individu ne peut pas décider de cette chose. »
LE PRESIDENT : « Vous regrettez, sans doute, que votre fils ait perdu un trône sur lequel il eut pu monter, si le peuple enfin éclairé sur ses droits, n'eut pas brisé le trône ? »
L’ACCUSEE : « Je ne regretterai rien pour mon fils, quand mon pays sera heureux. »
LE PRESIDENT : « Quelle est votre opinion sur la journée du 10 Août, où les Suisses, par l'ordre du maître du château, ont tiré sur le peuple ? »
L’ACCUSEE : « J'étais hors du château quand on a commencé à tirer. Je ne sais comment cela s'est passé. Je sais seulement que jamais l'ordre n'a été donné de tirer. »
Suit un interrogatoire portant sur la vie à la prison du Temple et sur les conspirations mises en œuvre pour faire évader les membres de la famille royale. Là encore Hermann ne peut avancer aucune preuve et Marie-Antoinette répond, toujours avec le même calme apparent, sans se laisser troubler par les pièges que lui tend le Président. Hermann suspend alors la séance après avoir nommé deux défenseurs à la Reine : Tronson du Coudray et Chauveau-Lagarde.
Tandis que la prisonnière est reconduite à la Conciergerie, Fouquier-Tinville rédige déjà l'acte d'accusation. Il n'a pas de preuve, pas d'aveux, qu'importe ! La décision n'est-elle pas entre ses mains ? Les juges, les jurés, les témoins ne sont-ils pas tous acquis au Tribunal ? Qui oserait d'ailleurs, hormis ses avocats, défendre la veuve Capet en cette période où le moindre mot, le plus petit écrit suffit à rendre suspect donc à encourir le risque de la guillotine ?
(1) FOUQUIER-TINVILLE : Né en 1746, il mène une existence obscure jusqu'au jour ou son cousin Camille Desmoulins*, nouveau secrétaire général du ministre de la justice Danton*, lui offre d'être directeur du jury du tribunal formé le 17 Août 1792. Ce tribunal ayant été dissout, Fouquier-Tinville végète encore quelque temps puis est nommé, en Mars 1793, l'un des trois substituts de l'accusateur public au Tribunal révolutionnaire.
Pendant seize mois il va voir défiler Marie-Antoinette, les Girondins, les Hébertistes, les Dantonistes,...
Fonctionnaire zélé, il rend compte, chaque soir au Comité de Salut Public des audiences de la journée. Il finira par prendre peur devant le nombre des exécutions et les parodies de justice qu'on lui fait appliquer. il prend alors contact avec les membres du Comité de Sûreté Générale et participe à l'élimination des robespierristes, ses anciens maîtres.
Accusé par la Convention, il sera guillotiné le 7 Mai 1795.
(2) HERMANN (Martial Joseph Armand) : Né le 29 Août 1759. Substitut de l'Avocat Général au Conseil provincial d'Artois et amis de Robespierre*, Hermann devient Président du Tribunal criminel du Pas de Calais à la Révolution.
C'est Robespierre* qui le fait venir à Paris pour prendre le poste de Président du Tribunal Révolutionnaire en Octobre 1793.
Jugé trop "mou", en particulier lors du procès de Danton*, il sera évincé avant d'être arrêté comme terroriste.
Condamné à mort, il sera guillotiné à Paris le 7 Mai 1795.
(3) Extraits de l'interrogatoire de Marie-Antoinette. "Le Procès de Marie-Antoinette 23-25 Vendémiaire an II" Actes du Tribunal révolutionnaire recueillis et commentés par Gérard WALTER, Editions Complexe, Paris, 1993, pages 45 et suivantes
(4) idem
(5) Idem.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (32/35)
MARIE-ANTOINETTE DEVANT LE TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE : 14 OCTOBRE - 16 OCTOBRE 1793