.
François Claude Amour, marquis de Bouillé
LE CHEF REVOLUTIONNAIRE :
SEPTEMBRE - DECEMBRE 1790
La Fayette*, on l'a bien compris, est devenu le principal obstacle aux ambitions de Danton. Ce dernier ne négligera désormais plus rien pour effacer l'affront reçu lors des élections à la Commune. Il attribue l'entière responsabilité de ses échecs répétés aux manœuvres du général.
Mais l'occasion attendue ne tarde pas à se présenter : c'est « l'affaire de Nancy » qu'il faut resituer dans son contexte. Dès juillet 1790, des rumeurs s'installent dans la capitale : on dit que les troupes autrichiennes basées en Belgique sont prêtes à passer nos frontières. On prétend aussi, et c'est sans doute beaucoup plus vrai, que les émigrés prennent les armes en attendant une intervention militaire que le Comte d'Artois (1) tente d'organiser avec le soutien des puissances étrangères.
A sein de l'armée, l'essentiel des postes d'officiers est encore tenu par des nobles qui s'opposent, de plus en plus fréquemment, aux décisions prises par l'Assemblée. La tension entre hommes de troupe patriotes et officiers aristocrates ne cesse de croître depuis quelques mois; les mutineries se multiplient, aussi bien dans les ports que dans les villes de garnison. Et lorsque la garnison de Nancy se révolte, en août 1790, pour une banale affaire de solde, le Marquis de Bouillé (2) qui sans doute veut faire un exemple, pratique une répression sanglante : une vingtaine de meneurs sont exécutés, quarante Suisses du Régiment de Châteauvieux sont envoyés aux galères.
La Fayette*, sans hésiter, soutient sans réserve son cousin Bouillé. Du coup, la popularité du général qui, au mois de juillet, était encore immense, est immédiatement ruinée auprès de la majorité des parisiens. Car l'affaire fait grand bruit et la population parisienne est indignée par cet acte qu’elle juge « contre-révolutionnaire ». Les Cordeliers, sur proposition de Danton, prennent un arrêté volontairement concis et digne :
« Quelque opinion que nous ayons de la valeur de toutes les gardes nationales qui ont eu part à la malheureuse affaire de Nancy, nous ne pouvons manifester d'autre sentiment que celui de la douleur.. » (3)
Mais le sentiment des sections est beaucoup plus fort que la douleur : c'est la colère. Elles exigent des sanctions sévères et immédiates contre les ministres responsables de la tragédie de Nancy. Derrière les ministres, un autre homme cristallise la colère des sectionnaires parisiens, cet homme c'est La Fayette*. Dans " L'Ami du Peuple" du 12 Octobre, Marat* l'exprime on ne peut plus clairement :
« Peut-on douter encore que le grand général, le héros des Deux Mondes, l'immortel restaurateur de la Liberté, ne soit le chef des contre-révolutionnaires, l'âme de toutes les conspirations contre la Patrie.. » (4)
Les sections se réunissent donc à l'Archevêché pour décider quelles doivent être les mesures à prendre afin d'exprimer la colère du peuple parisien. Un Bureau est élu, dans lequel Danton est nommé secrétaire. Une adresse est rédigée; et aussitôt se pose la question de savoir qui serait à la tête de la députation chargée de présenter cette adresse à l'Assemblée. On supplie Bailly, qui commence par refuser pour finalement accepter. Mais quel sera l'orateur ? Danton est désigné. Fait surprenant quand on se souvient à quel point les relations entre Danton et la Commune sont tendues. La seule explication plausible de ce choix est que, très certainement, Danton a pris une part importante dans la rédaction de l'adresse. Personne n’a donc osé lui refuser l’honneur de la présenter aux députés..
C'est donc lui qui se présente à la barre de l'Assemblée nationale le 10 Novembre. C'est la première fois qu'il se trouve à cette place. Il commence par une critique de l'Assemblée elle-même ce qui va être à l’origine de nombreuses interruptions :
DANTON : « L'Assemblée nationale a cru devoir décider qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur la proposition qui lui a été faite de déclarer au roi que les ministres avaient perdu la confiance publique (..) Sans doute qu'on attendait d'eux une démission que l'Assemblée nationale aura toujours le droit d'exiger lorsqu'elle le jugera convenable (..) »
« La Commune de Paris, plus à portée qu'aucune autre commune d'apprécier la conduite des ministres ..... »
Abbé MAURY : « Pourquoi cela ?... »
DANTON : « ...cette commune, composée de citoyens qui appartiennent en quelque sorte aux quatre-vingt-trois départements... »
DES VOIX A DROITE : « Ce n'est pas vrai !.. »
DANTON : « .. jalouse de remplir au gré de tous les bons Français..... »
VOIX A DROITE : « Il n'y en a pas d'autres!... »
DANTON : «.. Les devoirs de première sentinelle de la constitution, s'empresse d'apporter un vœu cher à tous les ennemis du despotisme; un vœu qui se serait fait entendre de toutes les parties de la grande famille de l'Etat, si les sections de l'Empire avaient pu se réunir aussi promptement que celles de Paris. Ce vœu est le renvoi prompt, le renvoi immédiat des ministres. » (5)
Il lit ensuite un texte extrêmement sévère à l'égard des ministres dont il vient de demander le renvoi : Champion de Cicé, Garde des Sceaux pour avoir favorisé, par diverses mesures, la contre-révolution; Guignard ci-devant Comte de Saint-Priest, ministre de l'intérieur, pour avoir dit, entre autres choses, qu'il espérait « couper quelques têtes de patriotes »; La Tour du Pin Paulin, ministre de la guerre, qui bénéficie d'une certaine indulgence car, dit l'orateur, il est :
« ..... Incapable d'aucune action qui lui fut propre, mais ennemi de la Révolution, parce qu'il prenait ses parchemins et sa vanité pour une véritable noblesse, mais moins coupable qu'un autre parce que sa maladresse ne lui permettait pas d'être dangereux. » (6)
Danton est souvent interrompu, soit par des applaudissements en provenance du côté gauche de l'Assemblée, soit par des cris demandant au président de séance de rappeler à l'ordre l'orateur. Il poursuit imperturbablement et, de sa voix forte, couvre le chahut.
La conclusion de l'adresse demande la prompte organisation d'une Haute Cour nationale ou d'un Tribunal « destiné à connaître les crimes de lèse-nation et de ceux de la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif. »
Curieusement, Monsieur de Montmorin, Ministre des Affaires Etrangères, est épargné par Danton. Cela ne peut, évidemment, être le fruit du hasard. Ceux qui sont convaincus de la vénalité du champenois y voient là une nouvelle preuve : l'auteur de l'adresse s'est évidemment bien gardé d'accabler celui que l’on soupçonne d’être son bienfaiteur occulte.
Jean Sifrein Maury Député du Clergé
Cette journée du 10 novembre est, pour Danton, une sorte de consécration. Il s'est imposé à la barre de l'Assemblée; il est surtout apparu comme l'un des principaux chefs de la Révolution, celui avec qui il faudra dorénavant compter. La Fayette*, Bailly et quelques autres l'avaient déjà compris depuis plusieurs mois, mais ils avaient eu fréquemment tendance à l'oublier. Fréron (7), dans « l'Orateur du peuple », ne tarit pas d'éloge sur le valeureux patriote :
« Le patriote Danton a exprimé, en vrai républicain, le vœu des sections sur le renvoi des ministres, de ces mêmes sections qui ont payé son brûlant patriotisme d'une si honteuse ingratitude lors de la nomination des membres du Conseil Municipal.. » (8)
L'adresse de la Commune porte ses fruits : Champion de Cicé et La Tour du Pin démissionnent de leur poste le 20 Novembre. Quant à la Haute Cour, elle sera créée quelques mois plus tard mais ne résoudra aucun des problèmes soulevés par la Commune en cette fin d'année 1790.
La démission du Ministre de la Justice Champion de Cicé a une autre conséquence beaucoup plus inattendue : il est remplacé par l'avocat Duport-Dutertre, second substitut du Procureur de la Commune de Paris. Il va donc y avoir de nouvelles élections à la Municipalité et Danton, qui n'a toujours pas perdu espoir, se porte à nouveau candidat. Une nouvelle fois, fin Décembre, il est complètement écrasé par un autre avocat Desmousseaux, par 386 voix contre 1558 sur 3265 votants !
Nouvel échec cuisant pour le champenois qui, cette fois-ci, se console plus facilement que lors de ses revers précédents. Il n'a pas dit son dernier mot !...
(1) ARTOIS (Charles Philippe, Comte d') : Né le 9 Octobre 1757 à Versailles. Frère cadet de Louis XVI*. N'aimant que la chasse, le jeu et les femmes, il est un farouche partisan de la monarchie absolue et qualifie de "canailles" les députés aux Etats Généraux. Il quitte la France dans la nuit du 16 au 17 Juillet 1789 pour Turin où il demeurera jusqu'en Mai 1791. Rejoignant son frère qui a pu passer la frontière, il s'établit à Coblence le 7 Juillet 1791 pour constituer une armée d'émigrés qui suit Brunswick.
Il tentera en Février 1793 de convaincre la Russie d'entrer en guerre contre la République puis il entrera en contact avec l'Angleterre.
(2) BOUILLE (François Claude Amour, Marquis de) : Né le 19 Novembre 1739, il entre dans l'armée à 14 ans. Au début de la Révolution, il est Commandant en Chef de la Lorraine, de l'Alsace et de la Franche-Comté. Il est l'homme de la répression dans l'armée à Nancy au début de Septembre 1790.
Homme de confiance, on lui demandera d'organiser la fuite de la famille royale en Juin 1791. Il combattra avec les Princes émigrés en 1792 avant de se retirer à Londres.
(3) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 44
(4) cité par Albert SOBOUL "La Révolution française"
Gallimard, Paris, 1988, page 181
(5) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton..." op. cit. Page 108
(6) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 47
(7) FRERON (Stanislas Louis Marie) : Né à Paris le 17 Août 1754. Dès le début de la Révolution il finance "l'Orateur du peuple" journal auquel collabore Marat*. Il voue une haine sans bornes au couple royal et écrira dans ses colonnes des textes d'une rare grossièreté. Poursuivi après Varennes, il fait tout de même parti des meneurs de l'affaire du Champs de Mars le 17 Juillet 1791.
Il participera également activement à l'insurrection du 10 Août 1792. Elu par Paris à la Convention, il votera bien sûr la mort du Roi et, accompagné de Barras, deviendra en Provence un des plus ardent "missionnaire" de la Terreur.
Dénoncé par Hébert qui, lui-même, est effrayé par ses excès, il sera finalement accusé, à son retour à Paris en Janvier 1794, pour détournement de fonds.
Il se joindra aux ennemis de Robespierre* et sera l'un des artisans du 9 Thermidor. Son journal deviendra alors le principal organe de la réaction royaliste !
Il mourra à Saint-Domingue en 1802. Il y avait été envoyé comme sous-préfet.
(8) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 45
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (10/52)
LES AMIS SE RAPPROCHENT :
DECEMBRE 1790 - JANVIER 1791