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Fête de la Liberté et de la Raison à Notre-Dame de Paris
L'IMBROGLIO : SEPTEMBRE - NOVEMBRE 1793
Deux mois, à peine, se sont écoulés depuis que Danton a quitté la capitale pour une retraite inexpliquée à Arcis-sur-Aube et pourtant les changements qui se sont produits depuis son départ sont considérables. La terreur est en passe de faire triompher les Montagnards. La guillotine, en effet, les a délivrés d'une bonne partie de leurs opposants, ou de ceux qu'ils considéraient comme tels : les Girondins d'abord, mais aussi Philippe Egalité, Marie-Antoinette*, Madame Roland, Bailly...On prépare l'échafaud pour Barnave, Biron et beaucoup d'autres...
Pendant que dans Paris on menait cette politique de répression sanglante, la révolution remportait tout de même quelques victoires spectaculaires dans les provinces et à l’étranger. Les insurgés vendéens sont battus à Cholet le 17 Octobre (26 Vendémiaire); Lyon est repris aux rebelles, le 9 Octobre, par Fouché et Collot-d'Herbois; tandis qu'à l'extérieur, l'armée de Jourdan (1) triomphe à Wattignies les 16 et 17 Octobre.
La situation économique, par contre, ne s'est guère améliorée, malgré les lois votées par la Convention contre les accapareurs, les mesures de réquisition et la loi sur le maximum. C'est sur ce terrain que les hébertistes mènent une opposition des plus actives s’appuyant sur la misère du peuple de Paris. Et ils bénéficient maintenant d'appuis puissants : Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois au Comité de Salut Public; Cloots (2) et quelques autres députés à la Convention; et surtout, ils tiennent la Commune et une partie des clubs avec Hébert, Pache (3) et Chaumette (4). Ils sont également présents au Comité de Sûreté Générale et au ministère de la Guerre. Les prises de position d'Hébert sont, en outre, largement répandues dans la population par son journal, le « Père Duchesne », dont la diffusion est en train de battre tous les records.
Mais la démagogie et les outrances d'Hébert et de ses amis, n'ont pas tardé à éveiller les soupçons de l'Incorruptible. D'autant plus que les hébertistes sont à l'origine d'un vaste mouvement de déchristianisation qui est maintenant poussé à l'extrême et se transforme en mascarades antireligieuses. Le 6 Novembre (16 Brumaire), un groupe d'exaltés, conduit par Cloots, contraint Gobel, archevêque de Paris, à démissionner; le lendemain, l'archevêque doit se présenter à la Convention avec ses vicaires et coiffer le bonnet rouge ! Robespierre*, aux Jacobins, lance à Cloots un avertissement solennel et déclare que de telles outrances ne peuvent que conduire à la guerre civile et au triomphe de la contre-révolution. Mais le parti d'Hébert est devenu bien fort : le 9 Novembre (19 Brumaire), Cloots est porté à la présidence des Jacobins. Le lendemain, une fête grotesque est donnée à Notre-Dame de Paris en l'honneur de la liberté et de la déesse de la Raison !
La montée en force des hébertistes inquiète donc sérieusement Robespierre*, depuis déjà plusieurs semaines, à cause des excès en tout genre qu'elle suscite. Mais il en est d'autres qu'elle inquiète encore davantage, ce sont les dantonistes qui sont, en permanence, la cible du Père Duchesne. Las d'être agressés, insultés, calomniés, les amis de Danton vont passer à la contre-offensive.
Victoire de Wattignies - 16 et 17 octobre 1793
Le 27 Septembre déjà, Fabre avait dénoncé à Robespierre* et Saint-Just* une vaste conspiration ourdie par la « faction de l'étranger ». Il renouvelle ses accusations le 12 octobre. Fabre a conservé une certaine influence sur Robespierre*, il sait qu'il peut en user; d'autant plus que les objectifs qu'il vise coïncident, au moins partiellement, avec ceux de l'Incorruptible : neutraliser l'extrême gauche qui est à l'origine de troubles graves et qui se déchaîne contre Danton et ses amis.
Alors Fabre dénonce, avec force détails, le plan d'Hébert : soulever le peuple de la capitale en organisant la pénurie; formuler des revendications démagogiques pour finalement en arriver à épurer la Convention des quelques Girondins survivants, des dantonistes et enfin de Robespierre* et de ses amis. Et tout ceci afin de prendre le pouvoir avec l'appui des forces qu'il contrôle : les clubs, la Commune et le ministère de la guerre.
Fabre dénonce nommément Hébert, bien sûr, mais également ceux qu'il soupçonne d'être manipulés par les puissances étrangères : Maillard (5), Desfieux, Péreira, Proly (6); ainsi qu'Hérault de Séchelles, l'espion de la faction au sein du Comité de Salut Public et enfin Julien de Toulouse (7) et Chabot. Robespierre*, aussi bien que Saint-Just*, avaient déjà eu écho de cette « conspiration ». Ils ne s'étonnent donc pas trop de constater que les adversaires actuels du poète dantoniste ne sont autres que ses amis d'hier !...
Le « Père Duchesne » qui a surement eu vent de ces dénonciations redouble ses attaques contre les dantonistes et crie à la calomnie, jusqu'au jour du 14 Novembre (24 Brumaire) où Chabot, ami d’Hébert, réagit vigoureusement. Il dénonce, à son tour, à Robespierre* et au Comité de Sûreté Générale un énorme complot contre-révolutionnaire : il dévoile toute l'affaire de la Compagnie des Indes et le scandale financier qui en découle. Sont compromis dans cette affaire, selon les dires de Chabot : Fabre, Delaunay (8), Basire, Julien. Et Chabot va encore plus loin : l'affaire de la Compagnie des Indes n'est qu'une ramification d'un complot bien plus vaste organisé par le Baron de Batz (9) et qui avait pour but de faire évader Marie-Antoinette* de sa prison de la Tour du Temple. Et Chabot révèle le nom du complice du Baron : Hébert !
Après ces révélations le Comité ne doute plus maintenant de l'existence d'une vaste conspiration. Cependant, les dénonciations de Chabot, venant après celles de Fabre, lui semblent tout de même quelque peu suspectes. Le Comité prend cependant des mesures énergiques : il fait décréter l'arrestation des coupables mais décide d'épargner Hébert. L'arrestation du Père Duchesne aurait beaucoup trop de retentissements et Robespierre* ne veut pas s'attaquer à la Commune, le bastion des sans-culottes.
Sur ordre du Comité de Sûreté Générale, Chabot, Basire et Delaunay sont arrêtés le 17 Novembre (27 Brumaire). Le Baron de Batz demeure introuvable mais qu'importe, pour décapiter la conjuration, on ajoute aux suspects déjà appréhendés, ceux qui avaient été dénoncés par Fabre en Octobre : Dubuisson, Desfieux, Péreira.
Amar (10), au nom du Comité de Sûreté Générale, peut annoncer triomphalement le lendemain, qu'une « horrible conspiration » vient d'être découverte ! Personne ne va donc s’étonner de la nouvelle vague d’arrestations qui vient d’être décidée.
Mais l’enquête menée par le Comité de Salut Public va se poursuivre et Fabre va être également inquiété pour son implication, pour le moins douteuse, dans le scandale de la Compagnie des Indes; mais il parvient à se justifier. Il bénéficie surtout de l'indulgence de Robespierre* qui ne tient pas du tout, en cette période, à compromettre l'unité de la Montagne.
Après avoir vécu plusieurs semaines d'un imbroglio politico financier, Fabre semble donc enfin triompher. Mais son triomphe est loin d'être complet : non seulement Hébert n'a pas été arrêté comme Fabre l'avait souhaité, mais ce dernier bénéficie, lui aussi, d'une protection des comités. L'ami de Danton l'a maintenant bien compris : il va devoir rétracter une partie des accusations qu'il avait formulées contre le Père Duchesne car il y a danger !...
Jean Marie Collot-d'Herbois
(1) JOURDAN (Jean Baptiste) : Né à Limoges le 29 Avril 1762. Soldat en 1778, il fait la guerre d'indépendance américaine avant de s'établir à Limoges en 1784. En Juillet 1789, il reprend du service et est capitaine de la garde nationale de sa ville, puis Lieutenant Colonel du 2ème bataillon de volontaires de la Haute Vienne ce qui lui vaut d'être envoyé à l'armée du Nord où il combat à Jemmapes et à Neerwinden. Nommé Général de brigade le 27 Mai 1793, puis Général de Division le 30 Juillet suivant, il est promu Commandant en Chef de l'armée du Nord le 22 Septembre 1793.
Destitué le 6 Janvier 1794 pour avoir prôné une guerre défensive, il sera rappelé en Février et triomphera à Fleurus le 26 Juin 1794.
Il s'illustrera à Francfort et sur le Rhin en 1796, sera élu au Conseil des Cinq-Cents et fait Maréchal de France par Bonaparte. Louis XVIII le fera comte et pair de France.
Il mourra dans les honneurs le 23 Novembre 1833.
(2) CLOOTS (Jean Baptiste, Baron) : Excentrique, possesseur d'une immense fortune, Jean Baptiste Cloots qui se fait prénommer Anarchasis s'enflamme pour les idées révolutionnaires et s'installe à Paris en 1789. S'attribuant le titre de " l'orateur du genre humain ", il est élu député de l'Oise à la Convention et fait l'apologie des massacres de Septembre. Pendant un temps il soutient les Girondins puis passe du côté des extrémistes et sera dénoncé par Saint-Just* en même temps que les hébertistes. Il sera guillotiné le 24 Mars 1794.
(3) PACHE (Jean Nicolas) : Né à Verdun le 5 Mai 1746. Précepteur des enfants du Maréchal de Castries, il est nommé, grâce à ce dernier, premier secrétaire du Ministère de la Marine puis Contrôleur de la Maison du Roi.
Après s'être retiré en Suisse pendant quelque temps, il revient à Paris au début de la Révolution, se lie avec Roland et occupe des postes importants aux ministères de l'Intérieur et de la Guerre.
Il est nommé Ministre de la Guerre le 18 Octobre 1792 et penche alors du côté de la Montagne. Elu Maire de Paris, ami d'Hébert, il prend une part active à l'élimination des Girondins les 31 Mai et 2 Juin 1793.
En récompense, Robespierre* lui épargnera la guillotine lors de l'élimination des hébertistes. Il terminera sa vie dans les Ardennes et mourra le 18 Novembre 1823.
(4) CHAUMETTE (Pierre Gaspard, dit Anaxagoras) : Né à Nevers le 24 Mai 1763. Après une enfance perturbée, il suit les cours d'anatomie à l'Hôtel Dieu de Nevers entre 1782 et 1786. On le retrouve en 1790 comme meneur du Club des Cordeliers où il va être en pointe lors de toutes les journées d'insurrection : le 20 Juin, Le 10 Août,... Membre de la Commune révolutionnaire après le 10 Août, il est nommé Procureur. Apôtre de la déchristianisation, il sera à l'origine des mascarades religieuses de la capitale ce qui lui attire l'hostilité de Robespierre*. L'Incorruptible voit en Chaumette un agent de l'étranger et le fait arrêter.
Chaumette sera guillotiné le 13 Avril 1794.
(5) MAILLARD (Stanislas Marie) : Né à Gournay-en-Bray le 11 Décembre 1763, il est clerc d'huissier lorsqu'éclate la Révolution et il va s'illustrer dès la prise de la Bastille. Les 5 et 6 Octobre, il est à la tête du cortège des femmes qui marchent sur Versailles.
Capitaine de la Garde nationale en 1792, il s'illustre lors de la journée du 10 Août et surtout comme "massacreur" lors des journées de Septembre. Il disparaît ensuite de la scène politique et mourra de maladie le 15 Avril 1794.
(6) PROLY (Pierre Joseph Bertold) : Né à Bruxelles, Proly vient s'installer à Paris en 1783 à la tête d'une très grosse fortune qu'il a tôt fait de dilapider. A partir de 1789 il tire ses revenus de la spéculation. Participe au Club des Jacobins qui lui confie plusieurs missions dont une auprès de Dumouriez qu'il ne dénoncera d'ailleurs qu'après la trahison de ce dernier. Proly participe activement aux journées du 31 Mai et du 2 Juin. Robespierre*, pensant que ses ressources provenaient de la Cour de Vienne tente à plusieurs reprises de le faire arrêter avant qu'il ne soit dénoncé comme "agent de l'étranger" et arrêté avec les amis d'Hébert.
(7) JULIEN (Jean, dit Julien de Toulouse) : Né dans le Gard en 1750, il est pasteur protestant à Toulouse lorsque la Révolution éclate. Après avoir eu des responsabilités locales, il est élu à la Convention où il siège sur les bancs de la Montagne et vote la mort du roi. Il est très largement compromis lorsqu'éclate le scandale de la Compagnie des Indes ce qui lui vaut d'être arrêté en 1793. Evadé, il reparaît à la Convention après le 9 Thermidor. Il sera amnistié mais ne sera pas réintégré au sein de l'Assemblée.
Hostile au 18 Brumaire il n'échappera à la déportation que grâce à l'intervention de Fouché. Etabli à Embrun en 1814, il y mourra le 17 Décembre 1828.
(8) DELAUNAY (Joseph) : Né à Angers le 24 Décembre 1752. Avocat à Angers et Commandant de la Garde nationale au début de la Révolution, il est élu à la Législative puis à la Convention où il siège sur les bancs de la Montagne. Entraîné dans la spéculation de la Compagnie des Indes avec Chabot, Basire et Fabre d'Eglantine, il sera dénoncé avec ses complices et jugé dans le procès de Danton*. Guillotiné le 5 Avril 1794.
(9) BATZ (Jean-Pierre, Baron de) : Né dans le Gers le 25 Janvier 1754. Elu par la noblesse aux Etats généraux il devient spécialiste des questions financières de l'Assemblée.
Il soutient les émigrés avant d'émigrer à son tour. Revenu à Paris il va alors tenter de sauver le roi puis la reine, réussissant même à s'introduire au temple. Ami de Chabot dont il reçoit des informations, il compromet un certain nombre de conventionnels dans les spéculations sur la Compagnie des Indes.
Il disparaît alors que Robespierre* a fait mettre sa tête à prix ; on ne le verra réapparaître que lors de l'insurrection du 13 Vendémiaire.
Louis XVIII lui donnera la Croix de Saint-Louis et le fera Maréchal de Camp. Il mourra le 10 Janvier 1822.
(10) AMAR (Jean-Pierre André) : Né à Grenoble le 11 Mai 1755. Avocat au Parlement il est élu de l'Isère à la Convention et siège avec la Montagne. Après l'élimination des Girondins, il entre au Comité de Sûreté Générale le 16 Juin 1793. Adversaire acharné de la Gironde, il se rangera pourtant dans la conjuration contre Robespierre* le 9 Thermidor. Il sera cependant arrêté comme terroriste le 1er Avril 1795 et libéré le 4 Brumaire an IV à la faveur de l'amnistie. Il mourra à Paris le 21 Décembre 1816 sans avoir jamais plus fait parler de lui.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (45/52)
LE PACTE AVEC L'INCORRUPTIBLE :
NOVEMBRE – DECEMBRE 1793