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Merlin de Douai propose la "Loi des Suspects" - 17 septembre 1793
LA RETRAITE : SEPTEMBRE - NOVEMBRE 1793
A partir de la mi septembre, Danton disparaît une nouvelle fois subitement de la scène politique. On le voit encore le 13, à l'Assemblée où il dresse un réquisitoire contre le Comité des Marchés, dont il réclame le renouvellement en même temps d'ailleurs que le renouvellement de tous les autres comités. Est-ce une manœuvre de dépit de la part de celui qui n'est pas parvenu à s'introduire au sein du Comité de Salut Public ? La Convention, en tous cas, ne le suit pas dans sa demande.
Puis, Danton se retire ! Epuisé, dit-on, par ses activités sur tous les fronts au cours des deux mois qui viennent de s'écouler. Dépité, sans aucun doute, de constater que ses amis ne l'ont pas beaucoup aidé dans son combat acharné contre les hébertistes. Ecœuré, sûrement, par toutes ces manœuvres et ces rivalités qui monopolisent l'essentiel des énergies au lieu de parer à ce qui lui semble être le plus pressé : assurer le salut de la Révolution et de la République.
Danton se repose ! Il dort ! Il refait ses forces perdues dans la lutte qu'il vient de livrer. Et pendant que le colosse récupère, bien des événements vont survenir qui ont toutes raisons de le contrarier... Le 14 Septembre, c'est l'épuration du Comité de Sûreté Générale : Chabot, Basire, Julien, tous amis de Danton, en sont chassés au profit des Vadier, David, Voulland,... des hébertistes. De plus, il est décidé que les membres de ce comité seront maintenant présentés à la Convention par le Comité de Salut Public... Le pouvoir se concentre ainsi dans les mains de Robespierre* et de ses proches.
Et la campagne anti-dantoniste repart de plus belle. Hébert ne lâche rien ; il accuse tous les « pourris » de la Convention, les brissotins, les endormeurs,... Il cite des noms : Delacroix, Thuriot, Legendre, et Danton lui-même. On déballe à nouveau les affaires : le procès des girondins qui traîne en longueur, Dumouriez le général félon, la Belgique, les comptes qui n’ont pas été rendus... Les amis du tribun se démènent pourtant comme de beaux diables pour tenter d'ébranler la puissance du comité Robespierre*, mais la citadelle du Comité de Salut Public est si bien gardée que le conflit se transforme rapidement en déroute pour les fidèles de Danton.
Le champenois ne réapparaît pas pour autant. On le dit malade, alité. On peut, plus sérieusement, penser qu'il est en proie à une grave crise de dépression. Ce n'est pas la première fois qu'il est sujet à ce genre de déprime. Surtout au cours de cette dernière année durant laquelle ses absences se sont multipliées.
L'hébertisme gagne chaque jour du terrain et a maintenant une influence considérable sur la politique menée par le Comité. La terreur va maintenant devenir permanente et, par la loi des suspects proposée par Merlin de Douai le 17 Septembre, on va codifier les règles. Sont réputés « personnes suspectes » :
1) ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté.
2) ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par le décret du 21 Mars, de leurs moyens d'exister et de l'acquit de leurs droits civiques.
3) ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme.
4) les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions.
5) ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs et agents d'émigrés qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution.
6) ceux qui ont émigré dans l'intervalle du 1er Juillet 1789 à la publication du décret du 30 Mars 1792, quoiqu'ils soient rentrés en France dans le délai fixé par le décret ou précédemment.
A la suite de la publication de ces décrets, beaucoup vont se demander : comment faire pour ne pas être suspect ?
Danton est toujours absent lorsque, le 3 Octobre, la Convention achève l'épuration de l'Assemblée : elle décrète d'accusation 41 députés girondins et ordonne l'arrestation de 75 autres. Est-il vrai qu'à l'annonce de cette nouvelle répression Danton ait plongé un peu plus profondément dans la neurasthénie en pensant qu'il avait, dans cette triste affaire, un large part de responsabilité ? Est-il vraisemblable que le tribun ait réalisé, seulement maintenant, que l'assaut qu'il avait lui-même mené contre la Gironde était en train de se transformer en épuration sanglante ? C'est au moins la version qu'en donnera Garat dans ses mémoires. L'hypothèse est difficilement crédible quand on se remémore tout ce qui a pu être dit par Danton quand il parlait des châtiments à appliquer aux conspirateurs et aux contre-révolutionnaires.
Ce qui est sûr, en tous cas, c'est que la déprime de Danton, en cette période, n'est pas feinte comme certains l'ont laissé entendre. Le 12 Octobre, il adresse une lettre à la Convention pour qu'elle l'autorise à se rendre à Arcis-sur-Aube afin de « rétablir sa santé et respirer l'air natal ». Danton se retire effectivement dans sa province. Est-ce une fuite comme l'ont affirmé ses détracteurs ? Une fuite qui lui épargne des épreuves difficiles telles le procès des Girondins; celui de Marie-Antoinette*, qu'il considère comme une grave faute politique, et même celui de Philippe Egalité, son ami, qui s'ouvrira le 6 Novembre. L’historien Georges Lefebvre pense, lui, qu'il s'agit bien d'un cas de dépression cyclique. Alors que le cours de la Révolution s'emballe; alors que la répression contre tous ceux qui, de près ou de loin, se sont opposés à elle, s'intensifie, Danton craque nerveusement !..
L'écœurement que provoque chez lui la multiplication des exécutions l'emporte sur son amour de la patrie. Mais Danton laisse à Paris ses amis aux prises avec leurs affaires; il laisse les Girondins à leurs juges alors qu'il avait, avec de bonnes chances de succès, l'occasion de prendre la défense d'un certain nombre d'entre eux. Il laisse, sans rien dire, Fabre d'Eglantine se présenter comme témoin à charge au procès des Girondins. Pourquoi ce silence ? Comment accréditer le témoignage de Garat qui nous décrit un Danton en larme lorsqu'on lui apprend l'exécution des principaux chefs de la Gironde le 31 Octobre ? Comment croire à ces quelques phrases prononcées, ce jour là, sous le coup de sa grande émotion :
« Des factieux ? Est-ce que nous ne sommes pas tous des factieux ? Nous méritons tous la mort autant que les Girondins ! Nous subirons tous, les uns après les autres, le même sort qu'eux. » (1)
A l'émotion succède la colère quand Danton se remémore les mois durant lesquels le combat livré contre la Gironde a été sans merci :
« Je leur ai offert la paix vingt fois », ne cesse-t-il de répéter, « ils ne l'ont pas voulue; ils refusaient de me croire pour conserver le droit de me perdre.. » (2)
Tout cela renforce bien la thèse de la cyclothymie défendue par Georges Lefebvre. D'autant que le Danton que l'on a vu cloîtré, dans les premiers jours de Novembre, dans sa maison d'Arcis s'affaire, quelques semaines plus tard, pour acheter des terres et agrandir son domaine ou s'adonner aux plaisirs de la chasse ou de la pêche !
Ses amis, notamment Fabre et Desmoulins*, le pressent pourtant de rentrer à Paris d'extrême urgence. On raconte même qu'ils envoient à Arcis un émissaire pour lui transmettre le message de vive voix :
" Vos amis vous invitent à retourner à Paris le plus promptement possible. Robespierre* et les siens réunissent leurs efforts contre vous."
« En veulent-ils à ma vie ? » questionne Danton « ils n'oseraient ! »
" Vous êtes trop confiant; revenez à Paris, le temps presse...."
« Va dire à Robespierre* que je serai assez tôt à Paris pour l'écraser, lui et les siens !.. »
En fait, Robespierre* ne songe nullement à éliminer Danton en ce mois de Novembre 1793. Le Comité de Salut Public est bien trop absorbé par la menace du « complot de l'étranger ». Danton regagne pourtant la capitale le 19 Novembre (29 Brumaire an II). Il rencontre Hébert le 21 Novembre au matin.
(1) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 385
(2) cité par Pierre LABRACHERIE "Camille Desmoulins"
Hachette, Paris, 1948, page 185
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (44/52)
L'IMBROGLIO : SEPTEMBRE - NOVEMBRE 1793