L'accord trouvé par les ministres européens sur les travailleurs détachés permet des avancées notables par rapport à la situation actuelle mais repousse à plus tard plusieurs questions.
La directive européenne
Datant de 1996, la directive permet à une entreprise de l'Union Européenne d'envoyer temporairement dans d'autres pays de l'Union ses salariés mais en continuant à payer les cotisations sociales dans le pays d'origine. Destiné à faciliter des échanges entre Etats au niveau de vie comparable, le système a donné lieu à tous les abus et s'est transformé en outil de dumping social depuis que l'UE s'est étendue, à partir de 2004, à des pays d'Europe de l'est aux charges salariales bien plus basses, selon les partisans de la réforme. La France veut limiter la durée de ces détachements à douze mois sur une période de deux ans, quand la Commission proposait en mai une limitation à deux ans. Elle veut aussi lutter contre les fraudes, comme les sociétés "boîte aux lettres" faussement domiciliées dans les pays de l'Est, en renforçant les contrôles. Fin mai, à peine élu, Emmanuel Macron avait fait bloquer un vote à Bruxelles sur une réforme qu'il jugeait trop molle.
Une promesse de campagne
Thème fort durant la campagne présidentielle française, les travailleurs détachés étaient au menu des discussions européennes lundi 23 octobre dernier. Les ministres du Travail européens sont finalement arrivés à un accord dans la soirée sur la directive qui doit encadrer leur statut. Seul quatre pays se sont opposés à cette mesure (Pologne, Hongrie, Lettonie et Lituanie) alors qu'il y a un peu plus d'un an, ils étaient onze Etats de l'est à avoir signifié à la Commission européenne leurs réticences au projet. La France, qui est le pays qui accueille le plus de travailleurs détachés après l'Allemagne mais aussi celui qui en envoie le plus derrière la Pologne et l'Allemagne, se félicite d'une "victoire pour l'Europe". Pourtant, de nombreuses questions sur les travailleurs détachés restent en suspens.
Les avancées : La durée du détachement limitée à 12 mois
C’était la demande de la France. Dans son projet initial, la Commission européenne prévoyait de limiter la durée du détachement à 24 mois. Au bout de ce délai, le salarié tombait automatiquement dans le droit du pays d'accueil. Mais pendant la campagne présidentielle française, Emmanuel Macron avait promis de faire passer ce délai à 12 mois. C'est sur ce point qu'a donc insisté la France lors des négociations entre les ministres du Travail européens. Et elle a finalement obtenu gain de cause. Toutefois, la durée du détachement pourra être rallongée de 6 mois à la demande de l'entreprise et sur décision du pays d'accueil.
"Même diminuée, la durée autorisée de ces contrats de travail reste supérieure à la durée réelle actuelle", a critiqué Jean-Luc Mélenchon. Selon l'Union européenne, la durée moyenne de détachement n'est pourtant que de quatre mois. Ce chiffre baisse à 33 jours en France. Toutefois, comme le rappelle un rapport du Sénat de mai 2016, les salariés cumulent souvent plusieurs détachements de suite.
Une avancée sur le « travail égal – salaire égal »
La directive de 1996 qui encadrait jusqu'à présent le statut des travailleurs détachés prévoyait que ceux-ci devaient toucher le salaire minimum du pays d'accueil. Mais depuis, l'Union européenne s'est élargie avec l'intégration des pays de l'est et les écarts de salaire entre les pays se sont accentués. L'avancée majeure de la réforme proposée par la Commission européenne est donc d'avoir "un salaire égal, à travail égal, sur un même lieu de travail". Par exemple dans la rémunération du travailleur détachés, seront dorénavant pris en compte le diverses primes ou le treizième mois.
La lutte contre la fraude
Jusqu'à présent, c'était surtout sur cette question que le bât blessait. Les conditions du détachement ne sont souvent pas respectées. Par exemple, le temps de travail est dépassé sans être payé. Autre cas fréquent, les employeurs intègrent les dépenses de logement dans le salaire du travailleur détaché, ce qui a pour effet de diminuer son revenu net. Ces pratiques sont illégales mais malgré la directive de 2014 qui vise à mieux coordonner les inspections du travail des différents Etats, la lutte contre la fraude reste compliquée à cause du manque de moyens. L'accord trouvé par les ministres européens prévoit donc l'utilisation d'une plateforme européenne de lutte contre le travail illégal.
De plus la nouvelle directive impose qu'un salarié devra avoir été affilié à la sécurité sociale de son Etat d'origine pendant au moins trois mois avant d'être détaché. Cela réduira le phénomène du double détachement et des entreprises dites "boîtes aux lettres". Par exemple, une société polonaise qui accueille un travailleur détaché d’Italie pour, à nouveau, le détacher en Allemagne. Autre hypothèse, en Loraine, de nombreux résidents français passent la frontière luxembourgeoise pour s'inscrire dans des agences d'intérim et bénéficier de charges moins élevées avant d'être détachés… en France.
Ce qui pose encore problème : Rien ne change sur les cotisations sociales
Pour un travailleur détaché, le salaire est celui du pays d'accueil. A l'inverse, les cotisations sociales sont toujours payées dans le pays d'origine, ce qui provoque des situations de dumping social. Par exemple, en Pologne, les cotisations sociales sont moins élevées qu'en France, il est donc souvent moins couteux pour une entreprise française d'employer un salarié polonais en tant que travailleur détaché plutôt qu'un salarié français. Si quelques voix se sont élevées au début de la réforme pour proposer que les cotisations sociales soient payées dans le pays d'accueil, cette question est non négociable pour les pays de l'Est.
La question des routiers repoussée à plus tard
Pour faire baisser la durée maximale du détachement à 12 mois, la France a dû également faire des concessions. Elle a accepté que la nouvelle directive ne concerne pas le secteur des transports. Sujet sensible pour les pays de l'est mais également pour l'Espagne, il sera étudié à part à l’occasion d’un autre texte européen, le "paquet mobilité". En attendant son adoption, c'est la législation actuelle qui s'applique, a confirmé la ministre du Travail française Muriel Pénicaud.
Source : LeJDD.fr 24-10-2017