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Assassinat de Marat 13 juillet 1793
L'AIGUILLON DES COMITES : JUILLET - SEPTEMBRE 1793
C’est après que sa folie amoureuse se soit quelque peu apaisée que Danton va reprendre goût à la vie politique. C’est surtout parce qu’il est poussé par ses proches qui tente de le convaincre qu’il doit impérativement revenir sur le devant de la scène. Et il réapparaît effectivement, peu à peu, aux Jacobins puis à l'Assemblée, d'abord pour regagner sa popularité perdue mais aussi et surtout pour défendre ses amis. Le 10 Juillet déjà, la Convention a pris un décret d'accusation contre le général Dillon (1) dont Camille Desmoulins* avait fait un vibrant éloge, il y a quelques jours à peine. Il faut protéger Camille.....
Les Cordeliers, avec à leur tête Jacques Roux, sont de plus en plus actifs et, dans le même temps, la contre-révolution semble également s'organiser. Le 13 Juillet, Charlotte Corday assassine l'Ami du Peuple, Marat*; le 16, ce sont les insurgés de Lyon qui guillotinent Chalier (2); Custine, le 22, se fait acclamer au Palais Royal par ceux-là mêmes qui, la veille, ont insulté les députés de la Montagne. Il est aussitôt arrêté.
Mais Danton doit également se refaire une image de Montagnard fidèle; il doit donner de nouvelles preuves de son ardeur révolutionnaire; alors Danton lâche Custine qu'il a protégé naguère lors des négociations secrètes.
« ..La Convention ne peut pas rester dans l'incertitude sur un pareil objet. Il faut qu'elle sache ce qu'est Custine. Condé a été obligé de se rendre; Valenciennes est cerné de toutes parts et chauffé de très près (..) « La nation a des doutes sur Custine, il faut que Custine soit jugé... » (3)
Danton est habile; il a retrouvé pratiquement toute sa fougue et tout son zèle patriotique. Il a réussi, du même coup, à regagner en quelques jours seulement la confiance d’une majorité des députés à la Convention qui le porte à la Présidence, le 25 Juillet, pour la quinzaine suivante. Là, il proclame qu'il va être « l'aiguillon » de tous les Comités et retrouve, le 1er Août, le ton avec lequel il avait su, il n'y a pas si longtemps, enflammer les tribunes et dynamiser les députés.
Ce jour là, Couthon prononce une violente motion contre les Anglais qui nous font « une guerre d'assassins ». Il demande à la Convention d'infliger aux Français plaçant des fonds à Londres une amende égale à celle de l'argent déposé, et d'obliger les déposants, sous peine de la même amende, à déclarer leurs dépôts dans le mois suivant la publication du décret proposé. Danton quitte le fauteuil de la présidence, gagne la tribune, et improvise l'un des plus importants discours de sa carrière politique. C'est de ce discours que va sortir la dictature jacobine; celle qui va soulever la France et lui donner la victoire. Le pays est menacé, en effet, de l'intérieur et sur ses frontières et, à cette situation exceptionnelle, Danton répond par des mesures tout aussi exceptionnelles : renforcement du pouvoir central, transformation du Comité de Salut Public en gouvernement provisoire :
« J'appuie d'autant plus ces propositions que le moment est arrivé d'être politique. Sans doute un peuple républicain ne fait pas la guerre à ses ennemis par la corruption, l'assassinat et le poison. Mais le vaisseau de la raison doit avoir son gouvernail, c'est la saine politique. Nous n'aurons de succès que lorsque la Convention, se rappelant que l'établissement du Comité de Salut public est une des conquêtes de la liberté, donnera à cette institution l'énergie et le développement dont elle peut être susceptible. Il a, en effet, rendu assez de services pour qu'elle perfectionne ce genre de gouvernement. N'en doutez pas, ce Cobourg qui s'avance sur votre territoire rend le plus grand service à la République. Les mêmes circonstances que l'année dernière se reproduisent aujourd'hui; les mêmes dangers nous menacent... ».
« Mais le peuple n'est point usé, puisqu'il a accepté la Constitution; j'en jure par l'enthousiasme sublime qu'elle vient de produire (4). Il a, par cette acceptation, contracté l'engagement de se déborder tout entier contre les ennemis. Eh bien, soyons terribles, faisons la guerre en lions. Pourquoi n'établissons-nous pas un gouvernement provisoire qui seconde, par de puissantes mesures, l'énergie nationale? »
« Je le déclare, je n'entrerai dans aucun comité responsable. Je conserverai ma pensée tout entière, et la faculté de stimuler sans cesse ceux qui gouvernent, mais je vous donne un conseil, j'espère que vous en profiterez. Il nous faut les mêmes moyens qu'emploie Pitt, à l'exception de ceux du crime. Si vous eussiez, il y a deux mois, éclairé les départements sur la situation de Paris; si vous eussiez répandu partout le tableau fidèle de votre conduite; si le ministre de l'Intérieur se fut montré grand et ferme, et qu'il eut fait pour la Révolution ce que Roland a fait contre elle, le fédéralisme et l'intrigue n'auraient pas excité de mouvements dans les départements. Mais rien ne se fait. Le gouvernement ne dispose d'aucun moyen politique. Il faut donc, en attendant que la Constitution soit en activité et pour qu'elle puisse l'être, que votre Comité de Salut public soit érigé en gouvernement provisoire; que les ministres ne soient que les premiers agents de ce Comité de gouvernement ».
« Je sais qu'on objectera que les membres de la Convention ne doivent pas être responsables. J'ai déjà dit que vous êtes responsables de la liberté, et que si vous la sauvez, et alors seulement, vous obtiendrez les bénédictions du peuple. Il doit être mis à la disposition de ce Comité de gouvernement les fonds nécessaires pour les dépenses politiques auxquelles nous obligent les perfidies de nos ennemis. La raison peut être servie à moindres frais que la perfidie; ce Comité pourra enfin mettre à exécution des mesures provisoires fortes, avant leur publicité. »
« N'arrachons point en ce moment aux travaux de la campagne les bras nécessaires à la récolte. Prenons une première mesure, c'est de faire un inventaire rigoureux de tous les grains. Pitt n'a pas seulement joué sur nos finances; il a accaparé, il a exporté nos denrées. Il faudrait avant tout assurer tous les Français que, si le ciel et la terre nous ont si bien servis, nous n'aurons plus à craindre la disette factice dans une année d'abondance. Il faudra, après la récolte, que chaque commune fournisse un contingent d'hommes qui s'enrôleront d'autant plus volontiers que le terme de la campagne approche. Chez un peuple qui veut être libre, il faut que la nation entière marche quand sa liberté est menacée. L'ennemi n'a encore vu que l'avant-garde nationale. Qu'il sente enfin le poids des efforts réunis de cette superbe nation. Nous donnons au monde un exemple qu'aucun peuple n'a donné encore. La nation française aura voulu individuellement, et par écrit, le gouvernement qu'elle a adopté; et périsse un peuple qui ne saurait pas défendre un gouvernement aussi solennellement juré! »
« Remarquez que dans la Vendée on fait la guerre avec plus d'énergie que nous. On fait marcher de force les indifférents. Nous qui stipulons pour les générations futures; nous que l'univers contemple; nous qui, même en périssant tous, laisserions des noms illustres, comment se fait-il que nous envisageons dans une froide inaction les dangers qui nous menacent? Comment n'avons-nous pas déjà entraîné sur les frontières une masse immense de citoyens? Déjà dans plusieurs départements le peuple s'est indigné de cette mollesse, et à demandé que le tocsin du réveil général fut sonné. Le peuple a plus d'énergie que vous. La liberté est toujours partie de sa base. Si vous vous montrez dignes de lui, il vous suivra; et vos ennemis seront exterminés. »
« Je demande que la Convention érige en gouvernement provisoire son Comité de Salut public; que les ministres ne soient que les premiers commis de ce gouvernement provisoire; qu'il soit mis 50 millions a la disposition de ce gouvernement, qui en rendra compte a la fin de sa session, mais qui aura la faculté de les employer tous en un jour, s'il le juge utile ».
« Une immense prodigalité pour la cause de la liberté est un placement à usure. Soyons donc grands et politiques partout. Nous avons dans la France une foule de traîtres à découvrir et à déjouer. Eh bien, un gouvernement adroit aurait une foule d'agents: et remarquez que c'est par ce moyen que vous avez découvert plusieurs correspondances précieuses. Ajoutez à la force des armes, au développement de la force nationale, tous les moyens additionnels que les bons esprits peuvent vous suggérer. Il ne faut pas que l'orgueilleux ministre d'un despote surpasse en génie et en moyens ceux qui sont chargés de régénérer le monde. »
« Je demande, au nom de la postérité, car si vous ne tenez pas d'une main ferme les rênes du gouvernement, vous affaiblissez plusieurs générations par l'épuisement de la population; enfin vous les condamneriez à la servitude et à la misère; je demande, dis-je, que vous adoptiez sans délai ma proposition. »
« Après, vous prendrez une mesure pour inventorier toutes les moissons. Vous ferez surveiller les transports, afin que rien ne puisse s'écouler par les ports ou par les frontières. Vous ferez faire aussi l'inventaire des armes. A partir d'aujourd'hui vous mettrez à la disposition du gouvernement 400 millions pour fondre des canons, faire des fusils et des piques. Dans toutes les villes un peu considérables, l'enclume ne doit être frappée que pour la fabrication du fer que vous devez tourner contre vos ennemis. Dès que la moisson sera finie, vous prendrez dans chaque commune une force additionnelle, et vous verrez que rien n'est désespéré. Au moins à présent, vous êtes purgés des intrigants; vous n'êtes plus gênés dans votre marche; vous n'êtes plus tiraillés par les factions; et nos ennemis ne peuvent plus se vanter, comme Dumouriez, d'êtres maitres d'une partie de la Convention. Le peuple a confiance en vous. Soyez grands et dignes de lui; car si votre faiblesse vous empêchait de le sauver, il se sauverait sans vous et l'opprobre vous resterait. » (5)
Charlotte Corday assassine Marat le 13 juillet 1793
Apres une courte intervention de Saint-André, de Cambon et de Barère, Danton, répondant à ce dernier qui a offert sa démission de membre d’un comité chargé de la gestion de fonds publics, ajoute :
« Ce n'est pas être homme public que de craindre la calomnie. Lorsque l'année dernière, dans le conseil exécutif, je pris seul sur ma responsabilité les moyens nécessaires pour donner la grande impulsion, pour faire marcher la nation sur les frontières; je me dis: qu'on me calomnie, je le prévois, il ne m'importe; dut mon nom être flétri, je sauverai la liberté. Aujourd'hui la question est de savoir s'il est bon que le Comité de gouvernement ait des moyens de finances, des agents, etc., etc. Je demande qu'il ait à sa disposition 50 millions, avec cet amendement, que les fonds resteront à la trésorerie nationale et n'en seront tirés que sur des arrêtés du Comité. » (6)
Robespierre, Couthon, Lacroix et Thuriot prennent ensuite part à la discussion, et c’est finalement Danton qui clôture le débat par cette dernière déclaration :
« Je déclare que, puisqu'on a laisse à moi seul le poids de la proposition que je n'ai faite qu'après avoir eu l'avis de plusieurs de mes collègues, même des membres du Comite de salut public, je déclare, comme étant un de ceux qui ont toujours été les plus calomniés, que je n'accepterai jamais de fonctions dans ce Comité; j'en jure par la liberté de ma patrie » (7)
En fait, on l'a bien compris, et Danton lui-même en a parfaitement conscience, tout le monde le soupçonne de vouloir reprendre les rennes du pouvoir. Le tribun, lui-même, sent bien les hésitations qu'il suscite chez les députés puisque, par deux fois, il a cru devoir jurer solennellement qu'il ne ferait pas partie d'un quelconque Comité et en particulier de celui dont il vient de proposer la formation.
Il ne parvient pas, malgré cela, à faire adopter son projet mais, par contre, il apporte bien involontairement de l'eau au moulin des Enragés qui, dès le lendemain, reprennent la proposition du tribun et crient à la dictature du Comité : « c'est un Capet à neuf têtes ! »
Danton, en tous cas, a tenté d'effacer les traces de la campagne menée contre lui par les hébertistes en obtenant le soutien des hommes forts du Comité. Il ne parvient pas, pour autant, à désarmer Hébert et ses amis pour qui les dantonistes sont devenus les nouveaux brissotins... Les critiques se font de plus en plus virulentes : on accuse maintenant Danton de vouloir conclure avec l'ennemi une paix à tous prix, de préparer une politique d'indulgence envers les contre-révolutionnaires et même de comploter pour une restauration de la monarchie ! Il faudra que Robespierre* intervienne aux Jacobins le 5 Août pour prendre sa défense : « Personne n'a le droit d'élever le plus léger reproche contre Danton...Danton qu'on ne discréditera qu'après avoir prouvé qu'on a plus d'énergie, de talents et d'amour de la patrie... »
Malgré les revendications incessantes des Enragés, les difficultés d'approvisionnement de la capitale, auxquelles le Comité pourtant s'efforce de faire face, continuent d'exaspérer le peuple. Comment pourrait-il contenir sa colère alors qu'il manque de tout et qu'on lui décrit, chaque jour, « tous ces mauvais citoyens qui ont acquis des domaines immenses depuis quatre ans...... », « Ces députés qui, avant leur élévation inopinée à l'aréopage, n'avaient pas un écu par jour à dépenser et qui sont aujourd'hui de gros propriétaires, ces députés qui exerçaient l'état de boucher dans des rues fétides et qui occupent maintenant des appartements lambrissés... » (8)
L’exaspération du peuple est telle que les délégués des assemblées primaires proposent une levée en masse et demandent que tous les suspects soient conduits aux frontières, au premier rang, suivis de la « masse terrible des sans-culottes ».
Danton appuie la demande des assemblées primaires dans une intervention, à la tribune, le 12 Août :
« Les députés des assemblées primaires viennent d'exercer parmi nous l'initiative de la terreur contre les ennemis de l'intérieur. Répondons à leurs vœux; non, pas d'amnistie à aucun traître. L'homme juste ne fait point de grâce au méchant. Signalons la vengeance populaire par le glaive de la loi sur les conspirateurs de l'intérieur; mais sachons donc mettre à profit cette mémorable journée. On vous a dit qu'il fallait se lever en masse; oui, sans doute, mais il faut que ce soit avec ordre. C'est une bien belle idée que celle que Barère vient de nous donner; quand il vous a dit que les commissaires des assemblées primaires devaient être des espèces de représentants du peuple (..) Si chacun d'eux pousse à l'ennemi vingt hommes armés, et ils doivent être à peu près huit mille commissaires, la patrie est sauvée. »
« Je demande qu'on les investisse de la qualité nécessaire pour faire cet appel au peuple; que, de concert avec les autorités constituées et les bons citoyens, ils soient chargés de faire l'inventaire des grains, des armes, la réquisition des hommes, et que le Comité de Salut Public dirige le sublime mouvement. C'est à coups de canon qu'il faut signifier la Constitution à nos ennemis (..) »
« Je demande qu'on mette en état d'arrestation tous les hommes vraiment suspects; mais que cette mesure s'exécute avec plus d'intelligence que jusqu'à présent, où, au lieu de saisir les grands scélérats, les vrais conspirateurs, on a arrêté des hommes plus qu'insignifiants. Ne demandez pas qu'on les mène à l'ennemi, ils seraient dans nos armées plus dangereux qu'utiles. Enfermez-les, ils seront nos otages. Je demande que la Convention nationale, qui doit être maintenant pénétrée de toute sa dignité, car elle vient d'être revêtue de toute la force nationale, je demande qu'elle décrète qu'elle investit les commissaires des assemblées primaires du droit de dresser l'état des armes, des subsistances, des munitions, et de mettre en réquisition 400.000 hommes contre nos ennemis du nord. » (9)
Danton a retrouvé, dans le ton de ses discours, la violence du printemps 1792. Mais, au-delà de l'ardeur guerrière qu'il souhaite exprimer, percent des critiques à peine voilées à l'encontre des comités. Que veut-il dire quand il parle d'arrêter les hommes « vraiment coupables » si ce n'est que des innocents sont incarcérés sans motif. Que sous-entend-il en soulignant que ces mesures doivent s'appliquer avec « intelligence », si ce n'est que l'on a fait preuve jusqu'à présent de stupidité dans la chasse aux contre-révolutionnaires ?
La Convention l'entend; elle décrète l'arrestation de tous les suspects. Mais les paroles du tribun, analysées par ses adversaires, vont bientôt se retourner contre lui. Il n'en continue pas moins à apporter son soutien à toutes les mesures les plus révolutionnaires proposées en cette période dramatique. Ainsi, lorsque Robespierre* ouvre le débat sur l'éducation nationale, Danton réclame, le 13 Août, l'instruction publique, gratuite et impérative, en des termes si nobles qu'ils sont devenus immortels :
Jacques René Hébert
« Citoyens, après la gloire de donner la liberté à la France, après celle de vaincre ses ennemis, il n'en est pas de plus grande que de préparer aux générations futures une éducation digne de la liberté; tel fut le but que Lepeletier se proposa. Il partit de ce principe que tout ce qui est bon pour la société doit être adopté par ceux qui ont pris part au contrat social. Or, s'il est bon d'éclairer les hommes, notre collègue, assassiné par la tyrannie, mérita bien de l'humanité. Mais que doit faire le législateur? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances. On a dit contre le plan que l'amour paternel s'oppose à son exécution: sans doute il faut respecter la nature même dans ses écarts. Mais, si nous ne décrétons pas l'éducation impérative, nous ne devons pas priver les enfants du pauvre de l'éducation ».
« La plus grande objection est celle de la finance; mais j'ai déjà dit qu'il n'y a point de dépense réelle là où est le bon emploi pour l'intérêt public, et j'ajoute ce principe, que l'enfant du peuple sera élevé aux dépens du superflu des hommes a fortunes scandaleuses. C'est à vous, républicains célèbres, que j'en appelle; mettez ici tout le feu de votre imagination, mettez-y toute l'énergie de votre caractère, c'est le peuple qu'il faut doter de l'éducation nationale. Quand vous semez dans le vaste champ de la République, vous ne devez pas compter le prix de cette semence. Apres le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple. Je demande qu'on pose la question: sera-t-il formé aux dépens de la nation des établissements où chaque citoyen aura la faculté d'envoyer ses enfants pour l'instruction publique? »
« C'est aux moines, cette espèce misérable, c'est au siècle de Louis XIV, où les hommes étaient grands par leurs connaissances, que nous devons le siècle de la philosophie, c'est-a-dire de la raison mise à la portée du peuple; c'est aux jésuites, qui se sont perdus par leur ambition politique, que nous devons ces élans sublimes qui font naitre l'admiration. La République était dans les esprits vingt ans au moins avant sa proclamation. Corneille faisait des épitres dédicatoires à Montoron, mais Corneille avait fait le Cid, Cinna; Corneille avait parlé en Romain, et celui qui avait dit: “Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose", était un vrai républicain. »
« Allons donc à l'instruction commune; tout se rétrécit dans l'éducation domestique, tout s'agrandit dans l'éducation commune. On a fait une objection en présentant le tableau des affections paternelles; et moi aussi, je suis père, et plus que les aristocrates qui s'opposent à l'éducation commune, car ils ne sont pas surs de leur paternité. Eh bien, quand je considère ma personne relativement au bien général, je me sens élevé; mon fils ne m'appartient pas, il est a la République; c'est à elle à lui dicter ses devoirs pour qu'il la serve bien. »
« On a dit qu'il répugnerait aux cœurs des cultivateurs de faire le sacrifice de leurs enfants. Eh bien, ne les contraignez pas, laissez-leur-en la faculté seulement. Qu'il y ait des classes ou il n'enverra ses enfants que le dimanche seulement, s'il le veut. Il faut que les institutions forment les mœurs. Si vous attendiez pour l'Etat une régénération absolue, vous n'auriez jamais d'instruction. Il est nécessaire que chaque homme puisse développer les moyens moraux qu'il a reçus de la nature. Vous devez avoir pour cela des maisons communes, facultatives, et ne point vous arrêter à toutes les considérations secondaires. Le riche payera, et il ne perdra rien s'il veut profiter de l'instruction pour son fils. Je demande que, sauf les modifications nécessaires, vous décrétiez qu'il y aura des établissements nationaux où les enfants seront instruits, nourris et logés gratuitement, et des classes où les citoyens qui voudront garder leurs enfants chez eux pourront les envoyer s'instruire. » (11)
Les mesures révolutionnaires décrétées par l'Assemblée se succèdent à un rythme élevé : il s'agit en effet de calmer rapidement la colère populaire. Sur toutes ces mesures, Danton renchérit, allant, chaque fois dans le sens des aspirations de Robespierre*, regagnant, chaque jour, un peu de la confiance perdue auprès de ses amis de la Montagne.
Danton tonne, il improvise de manière éblouissante, il surprend par ses prises de positions virulentes, parfois violentes. Ainsi, le 14 Août, alors que l'Assemblée se prépare à payer aux fournisseurs de la liste civile ce qui leur est encore dû, Danton s'oppose avec fracas à cette mesure :
« Il doit paraître étonnant à tout bon républicain que l'on propose de payer les créanciers de la ci-devant liste civile, tandis que le décret qui accorde des indemnités aux femmes et enfants des citoyens qui versent leur sang pour la patrie reste sans exécution. Aucun homme de bonne foi ne peut disconvenir que les créanciers de la liste civile ne fussent les complices du tyran dans le projet qu'il avait formé d'écraser le peuple français (...)
« Je demande que la Convention décrète que la nation ne paiera aucun créancier du ci-devant roi. Je demande aussi que la liste de ces créanciers soit imprimée afin que le peuple les connaisse.. » (12)
e 15, Danton réclame la peine de mort contre tout soldat qui abandonnerait son corps; le 17, il obtient que soient décrétées des peines exemplaires contre les accapareurs. Il est maintenant revenu au faîte de sa popularité au sein de la Convention....Il n'empêche que la fureur des Hébertistes à son encontre ne faiblit pas, bien au contraire. La haine d'Hébert va même être encore attisée par l'affaire Garat : le ministre de l'intérieur est attaqué de toutes parts pour son modérantisme et sa mollesse; Danton lui-même, à la fin du mois de Juillet, ne l'a pas épargné. Garat est, finalement, décrété d'arrestation, à la demande de Collot-d'Herbois et, lorsque le 20 Août, la Convention est amenée à le remplacer, Hébert se porte candidat...
Danton ne peut évidemment pas accepter cette nomination, alors il parle et parvient à convaincre les députés de nommer son vieil ami Jules Paré. Hébert ne lui pardonnera pas ce nouvel affront : dès le lendemain, le Père Duchesne stigmatise « les ambitieux, les intrigants, les voleurs, qui désirent les grandes places pour pêcher en eau trouble ». Danton et ses amis sont qualifiés de « traîtres qui siègent à la Montagne ». Hébert s'est mis en devoir de restaurer l'autorité des ministres et de les rendre indépendants de l'Assemblée et surtout des Comités. Il écrit dans son N° 275 du Père Duchesne :
« Montagnards, tant que les Comités usurperont tous les pouvoirs, nous n'aurons jamais de gouvernement, ou nous en aurons un détestable. Pourquoi les rois ont-ils fait tant de mal sur la terre, c'est que rien ne s'opposait à leur volonté pas plus qu'à celle de vos Comités... »
« Nous n'aurons jamais de liberté, notre Constitution ne sera qu'une chimère tant que les ministres ne seront que des galopins aux ordres des derniers balayeurs de la Convention.. » (13)
Les jours suivants, toujours dans les colonnes de son journal, Hébert reparle à nouveau des « affaires » du tribun : sa fortune amassée on ne sait trop comment, ses pillages en Belgique,.... Danton devra, comme au plus fort des attaques girondines, se défendre à la tribune. Il le fait d'ailleurs très bien, obligeant même Hébert à rétracter quelques unes de ses accusations !...
Il n'empêche que, pour maintenir sa popularité et surtout pour éviter de subir le sort de Garat il doit, chaque jour, se livrer à des surenchères. Le peuple pousse chaque jour un peu plus l'Assemblée et le Comité à prendre des mesures révolutionnaires, alors Danton suit, sans états d'âme; il va même souvent se croire obligé d'en rajouter !
Révolte des Chouans
Le 2 Septembre, lorsque les parisiens apprennent que Toulon vient d'être livré aux Anglais par les royalistes, on sent le vent de l'émeute souffler à nouveau sur la capitale. Des pétitions réclament la taxation des denrées, des salaires, des profits, et même « le maximum des fortunes ». Les Jacobins tentent d'abord de canaliser le mouvement et, très vite, ils emboîtent le pas. La Commune va également se joindre aux émeutiers car c'est bien le seul moyen qui lui reste pour ne pas se faire déborder. Le 4 septembre, l'Assemblée est une nouvelle fois envahie par la foule des sectionnaires; les députés délibèrent sous la pression du peuple et Danton, avec la fougue qu'on lui connaît, prend parti pour ce peuple « sublime ». Il monte à la tribune; approuve les mesures proposées, auxquelles il en ajoute deux autres : paiement d'une indemnité de 40 sous aux sectionnaires qui assisteront aux deux réunions hebdomadaires de leur section; mise à disposition du Ministre de la Guerre d'une somme de cent millions pour la fabrication d'armes. La première proposition est habile; elle limite implicitement le nombre des réunions dans les sections où l'on a pris, dans certains quartiers, l'habitude de siéger en permanence. La deuxième est dans le droit fil de la pensée de Danton : sans argent, les responsables politiques ne disposent pas des pouvoirs nécessaires pour faire de grandes choses.
« Je pense comme plusieurs membres, notamment comme Billaud-Varennes, qu'il faut savoir mettre à profit l'élan sublime de ce peuple qui se presse autour de nous (..) »
« Vous venez de proclamer à la face de la France qu'elle est encore une vraie révolution active; eh bien! Il faut la consommer, cette révolution. Ne vous effrayez point des mouvements que pourront tenter les contre-révolutionnaires de Paris. Sans doute ils voudraient éteindre le feu de la liberté dans son foyer le plus ardent, mais la masse immense des vrais patriotes, des sans-culottes, qui cent fois ont terrassé leurs ennemis, existe encore; elle est prête à s'ébranler : sachez la diriger (..) »
« Songez que les hommes industrieux qui vivent du prix de leurs sueurs ne peuvent aller dans les sections. Décrétez donc deux grandes assemblées de section par semaine, que l'homme du peuple qui assistera à ces assemblées politiques ait une juste rétribution pour le temps qu'elles enlèveront à son travail (..) »
« Vous avez décrété trente millions à la disposition du ministre de la guerre pour des fabrications d'armes; décrétez que ces fabrications extraordinaires ne cesseront que quand la nation aura donné à chaque citoyen un fusil. Annonçons la ferme résolution d'avoir autant de fusils et presque autant de canons que de sans-culottes. Que ce soit la République qui mette le fusil dans la main du citoyen, du vrai patriote; qu'elle lui dise : "la patrie te confie cette arme pour sa défense; tu la représenteras tous les mois et quand tu en seras requis par l'autorité nationale". Qu'un fusil soit la chose la plus sacrée parmi nous; qu'on perde plutôt la vie que son fusil. Je demande que vous décrétiez au moins cent millions pour faire des armes de toutes natures; car si nous en avions eu des armes nous aurions tous marché (...) » (14)
Après avoir demandé que l'on prenne, sur le champ, les décrets relatifs à ces deux mesures Danton renchérit encore :
« Je demande enfin qu'il soit fait un rapport sur le mode d'augmenter de plus en plus l'action du tribunal révolutionnaire. Que le peuple voit tomber ses ennemis, qu'il voit la Convention s'occuper de ses besoins. Le peuple est grand, et il vous en donne à cet instant même une preuve remarquable (..)
« Hommage vous soit rendu, peuple sublime ! A la grandeur vous joignez la persévérance; vous voulez la liberté avec obstination; vous jeûnez pour la liberté, vous devez l'acquérir. Nous marcherons avec vous; vos ennemis seront confondus; vous serez libres. » (15)
Alors même que Robespierre* et le Comité de Salut Public semblaient débordés par la fureur populaire, c'est donc encore Danton qui se dresse ! Mais ce jour là, s'il retrouve son éloquence des jours les plus sombres, ce n'est ni pour faire obstacle aux revendications, ni pour se présenter en conciliateur. Danton lâche tout; il suit le mouvement pour désamorcer les critiques, il accorde sa caution aux revendications les plus extrêmes. Du même coup, il conforte son image de révolutionnaire avancé et espère bien que ces concessions, faites au « peuple sublime », désarmeront les attaques des hébertistes.
Le maximum des grains et des fourrages sera décrété le 11 Septembre; le maximum général (16) le 29. Mais le lendemain même de cette journée d'émeute, Danton enfonce de nouveau un peu plus le clou :
« Il faut frapper les traîtres avec toutes leurs armes (..) »
« Il faut savoir mettre à profit jusqu'au vices des individus !..Quelques millions bien répandus suffisent à les écraser tous par des moyens révolutionnaires... » (17)
Et le tribun, qui craint sans doute d'avoir mis à jour quelque ambition, déclare, comme il l'a fait à de multiples reprises : " Je ne suis, je ne serai d'aucun comité". Le croit-on plus aujourd'hui qu'hier ? L'activité débordante qu'il déploie depuis plusieurs semaines est-elle si désintéressée qu'il veut bien le dire ? Mystère...Toujours est-il que, dans l'euphorie, un député se lève et demande que le tribun soit « malgré lui, adjoint au Comité ». L'Assemblée dans un bel élan passe au vote et décide l'adjonction au Comité de Salut Public de Danton, Granet, Billaud-Varennes et Collot- d'Herbois.
Cette élection improvisée est à l'origine d'un nouveau coup de théâtre qui survient lorsque Danton, rappelant son serment, démissionne du poste auquel ses collègues l'ont porté :
« Et je tiens ce serment, non que je refuse d'assister au Comité dans les circonstances où je pourrais y être utile, mais, si j'en faisais partie, on aurait raison d'imprimer comme on l'a fait, que, malgré mes serments, je sais m'y glisser encore. Quand j'ai fait mettre des millions à sa disposition, on aurait véritablement prise sur moi, et je ne veux point en donner. J'espère que la Convention ne s'écartera pas pour moi du principe qu'elle ne peut forcer aucun de ses membres.. » (18)
Du même coup Granet démissionne également. Danton espère-t-il, à ce moment, que l'Assemblée va insister pour qu'il accepte d'entrer au Comité, contre sa volonté, et malgré ses serments ? Nul doute qu'il compte un peu sur cette éventualité. Mais l'Assemblée n'insiste pas; elle respecte le vœu du tribun. Quant à Billaud-Varenne et Colot d'Herbais, ils ont, eux, réussi à se glisser à l'intérieur. Le Comité se trouve ainsi renforcé de deux éléments à qui la sympathie des sans-culottes est tout acquise.
Après la démission de Thuret, le 20 Septembre, le courant dantoniste a totalement disparu au sein du Comité.....
(1) DILLON (Arthur, Comte de) : Né à Ryswick en Angleterre le 3 Septembre 1750. Officier, il participe à la guerre d'Amérique et est nommé Gouverneur de Tobago en 1786. Il est élu aux Etats Généraux par la noblesse de la Martinique. Nommé Général, il est proche de La Fayette*.
Suspendu de ses fonctions après le 10 Août 1792, il est réintégré à la demande de son ami Camille Desmoulins*. Suspendu à nouveau en Septembre 1792, il est encore réintégré. Mais le 1er Juin 1793, il est suspendu pour la troisième fois et arrêté le 13 Juillet.
Accusé d'avoir voulu faire proclamer Louis XVII pour roi et même d'avoir ourdi un complot pour faire évader Danton, il sera guillotiné le 14 Avril 1794 avec Lucile Desmoulins.
(2) CHALIER (Louis Joseph) : Né en Piémont en 1757. Représentant en soieries, il fait partie des vainqueurs de la Bastille et revient à Lyon pour répandre les idées révolutionnaires. Officier Municipal en 1790, il est élu Président de Tribunal de Commerce en 1792.
Après le 10 Août 1792, il devient un révolutionnaire acharné, idole des ouvriers lyonnais.
Le 6 Février 1793, après un coup de force, il prend l'Hôtel de Ville et organise un tribunal populaire et une dictature sanglante. A partir de fin Février, il doit se cacher et fait appel à la Convention pour reconquérir la Mairie ce qui est fait le 2 Mars. Mais le 29 Mai, la bourgeoisie lyonnaise se révolte : Chalier est arrêté, jugé et guillotiné le 15 Juillet 1793.
(3) cité par André STILL "Quand Robespierre et Danton inventaient la France"
Grasset, Paris, 1988, pages 353-354
(4) La Constitution a effectivement été approuvée par référendum le 9 août 1793.
(5) Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Pages 173 à 178
(6) idem page 179
(7) idem pages 179-180
(8) C'est Legendre qui est ici visé mais avec lui, bien évidemment, c'est Danton, Delacroix,..Que l'on attaque.
(9) Hector FLEISCHMANN "Discours civil de Danton" Op.. cit. Pages 181 à 183
(10) C'est cette phrase qui est gravée sur le socle de la statue de Danton située au Boulevard Saint-Germain à Paris.
(11) Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Pages 184 à 187
(12) idem pages 188 à 191
(13) cité par Albert MATHIEZ "La Révolution française" op. cit. Page 422
(14) Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Pages 191 à 194
(15) idem pages 195-196
(16) MAXIMUM GENERAL : La loi du maximum avait été décrétée le 4 Mai 1793. Elle imposait un prix maximal pour le blé et la farine dans chaque département.
Le Maximum général est beaucoup plus large : le prix maximum est imposé, pour un grand nombre de denrées de première nécessité, mais aussi pour les salaires.
L'application de cette mesure va provoquer des troubles, des phénomènes de panique au cours desquels on verra beaucoup de monde stocker des marchandises de toutes sortes. Le maximum général va surtout dérégler complètement l'économie française.
(17) Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 377
(18) idem page 378
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (43/52)
LA RETRAITE : SEPTEMBRE - NOVEMBRE 1793