L’INSURRECTION : 11 - 15 JUILLET 1789
Le discours alarmiste de Mirabeau le 11 Juillet, n’avait fait que traduire l’émotion ressentie à la fois par les députés et par la population. L’arrivée massive de troupes aux environs de Paris et de Versailles; le mauvais prétexte invoqué par le roi : la protection des délibérations de l’Assemblée; le spectre de la disette qui s’étend sur toute l’Ile de France; tout cela contribue évidemment à mettre le peuple sous pression.
Ajoutant à toutes ces causes légitimes d’inquiétude, le roi, une fois encore mal inspiré ou mal conseillé, a mis le feu aux poudres en limogeant Necker.
Le ministre, on s’en souvient, a plaidé pour le doublement du nombre des représentants du Tiers Etats. Il a dû, très certainement, conseiller le roi, ces derniers jours, afin qu’il consente à demander au clergé et à la noblesse de se joindre au Tiers. Necker est donc, pour une partie de la Cour, et sans doute pour le roi lui-même, celui qui porte la responsabilité des désordres. C’est pour ce motif que Louis XVI* congédie son ministre.
Le roi ne pouvait pas commettre faute plus grave, dans le contexte actuel, que de renvoyer Necker. Necker ! Celui que tout le monde considère comme le magicien ! Le seul, depuis des années, qui a réussi à gagner la confiance du peuple. Le seul que l’on croyait capable de rétablir les finances du royaume !....
La nouvelle est connue à Paris dans la matinée du 12 Juillet. La foule des parisiens se rend aussitôt au Palais-Royal, à l’affût de la moindre nouvelle en provenance de Versailles. Chacun sent bien maintenant que le conflit entre la monarchie et l’Assemblée peut éclater d’un instant à l’autre..
Des cortèges commencent à se former. Un jeune journaliste, Camille Desmoulins*, tient à la foule des discours enflammés et lance un appel aux armes. Les cortèges se dirigent vers la Place Vendôme puis vers l’Hôtel des Fermiers Généraux. Quelques instants plus tard, aux Tuileries, les dragons de Lambesc chargent les manifestants, sabre au clair. La foule en colère relève deux cadavres. Cette répression est le signe du déclenchement de l’insurrection. Le peuple court de nouveau aux Palais-Royal pour piller les quelques armureries qui s’y trouvent. Ceux qui n’ont pas eu la chance de se procurer un fusil ou un pistolet se précipitent chez eux et sortent tout ce qui pourrait servir d’arme. (1)
Dès le lendemain, 13 Juillet, le tocsin sonne à tous les clochers de la capitale. Le vent de la liberté souffle sur la France et, en tout premier lieu sur Paris. Le peuple armé d’objets les plus hétéroclites : piques, haches, fourches, marteau, se rassemble dans les rues. Les faubourgs grondent et pillent. Le 14 Juillet, le peuple en armes prend la Bastille, symbole des lettres de cachet et du pouvoir absolu. On tue quelques soldats qui se sont opposés à la volonté du peuple en état d’insurrection. On commet quelques crimes en exécutant, de façon sommaire, quelques notables, en particulier le Gouverneur de la forteresse qui a fait son devoir mais qui représente, lui aussi, le pouvoir royal.
Mirabeau ne reparaît à l’Assemblée nationale que le 15 Juillet. Les députés ont décidé d’envoyer une nouvelle adresse au roi pour réclamer, une fois encore, le renvoi des troupes. Mirabeau s’adresse à la députation qui vient de se constituer dans un discours qu’il improvise avec le talent qu’on lui connaît dans ces circonstances :
« Dites lui que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites et leurs caresses et leurs exhortations, et leurs présents; dites lui que toute la nuit ces satellites étrangers, gorgés d’or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies l’asservissement de la France, et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l’Assemblée nationale; dites lui que dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l’avant-scène de la Saint-Barthélémy.
« Dites lui que ce Henri dont l’univers bénit la mémoire, celui de ses aïeux qu’il voulait prendre pour modèle, faisait passer des vivres dans Paris révolté, qu’il assiégeait en personne, et que ses conseillers féroces font rebrousser les farines que le commerce apporte dans Paris fidèle et affamé.. » (2)
Mirabeau termine à peine que le Président de l’Assemblée annonce qu’il vient d’être informé de l’intention de Louis XVI* de rendre visite aux députés. A cette occasion est prononcé un mot célèbre que Mirabeau s’est attribué par la suite mais qui n’est probablement pas de lui :
« Qu’un morne respect soit le premier accueil fait au monarque dans un moment de douleur. Le silence des peuples est la leçon des rois ... »
Le roi se présente effectivement devant l’Assemblée; il demande aux représentants du peuple de l’aider à rétablir l’ordre public. Et, pour donner un gage de sa bonne volonté, Louis XVI* rappelle Necker apportant ainsi une nouvelle preuve de son inconstance !...
Mirabeau se borne à constater la suite des événements avec une certaine amertume. Il ne participe pas à la cérémonie du 17 Juillet au cours de laquelle le roi se rend à Paris, reçoit les clés de la ville et la cocarde tricolore (3). Bailly est devenu Maire de la capitale, La Fayette* commandant de la Garde nationale (4). Mirabeau ne peut s’empêcher de penser que, sans les funérailles de l’Ami des Hommes, il pouvait, lui aussi, prétendre à l’Hôtel de Ville de Paris. Lui qui est sans doute actuellement l’homme le plus populaire de toute la France.
C’est en ce jour du 17 Juillet que le signal de l’émigration est donné par les plus grandes familles françaises : Les Artois, Condé, Enghien, Breteuil, Broglie, Polignac, quittent le pays en se précipitant vers les frontières de l’est..
Le 22 Juillet, Mirabeau lance son « Courrier de Provence », journal trihebdomadaire dirigé par Dumont et Clavière, qui se substitue aux « Lettres du Comte de Mirabeau à ses Commettants » et qui va bénéficier d’une audience élargie.
En cette période où Paris et les provinces s’agitent, où s’installe ce que l’on appellera bientôt la « Grande Peur », circulent des quantités de rumeurs, enflées, déformées par certains. Disposer d’un organe de presse puissant est devenu pour Mirabeau une nécessité. Il va pouvoir diffuser largement ses propres idées et combattre les ennemis de la liberté, c’est à dire ceux qui propagent des fausses nouvelles. Ainsi, il n’hésite pas à fustiger ceux qu’il accuse de vouloir briser l’élan de la révolution :
« Rien ne frappe davantage un observateur que le penchant universel à croire, à exagérer les nouvelles sinistres dans les temps de calamité. Il semble que la logique ne consiste plus à calculer les degrés de probabilité, mais à prêter de la vraisemblance aux rumeurs les plus vagues, sitôt qu’elles annoncent des attentats et agitent l’imagination par de sombres terreurs. »
« Nous ressemblons alors aux enfants de qui les contes les plus effrayants sont toujours les mieux écoutés.... » (5)
Tous les événements politiques du pays seront dorénavant commentés par Mirabeau dans son journal.
(1) Voir Camille Desmoulins*.
(2) Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET " Mirabeau entre le Roi et la Révolution" op. cit. Pages 274-275
(3) Voir Louis XVI*.
(4) Jean Sylvain Bailly et La Fayette* ont été élus, le 15 Juillet, comme Maire de Paris et Commandant de la Garde nationale de la capitale.
(5) Numéro 21 du « Courrier de Provence »
Cité par Albert SOBOUL « La Révolution française » Gallimard, Paris, 1981, page 158
ILLUSTRATION : Prise de la Bastille
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (38)
LA DECLARATION DES DROITS : AOUT- SEPTEMBRE 1789