LA MORT DE L’AMI DES HOMMES :
11 - 13 JUILLET 1789
En ce matin du 11 juillet, à l’instant même où Mirabeau regagne péniblement sa place, en se frayant un chemin parmi ses collègues, qui le félicitent pour son intervention, on lui apporte un message urgent en provenance d’Argenteuil. Son père, l’Ami des Hommes, est au plus mal et demande la présence de ses fils auprès de lui avant de rendre son dernier soupir.
Mirabeau tient encore à la main le message qu’on vient de lui remettre, et il songe, pendant quelques instants, au Château d’If, au Donjon de Vincennes, à toute la haine que son père a éprouvée pour lui pendant de si longues années. Des images défilent et se mélangent, à toute vitesse, dans sa mémoire : le Bignon, Amsterdam, Londres, la fuite continuelle pour échapper à la police du roi, les lettres de cachet.... Il songe également à la gloire qu’il est sur le point d’obtenir à l’Assemblée, aux fonctions importantes qu’il est en droit d’attendre, maintenant qu’il s’est fait un nom. Il ne sait rien encore de ce qui se passe au Château à Versailles, des décisions que Louis XVI* vient de prendre, de la constitution d’un nouveau ministère, du limogeage de Necker... Il prend aussitôt la route d’Argenteuil.
L’Ami des Hommes a suivi avec beaucoup d’attention, pendant ces derniers mois, les mouvements politiques de la France. Il a guetté chaque jour les nouvelles en provenance de ces Etats généraux puis de la nouvelle Assemblée nationale. Il a attendu avec impatience les journaux dans lesquels il cherchait les articles relatant l’action de Gabriel-Honoré, comte de Mirabeau. Il lui est même arrivé de ressentir une certaine fierté lorsqu’on lui rapportait que son fils aîné s’était illustré en telle ou telle occasion ou que son discours à la tribune avait déchainé des tonnerres d’applaudissements !... Et pourtant, la haine ne l’a toujours pas quitté, même si elle lui laisse un peu plus de lucidité qu’auparavant. Le 13 Juin dernier, voilà ce que l’Ami des Hommes écrivait encore de son fils aîné :
« Il n’a fait que du mal, même en attaquant et en déchirant les abus, aujourd’hui, il tend visiblement à la destruction de l’ordre établi et mal lui en arrivera. Il recueillera ce qui revient aux gens qui ont manqué par la base, par les mœurs; il n’obtiendra jamais la confiance, voulût-il la mériter; il aura des partisans, des admirateurs même, selon le temps, mais jamais d’amis, ni personne qui se fie jamais à lui.. » (1)
Lorsque Mirabeau arrive à Argenteuil, où son plus jeune frère doit le rejoindre, l’Ami des Hommes n’est plus. Ses forces l’ont quitté avant qu’il n’ait pu revoir ses fils. Mais le voulait-il vraiment ?
Le 13 Juillet 1789, Gabriel-Honoré de Mirabeau et le vicomte de Mirabeau, accompagnés de la fidèle maîtresse de leur père, madame de Pailly, suivent le convoi funèbre dans les rues d’Argenteuil. Les passants qui les reconnaissent crient des " Vive Mirabeau !" Lorsque la triste cérémonie s’achève, Gabriel-Honoré, qui a beaucoup plus de chagrin qu’il n’aurait pu l’imaginer, met la dernière main à une « Lettre à ses Commettants » dans laquelle il ajoute son oraison funèbre :
« La mort de mon père, j’ose le dire, met en deuil les vrais citoyens du monde.. »
Puis, on passe à une autre cérémonie : l’ouverture du testament du marquis et l’on découvre qu’il a institué légataire universel son second fils, le vicomte de Mirabeau. A Gabriel-Honoré il ne laisse rien, pas un seul Louis pour payer ses dettes et mettre un peu d’ordre dans ses problèmes d’argent qui ne l’ont toujours pas quitté !...
Apprenant une telle nouvelle il aurait, naguère, été pris d’une violente colère. Aujourd’hui, il subit sans rien dire. La haine l’a quitté. Il y a plus urgent pour Mirabeau que de penser au testament de son père et au pauvre héritage que le vieil homme, aigri et ruiné, aurait pu lui léguer. Gabriel-Honoré de Mirabeau reprend précipitamment la route de Versailles pour retrouver l’Assemblée où il pressent que des événements graves vont se produire.
Il apprend le renvoi de Necker et la constitution d’un nouveau ministère avec Breteuil. (2)
(1) Cité par Duc de CASTRIES " Mirabeau " op. cit. Page 341
(2) Le ministère comprend, outre Breteuil, Broglie, Foulon, Barentin, Villedeuil et La Vauguyon. On y adjoindra le surlendemain Champion de Cicé comme Garde des Sceaux.
ILLUSTRATION : Victor Riqueti marquis de Mirabeau, l'Ami des Hommes
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (37)
L’INSURRECTION : 11 - 15 JUILLET 1789