LA FRONDE DES PARLEMENTS : 1787 - 1788
Le tombeur de Calonne, devenu l'homme fort auprès de Louis XVI*, c'est Loménie de Brienne (1). Mirabeau va donc s'appuyer sur cet homme là et solliciter auprès de lui le poste en rapport avec ses talents qu'il n'a pu obtenir de son prédécesseur. Il subit une nouvelle déception : Brienne répond avec un tel mépris à la demande de Mirabeau que celui-ci décide de changer ses projets.
La France ne veut toujours pas de lui mais, de toute façon, elle n'est toujours pas mûre pour de grandes transformations. Il se résout à terminer son ouvrage sur la monarchie prussienne et, pour cela, reprend contact avec le major Mauvillon et repart pour l'Allemagne le 24 Mai 1787.
Tous les éléments de l'ouvrage sont disponibles. Mauvillon, qui reste convaincu qu'il sert un grand homme, a rassemblé une quantité impressionnante de documents. Mirabeau n'a plus qu'à rédiger. C'est, lui semble-t-il, l'ouvrage de sa vie, comme il l'écrit à madame de Nehra :
« Mon amie, quand cet ouvrage paraîtra, je n'aurai à peu près que trente-huit ans; j'ose le prédire, il me fera un nom. Il se peut qu'il donne quelque regret à mon pays de laisser oisif un tel observateur et d'avoir mal récompensé ses services... » (2)
Il est impossible pour Mirabeau d'admettre qu'il ne peut pas jouer ce grand rôle pour lequel il estime avoir toutes les compétences. Puisque Brienne ne reconnaît pas ses mérites, il sollicite Montmorin (3), le successeur de Vergennes aux Affaires Etrangères.
« Avide d'être de plus en plus utile et de déjouer les calomniateurs et les méchants par une manière d'exister à laquelle on sera enfin forcé de rendre justice, il n'est pas indigne de vous de donner au gouvernement un sujet utile que tant de vos prédécesseurs ont voulu travestir en sujet dangereux.
« Il est des postes pour lesquels vous avez peu d'hommes, soit parce qu'il faut y porter une tête forte avec un courage très intrépide, ou des talents d'exécution avec ceux du cabinet, réunion qui n'est pas très commune. Je suis homme à risquer ma tête, comme à l'employer pour le service du roi. Varsovie, Saint-Pétersbourg, Constantinople, Alexandrie, tout m'est à peu près égal... » (4)
Montmorin, comme ses prédécesseurs ou ses collègues du gouvernement, éconduira poliment le demandeur en prenant garde de pas le froisser.. On redoute à Paris les réactions d'un Mirabeau qui n'inspire toujours pas confiance ...
Attendre, il faut donc se faire à cette situation qui lui semble, certains jours, insupportable. Mais que faire d'autre ?.... D’ailleurs, il a de plus en plus l’intuition que de grands bouleversements se préparent et qu’il pourrait bien, à cette occasion, avoir l’opportunité de saisir sa chance. Dans un courrier à l’un de ses amis il confie ses ambitions :
« Laisses moi, à mon obscurité; je dis à mon obscurité parce que mon dessein est d’y rester invariablement jusqu’à ce qu’il sorte un ordre régulier du tumulte où nous sommes et que quelque grande révolution, soit en bien, soit en mal, ordonne à un bon citoyen, toujours comptable de son suffrage et même de ses talents, d’élever la voix.
« Cette révolution ne saurait tarder... » (5)
Mais, lorsqu’ arrive le début de l'hiver 1787, Mirabeau a bien d'autres soucis que celui de participer aux affaires de l’Etat. De graves ennuis de santé le clouent au lit pendant plus de deux mois. Les hémorragies alternent avec des crises de coliques néphrétiques qui le font horriblement souffrir. Luttant contre la douleur, il profite tout de même de son immobilité pour écrire de nouveaux pamphlets et en particulier la « Réponse aux alarmes des bons citoyens ». Un pamphlet dans lequel il critique très vivement les Parlements à une époque où le roi et ses ministres sont en conflit ouvert avec les magistrats.
« .. Vous ne pouvez attendre du Parlement qu’il sauve votre liberté, qu’il défende vos droits et vos intérêts. Lui confier le soin de décider de vos impôts, de vos emprunts, de vos biens, ne sera jamais qu’une abdication coupable : il ne juge qu’en fonction de ses égoïsmes, enregistre tel emprunt à la hâte pour ne pas perdre ses vacances, refuse la subvention territoriale pour préserver ses exemptions, enfin, ne s’émeut que pour lui, jamais pour vous... » (6)
La publication de ce texte, sans nom d'auteur, mais dans lequel chaque lecteur reconnaît sans aucun doute la plume de Mirabeau, entame d'un coup sa popularité. L'ouvrage apparaît comme un texte commandé par le pouvoir royal et rédigé par un homme qui attend, en retour, une place pour assurer son quotidien.
Mais, fort heureusement pour Mirabeau, le roi de France ne sait affirmer son autorité que dans de très rares occasions. Aussi n'ira-t-il pas jusqu'au bout de ses décisions. Pour en finir, il cède aux recommandations de son ministre Loménie de Brienne et, par des arrêts des 5 Juillet et 8 Août 1788, il décide la convocation des Etats Généraux pour le printemps de 1789. Le 21 Août 1788, Mirabeau écrit à son ami Mauvillon :
« Il y a dix mois et surtout six que je suis en butte à toutes les calomnies du monde parce que, dans la conversation, je ne partage pas le fanatisme parlementaire et que je n'ai pas écrit une seule ligne pour le parti de l'opposition. A la vérité, je n'en ai pas écrit davantage pour l'autre côté.
« J'ai toujours cru qu'entre le Roi et le Parlement, il y avait un pauvre petit parti obscur appelé la Nation dont les gens de bon sens et de bonne foi devaient être.. » (7)
1 - LOMENIE de BRIENNE (Etienne Charles de) : Né à Paris le 0 Octobre 1727, il sera évêque de Condom en 1761, Archevêque de Toulouse en 1763, membre de l'Académie Française en 1770 et Contrôleur Général des Finances de Mai 1787 à Août 1788. Il porte une grande responsabilité dans l'échec de l'Assemblée des Notables et devra affronter une fronde parlementaire. Fait Cardinal de Sens en 1788, il prêtera serment à la Constitution Civile du Clergé.
Arrêté, il meurt d'apoplexie à Sens le 16 Février 1794.
2 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. Page 255
3 - MONTMORIN (Armand Marc, Comte de Montmorin-Saint-Hérem) : Né à Paris le 13 Octobre 1745. Ambassadeur de France de 1777 à 1783, il est appelé au Ministère des Affaires Etrangères le 14 Février 1787 et soutient Necker. Il quitte le ministère avec Necker le 12 Juillet 1789 sur ordre du Roi et revient avec lui le 17 Juillet.
Après le retrait définitif de Necker, il devient le ministre le plus influent et s'allie à Mirabeau* pour préserver la monarchie constitutionnelle. Il quittera finalement le ministère le 20 Novembre 1791 mais continuera à conseiller le Roi.
En Juillet 1792, Brissot* accusera Montmorin d'être le chef d'un "Comité autrichien". Il sera arrêté le 21 Août, emprisonné et massacré par les émeutiers au début des massacres de Septembre : le 2.
4 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. Page 260
5 - Lettre à Soufflot du 4 Octobre 1787
in Lucas de MONTIGNY " Mémoires " op. cit. Tome III, page 328
6 - Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET "Mirabeau" op. cit. Page 97
7 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. Page 264
ILLUSTRATION : Cardinal Etienne Charles de Loménie de Brienne, huile sur toile, Ecole française (vers 1770), Château de Versailles.
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (29)
DE L’ARGENT POUR UN FIEF : AOUT - DECEMBRE 1788