L'ESPOIR DANS LES NOTABLES : 1786 - 1787
Au cours du second semestre de 1786, Mirabeau expédie régulièrement de Berlin des dépêches informant le gouvernement français et le roi des événements survenus dans le royaume de Prusse. Il s'acquitte de sa mission avec beaucoup de sérieux et tient d’ailleurs à ce que cela soit dit :
« Je n'ai prédit un événement qui ne soit pas arrivé; il n'est pas arrivé un événement prussien que je n'aie pas prédit.. » (1)
Mirabeau, durant cette période, semble nager dans le bonheur. Il fréquente les plus grands personnages du pays, n'a plus guère de soucis financiers et est aimé par une femme qui lui voue une adoration sans bornes. De plus son fils lui apporte également beaucoup de joie et de satisfactions. Il a tout pour être heureux mais il ne sait pas, il ne saura jamais, profiter de son bonheur. Mirabeau est un jouisseur qui profite de l'instant présent, autant qu'il peut en profiter, et qui, aussitôt, est repris par l'inquiétude qui le ronge en permanence.
Ce qui le soucie le plus actuellement, est le début de l'ouvrage qu'il a entrepris d'écrire. Un « Traité de la Monarchie prussienne » pour lequel il a renoué des contacts avec le Duc de Brunswick (2) rencontré quelques mois plus tôt. Chez le Duc, il a fait connaissance avec le major Mauvillon, officier d'origine française, qui va lui fournir une importante documentation statistique et économique que Mirabeau utilisera largement pour son ouvrage.
Tout absorbé qu'il est par ce qui se passe dans le royaume de Prusse, Mirabeau n'en oublie pas pour autant de se tenir à l'écoute des événements qui surviennent dans le royaume de France. Des remous politiques semblent s'annoncer, et cela ne peut que le réjouir. Il sent que son heure approche, comme il le dira à Mauvillon. Apprenant la convocation par le roi de l'Assemblée des Notables (3), il écrit à son ami Talleyrand :
« Mon cœur n'a pas vieilli, et si mon enthousiasme est amorti, il n'est pas éteint. Je l'ai bien éprouvé aujourd'hui; je regarde comme l'un des plus beaux jours de ma vie celui où vous m'apprenez la convocation de l'Assemblée des Notables, qui sans doute précédera de peu celle de l'Assemblée nationale. J'y vois un ordre des choses qui peut régénérer la monarchie. Je me croirais mille fois honoré d’être le dernier secrétaire de cette Assemblée dont j’ai eu le bonheur de donner l’idée, et qui a bien besoin que vous lui apparteniez, ou plutôt que vous en deveniez l’âme...
« Mais rester ici, condamné au supplice des bêtes, et remuer les sinuosités fangeuses d’une administration qui signale chacune de ses journées par un nouveau trait de pusillanimité et d’impéritie, c’est ce dont je n’ai plus la force (...)
« Faites moi donc revenir, mon cher maître.... » (4)
Mirabeau est intimement convaincu qu’il a acquis, en France, une énorme popularité avec ses brochures ce qui peut lui laisser espérer qu'on fasse appel à lui pour le poste de secrétaire de cette assemblée des Notables. Il est donc très impatient de voir les choses de plus près ce qui explique l’appel pathétique lancé à son ami Talleyrand. Il quitte enfin Berlin le 21 Janvier 1787, tellement précipitamment qu’il laisse, dans la capitale prussienne, madame de Nehra et le jeune Lucas de Montigny.
Dès son retour à Paris Mirabeau accumule les déceptions. Il ne tarde pas à comprendre que, dans l'esprit de Calonne, l'Assemblée des Notables n'est pas du tout le prélude aux Etats généraux, comme certains se plaisaient à le dire et comme le pensait Mirabeau. C’est, au contraire un moyen d'éviter ceux-ci. Les Notables doivent apporter au Contrôleur Général la caution dont il a besoin pour continuer sa politique. Par ailleurs, Calonne connaît trop bien Mirabeau pour avoir recours à ses services dans une entreprise aussi délicate. Aussi nomme-t-il Dupont de Nemours comme Premier Secrétaire de l'Assemblée des Notables; le second est un diplomate que Mirabeau connaît bien puisqu'il a naguère eu à faire à lui lorsqu'il était en fuite en Suisse.
Mirabeau est évidemment fou de rage de voir qu'il a été évincé de la sorte. Pour lui il s'agit belle et bien d'une trahison et il jure de se venger de ce ministre présomptueux qui croit pouvoir se passer de ses compétences. Très vite les circonstances vont lui fournir l'occasion de tenir son serment.
Alors que la convocation des Notables est retardée pour cause de maladie de Calonne puis de celles de Miromesnil et Vergennes, Mirabeau reconstitue la petite équipe de pamphlétaires qui avait si bien fonctionné avant qu'il ne reparte pour Berlin. Clavière et Panchaud sont prêts à se remettre à l'œuvre. A l'occasion, Talleyrand fournira, si on le lui demande, quelques précieux renseignements.
L’idée des Notables apparait vite comme totalement absurde puisque s’agissant de recourir aux seuls remèdes qui étaient d’un côté la diminution des dépenses par la suppression des sinécures et des grâces pécuniaires, d’un autre côté, à l’accroissement des produits de l’impôt, par l’abolition des exemptions abusives, il était évident que la plus mauvaise des solutions était de s’adresser aux hommes qui profitaient le plus de ces immunités et qui, par suite, étaient les moins disposés à sacrifier des abus et des privilèges si chers à leur vanité.
Mirabeau n’a plus en tête que son idée de vengeance envers Calonne et le petit groupe de pamphlétaires qu’il, a constitué va être d'ailleurs bien servi par la chance car une affaire de spéculation bat son plein : un dignitaire ecclésiastique, l'abbé d'Espagnac, Vicaire général de Sens, vient de réaliser une importante opération sur les actions de la Compagnie des Indes. Une somme énorme a changé de mains : 11 500 000 livres !.. La manœuvre a enrichi très rapidement son instigateur mais Clavière, qui s'y connaît, se lance aussitôt dans une enquête qui démontre que d'Espagnac n'a pu réaliser cette opération qu'avec l'accord, et probablement même l'appui, du Contrôleur des Finances Calonne. Mirabeau tient là sa vengeance. Il rédige, avec l'aide de ses compagnons, le célèbre pamphlet « Dénonciation de l'agiotage au Roi et à l’Assemblée des Notables » dans lequel il attaque la gestion de Calonne. A des considérations techniques, Mirabeau ajoute une véritable déclaration politique dans laquelle il propose "son" programme de gouvernement. Une vraie déclaration de Premier Ministre !... Le pamphlet, dès sa publication, reçoit un accueil plutôt favorable. Calonne est obligé de désavouer publiquement d'Espagnac mais il riposte par une nouvelle lettre de cachet signée à l'encontre de l'auteur...
Mirabeau, une fois encore, doit fuir. Il quitte la France pour la Belgique et s'installe à Tongres. Là il appelle au secours Yet-Lie et son fils qui quittent Berlin pour venir le rejoindre. Mirabeau se remet à l'écriture. Il rédige en toute hâte ses « Lettres du Comte de Mirabeau sur l'administration de M. Necker » qui seront à l'origine de l'exil de l'ancien ministre.
Mirabeau, en cette année 1787, s'acharne sur Necker, considérant que l'ancien ministre est un homme fini mais encore redoutable par les idées qu'il propage. Il n'a pas réalisé que Necker pouvait, un jour, revenir aux affaires !.. Là où il ne s'est guère trompé, par contre, c'est sur l'issue de l'Assemblée des Notables. On attendait beaucoup de cette Assemblée, il n'en sort quasiment rien et Calonne y perd sa place..
Yet-Lie va à nouveau jouer le rôle d'ambassadeur. Elle quitte la Belgique pour Paris afin de faire suspendre la lettre de cachet qui menace son amant. Quelques jours plus tard, Mirabeau la rejoint dans la capitale. Breteuil, qui n'est pas trop mécontent de l'éviction de Calonne, a assuré qu’il fermerait les yeux...
1 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. Page 242
2 - BRUNSWICK (Charles Guillaume Ferdinand, duc de) : Né le 9 Octobre 1735. Général au service de la Prusse, il acquiert la réputation d'être l'un des plus grands hommes de guerre de son temps.
Après avoir publié le manifeste qui porte son nom, le 25 Juillet 1792, il pénètre en Champagne mais n'ose livrer une bataille décisive et se retire après Valmy, que certains qualifieront de canonnade. Commandant en Chef des troupes Prussiennes en 1793, il démissionne en Janvier 1794.
Il reprendra la tête des armées prussiennes, à la demande du roi, en 1806 et mourra pendant la retraite de la bataille d'Auerstädt le 10 Novembre 1806.
3 - Les Notables convoqués par le Ministre Calonne étaient au nombre de 146 dont 7 Princes du Sang, 7 archevêques, 7 évêques, 8 Maréchaux de France, 12 Ducs et pairs ou non pairs, 34 Premiers Présidents ou Procureurs Généraux, 8 Conseillers d’Etat, 4 Intendants de Provinces, 20 Gentilshommes titrés, 12 Députés de Pays d’Etat, 20 Officiers Municipaux, etc…
4 - Lettre à Talleyrand du 13 Décembre 1787 cité par Claude MANCERON " Les Hommes de la Liberté " op. cit. Vol IV, page 374
Et par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. Page 244
ILLUSTRATION : Assemblée des Notable à Versailles
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (28)
LA FRONDE DES PARLEMENTS : 1787 - 1788