UNE RACE DURE ET VIOLENTE
Comment raconter Honoré Gabriel Riqueti comte de Mirabeau, personnage central de la Révolution française, sans évoquer, en quelques pages, la longue lignée dont il est issu. Venus sans doute d'Italie, peut-être de Corse ou bien encore de la région de Marseille, on trouve la trace des premiers Riquet, dont le nom est parfois orthographié Riqueti, vers 1350 du côté de la vallée de la Durance. Un siècle plus tard, c'est à Digne que l'on entend, à nouveau, parler d'un dénommé Riqueti. Mais c’est à partir du milieu du XVIème siècle que la famille prend véritablement son essor et sort définitivement de l'anonymat. Un Jean Riqueti est élu Premier Consul de Marseille en 1562. Bénéficiant des faveurs du Roi Charles IX, il fait un riche mariage dans la noblesse provençale et, couronnement d'une ascension, se porte acquéreur en 1570 du château de Mirabeau. Durant les XIV et XVème siècles, la seigneurie de Mirabeau a été inféodée aux Barras (1), riche famille qui donnera Paul Barras (2), membre du Directoire. Elle passe en 1551 aux Glandevès qui la cèderont à Jean Riqueti mari de Marguerite de Glandevès, fille d’Antoine de Glandevès, Seigneur de Cuges, et de Jeanne Doria, un peu moins de vingt ans plus tard.
La propriété est très convoitée à l'époque, d'abord parce que c'est une vaste demeure ayant toujours appartenu à de riches familles, ensuite parce qu'elle occupe, entre le Vaucluse et les Alpes de Haute Provence, une position qui a longtemps été considérée comme stratégique.
C'est donc là que les Riqueti de Mirabeau vont donner plusieurs générations d'hommes aussi remarquables par leurs talents que durs et violents dans leur caractère.
Jean de Riqueti et son épouse auront huit enfants dont Honoré de Riqueti, né en 1587 qui confirmera, par sa brillante carrière la position sociale acquise par la famille. Il devient en effet écuyer, Seigneur de Mirabeau et de Beaumont et gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. La descendance d’Honoré de Riqueti sera un garçon et une fille. Le garçon, Thomas de Riqueti, né en 1602, suit les traces de son père puisqu’il est, lui aussi, Seigneur de Mirabeau et de Beaumont, mais devient Syndic de la Noblesse de Provence. Thomas épouse Anne de Pontévès en 1620. Ils auront 9 enfants dont Honoré de Riqueti, deuxième du nom, né en 1687 et qui va devenir le premier marquis de Mirabeau puisqu’en juillet 1685 la terre de Mirabeau est érigée en marquisat par décision du roi. Cette faveur royale constitue en fait l'aboutissement de plusieurs dizaines d'années d'efforts, de mensonges et de procédures de la part des propriétaires du château. On dit même que jean Riqueti, peu après l’acquisition de la propriété de Mirabeau, aurait fait établir un faux arbre généalogique attestant d’une origine noble florentine pour parvenir à ses fins. Quoiqu’il en soit, ses efforts et ceux de ses héritiers sont bien récompensés car ils font enfin pénétrer les Riqueti au sein de la noblesse de province.
Le premier marquis de Mirabeau réalise une carrière éblouissante lui aussi : Seigneur de Beaumont et de Villebonne, Officier, 1er Consul d’Aix en Provence, 1er Procureur aixois, Syndic de la Noblesse. Il aura pour descendance trois fils et une fille. L’un des fils, Jean-Antoine de Riqueti, grand père de Gabriel-Honoré aura une influence indirecte mais importante sur la jeunesse de notre héros
Jean-Antoine de Riqueti, né en 1666, embrasse comme son père la carrière militaire au cours de laquelle il se fera autant remarquer par son non-conformisme que par sa bravoure. Deuxième marquis de Mirabeau, comte de Beaumont, Brigadier, il parviendra tout de même à faire carrière sous les armes et deviendra Page du Grand Maître de l’Ordre de Malte et Chevalier de Saint Louis. La légende, remarquablement construite par ses descendants, donne une description très précise de ses faits d’armes tel le combat de Cassano durant la guerre de succession d’Espagne. Chargeant l’ennemi à la tête de ses troupes il est très gravement blessé à la tête, et même laissé pour mort sur le champ de bataille. Il est finalement ramené à l’arrière de la ligne de front et soigné mais sa tête ne peut plus se soutenir que grâce à une attelle de métal qui lui vaut le surnom de « Col d'Argent ».
Rendu à la vie civile et tout auréolé de sa gloire, Jean Antoine marquis de Mirabeau épouse en 1708 la jeune et jolie demoiselle de Castelane-Norante. Le marquis a déjà quarante-deux ans et souffre de son handicap physique mais cela ne semble pas altérer du tout la vie conjugale des deux époux. Le bouillant marquis, tout son entourage le sait bien, rudoie de temps à autre sa jeune épouse mais cela n'empêche pas celle-ci de lui prodiguer des soins attentifs. Au château de Mirabeau naissent sept enfants de cette union. Quatre décèdent dans les premières années de leur vie; il ne reste que trois garçons pour assurer la succession de la race. Pour démentir tous les pronostics qui avaient été émis à propos de sa santé, « Col d'Argent », sûrement très bien soigné par son épouse, ne s'éteint qu'en 1737. La marquise de Mirabeau va lui survivre près de trente ans pendant lesquels, elle va veiller sur la santé, l'éducation et la carrière de ses trois enfants avec une attention à celle qu’elle avait accordée à son mari.
Le plus jeune, Louis-Alexandre, engagé dans l'armée sous la pression de sa mère, mène une vie turbulente avant d'épouser, clandestinement, une demoiselle de Navarre. Il fuit alors à l'étranger comme s'il voulait couper définitivement les ponts avec une famille dont la présence lui parait un peu trop pesante. On le retrouve quelques années plus tard à Bayreuth. Les Mirabeau, bien entendu, l'ont renié depuis fort longtemps pour son inconduite. Ce n'est que lorsqu'il revient en France, avec le poste de diplomate, envoyé personnel de Frédéric II, que la famille tente de renouer des liens et surtout de récupérer la gloire du jeune fils prodigue. Une gloire qui sera d'ailleurs bien éphémère puisque le jeune Louis-Alexandre meurt prématurément à l'âge de trente-six ans.
Le second fils, prénommé Jean-Antoine comme son père, et connu toute sa vie sous le nom de "Bailli de Mirabeau" est, sans aucun doute, le plus raisonnable de toute la famille. Intelligent, courageux, plein de la grâce de sa mère, mais ayant hérité aussi du caractère violent de son père, il s'engage très tôt dans la marine. Sans doute veut-il, lui aussi, fuir l'atmosphère oppressante de la famille. Il réussit, dans l'armée, une brillante carrière grâce à son intelligence et à son courage. On dit même que son nom aurait été évoqué en 1757 pour le poste de Ministre de la Marine !... Passé à côté de cette fonction importante, sans doute à cause de son caractère entier, il se console rapidement en faisant l'acquisition, avec l'aide financière de son frère aîné, de la charge de Général des Galères qu'il occupe jusqu'en 1765.
Le fils aîné de Jean-Antoine de Riqueti, Victor, est né en 1715. Il reçoit, aussi bien de son père que de sa mère, une éducation sévère, parfois même brutale, qui va influer sur son comportement durant toute sa vie. Victor conservera de son enfance et de son adolescence un caractère ombrageux, coléreux, souvent violent.
Le père envisage très vite pour ce fils aîné, à qui il revient d'assurer la renommée des Mirabeau, une carrière militaire. Après de rapides études à Aix, « Col d'Argent » fait incorporer son fils, qui n'a encore que treize ans, dans le régiment de Duras, celui-là même qu'il a jadis commandé.
1 - Atlas Historique Provence, Comtat Venaissin, Principauté d’Orange, Comté de Nice, Principauté de Monaco, par E. BARATIER, G. DUBY, E. HILDESHEIMER Armand Colin, Paris, 1969
2 - BARRAS (Paul François Jean Nicolas de), dit le Vicomte de Barras, puis Paul Barras, né le 30 juin 1755 à Fox-Amphoux (Provence, aujourd'hui Var) et mort le 29 janvier 1829 à Paris, est un noble français, homme politique révolutionnaire, général de la Révolution et de l’Empire.Député à la Convention pendant la Révolution française, il vota la mort de Louis XVI. Il apparaît comme l’un des hommes-clés de la transition vers le Directoire, dont il devient l'un des principaux Directeurs à partir du 31 octobre 1795, et jusqu'au coup d'État du 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799). Il participe à la chute de Robespierre, le 9 Thermidor (27 juillet 1794). Commandant de la force armée de Paris, il s’empare de la personne de Robespierre.À son retour d’Égypte, Bonaparte s'allie avec Sieyès pour renverser le Directoire. Au matin du 18 Brumaire, Barras démissionne du Directoire apportant ainsi "un concours inestimable à la réussite du coup d’État". D’abord relégué dans son domaine de Grosbois, il est contraint à l’exil à Bruxelles. Il revient ensuite en Provence, avant un nouvel exil à Rome en 1810.Sous la Restauration il est autorisé, bien que régicide, à rentrer après la chute de l'Empire. Cela s'explique par le fait qu'il était un des rares régicides à n'avoir pas adhéré pendant les Cent-Jours à l'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire. Il meurt oublié le 29 janvier 1829, accablé d’infirmités, à Chaillot (près de Paris).
ILLUSTRATION : Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau. Portrait par Joseph BOZE
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (2)
LE MARQUIS VICTOR RIQUETI DE MIRABEAU