LE MARQUIS VICTOR RIQUETI DE MIRABEAU
Victor Riqueti de Mirabeau, malgré les efforts soutenus de son père, n'aura jamais l'esprit militaire. En effet, rien ne l'irrite davantage que de supporter l'autorité d'un chef ce qui, avouons le, est un défaut suffisant pour ruiner toute ambition dans le métier des armes. Son esprit d'indépendance, comme sa fougue, ne cesseront de lui jouer des mauvais tours. Et pourtant son désir de faire une carrière est plus fort que tout : « L'ambition me dévore, mais d'une façon singulière; ce n'est pas les honneurs que j'ambitionne, ni l'argent, ni les bienfaits, mais un nom et être enfin quelqu'un.. » (1) écrit-il à son collègue Vauvenargues en 1738.
Etre quelqu'un, c'est ce qui va devenir l'unique objectif de sa vie. Il va apprendre à profiter de toutes les opportunités qui se présenteront à lui. Ainsi, en garnison à Bordeaux, Victor a l'occasion de rencontrer Montesquieu avec qui il se lie d’amitié. Les deux hommes continueront, semble-t-il, à échanger beaucoup lorsque Victor aura quitté Bordeaux. Il se constitue, de cette façon, un réseau de relations, tissé patiemment, et sur lequel il espère, un jour, pouvoir s'appuyer. Mais l'un des premiers tournants de sa vie va avoir lieu à la mort de son père Jean-Antoine, le terrible « Col d'Argent » avec qui d’ailleurs les relations n’avaient cessé de s’éfilocher. Le marquis laisse à son fils aîné tous ses biens dont il pourra avoir la jouissance à sa majorité, c'est à dire en 1740. L'héritage est relativement modeste et pourtant, il va provoquer un déclic chez le marquis Victor de Mirabeau qui quitte définitivement l'armée alors qu’il n’a que vingt-huit ans, avec le grade de capitaine, et sans avoir le moindre titre de gloire. Ce n'est pas sous l’uniforme qu'il pourra satisfaire ses ambitions, il en a maintenant acquis la certitude.
Rendu à la vie civile, mais plus que jamais tenaillé par l'ambition, Victor se livre à une analyse très simple de la situation qui est la sienne : une famille noble ne compte que si elle fréquente la Cour de France; il décide par conséquent de se montrer à la cour. Il lui parait alors indispensable, s'il veut satisfaire ses ambitions, qu'il ait pignon sur rue à Paris et, si possible, qu'il puisse acquérir un château à proximité de la capitale. En tous cas, il en est certain, ce n'est pas à partir des terres du domaine de Mirabeau qu'il réussira à se faire connaître.
Le problème est qu'il n'a pas le moindre sou d'avance excepté la propriété de Mirabeau qu'il ne peut évidemment pas vendre sans perdre ses titres de noblesse. Qu'importe ! Puisqu'il n'a rien en propre et bien il lui suffit d’emprunter ! Il achète ainsi une propriété près de Nemours, le château du Bignon (2). D’après la description qu’en fait Hubert de Montlaur le château est « une vaste construction, bâtie à l’époque de la Renaissance, au milieu de douves, encadrée de bois, de prés et de ruisseaux » (3) Tout cela, acquis en fort mauvais état, nécessite par conséquent quelques centaines de milliers de livres de réparations. Et comme il veut faire bonne figure, il ne lésine pas sur les dépenses. Le même Hubert de Montlaur rapporte : « le château est entièrement refait, on meuble les appartements, les pacages sont mués en prairies, on change le cours d’une rivière, on plante, on creuse, on dessine un parc.. » (4)
Pour se rapprocher encore un peu plus de la Cour il fait également l’acquisition d’un Hôtel situé rue Bergère à Paris. En mauvais état, lui aussi. Les revenus du marquis sont très loin de lui suffire mais la seule chose qui compte à ses yeux c'est qu'il soit quasiment en place. Il est maintenant prêt à se lancer à la conquête de la Cour de France et il ne fait aucun doute pour lui qu'il va réussir.
Le moment lui parait opportun de contracter un mariage, riche de préférence. Cela devrait, pense-t-il, d'abord lui permettre d'améliorer sensiblement ses revenus, ce qui est devenu indispensable compte tenu de son endettement, mais également, pourquoi pas, lui faciliter l'accès à la cour de Versailles...
Mademoiselle de Vassan, rencontrée par l'intermédiaire d'un ami, représente un parti fort convenable. Issue d'une vieille famille de province, la jeune femme a été mariée à douze ans avec l'un de ses cousins pour se retrouver veuve l'année suivante, sans même que le mariage n'ait été consommé !.. Victor de Mirabeau lui trouve subitement toutes les qualités lorsqu'il apprend qu'elle apporte trente mille livres de rentes et surtout que figure dans ses avoirs la baronnie de Pierre-Buffière, l'une des plus prestigieuses du Limousin. Il n'hésite donc pas un seul instant et épouse Geneviève de Vassan.
Il épouse d'ailleurs un peu vite. Il ne lui faudra que quelques semaines pour découvrir, mais un peu tard, que les trente mille livres de rentes ne sont à ce jour que des espérances. Concrètement, il ne tombe que quatre mille livres dans l'escarcelle du ménage et il faudra bien qu'il s'en contente. Même si cela est insuffisant pour éponger ses dettes !.. Et puis, ce n'est pas tout : la nouvelle épouse est laide et acariâtre. Evidemment, il aurait pu s'en apercevoir plus tôt, mais le montant de la rente lui avait fait perdre tout sens de l'observation ! « Les vingt ans que j'ai passés avec elle ont été vingt ans de coliques néphrétiques » dira plus tard le marquis Victor de Mirabeau.
Malgré le peu d'attirance qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, le désir charnel semble rapprocher souvent les deux époux puisqu'en onze années de vie commune Geneviève de Vassan mettra au monde onze enfants dont cinq seulement survivront.
Le marquis de Mirabeau profite maintenant de ses loisirs, et il en a beaucoup, pour écrire. Le premier de ses écrits, qu'il parvient à faire publier, est baptisé pompeusement « Testament Politique ». C'est un livre qui, en toute logique, aurait dû le couvrir de ridicule tant le ton de l'ouvrage était suffisant. Mais, quoiqu'il arrive dans sa vie, le marquis de Mirabeau se sentira toujours au-dessus du ridicule !..
Victor de Mirabeau a des idées. Il ne parvient que très rarement à les mettre en ordre mais il en a beaucoup. Rien que pendant les années 1744-1748 il rédige des milliers de pages de notes et de réflexions. L'écriture occupe maintenant la plus grande partie de son temps. Pendant qu'il écrit, son épouse fait des enfants : quatre durant les quatre années en question, dont un garçon qui va représenter l'espoir de toute la famille. Malheureusement, à la suite d'un accident stupide, le rejeton avale le contenu d'une bouteille d'encre et meurt empoisonné. Avec ce décès, les espoirs des Mirabeau s'envolent, une nouvelle fois.
C'est à la fin de l'année 1748 que la famille entière vient s'installer au château du Bignon dans le Gâtinais où les travaux d’aménagements sont enfin terminés. Il est grand temps de se rapprocher de la capitale !..
1 - Cité par Duc de CASTRIES, "Mirabeau", Fayard, Paris, 1986, page 35
2 - Aujourd’hui Le Bignon Mirabeau dans le département du Loiret
3 - Cité par Liliane VIOLAS « L’Eclaireur du Gâtinais » N°du 30 septembre 1999
4 - Idem
ILLUSTRATION : Victor Riqueti marquis de Mirabeau
l'"Ami des Hommes"
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (3)
LE BIGNON : MARS 1749