Dans le climat politique tendu de cette année où les effluves de «Jasmin» provenant du monde arabe ont crispé le pouvoir chinois, l'événement a de quoi surprendre. Officiellement, le séminaire du week-end dernier était destiné à célébrer le 30e anniversaire d'un document historique ayant dénoncé la Révolution culturelle. En 1981, une rare «Résolution sur certaines questions de l'histoire de notre Parti» avait admis que Mao était responsable de cette période dramatique. Mais le raout s'est transformé en tribune pour les partisans de la poursuite des réformes politiques et économiques, sur fond de fort serrage de vis et de retour aux valeurs «rouges».
Les passes d'armes entre éléments conservateurs et libéraux du Parti sont fréquentes, et même violentes ces derniers temps. Mais cette fois-ci, de manière inhabituelle, le colloque au ton si libre a rassemblé le gratin de l'élite intellectuelle chinoise, que ce soit dans le politique, économique ou juridique. Y compris d'éminents conseillers du gouvernement. Et les orateurs s'en sont pris sans complexes à la chape de plomb écrasant la liberté d'expression ainsi qu'à l'immobilisme politique. Ils ont averti que le Parti communiste faisait face à une grave crise de légitimité.
Ancien président de la China University of Political Science and Law, le Pr Jiang Ping s'en est pris aux deux grandes «excuses» de Pékin pour garder le champ politique sous verrou, la «stabilité» et les «circonstances nationales uniques» que connaîtrait la Chine. Il n'a ainsi pas hésité à s'attaquer au grand dogme du pouvoir actuel, la sacro-sainte stabilité. Selon lui, il est absurde et grave d'affirmer qu'elle doit être assurée «au détriment des droits de l'homme et de l'État de droit». D'autres orateurs ont déploré la manipulation nationaliste consistant à présenter toutes les valeurs de liberté comme occidentales, pour mieux les rejeter. En faisant remarquer que le premier ministre Wen Jiabao lui-même n'hésitait pas à en parler.
Des extraits diffusés sur le Net
Universitaire de renom, Yu Jianrong, de l'Académie chinoise des sciences sociales - un think-tank officiel -, s'est désolé de l'énorme détérioration de la liberté d'expression, à l'aune de celle qui existait il y a trois décennies. Et a déploré qu'il n'y ait ni «réexamen du mode d'exercice du pouvoir», ni «compréhension claire du rôle de l'État, qui doit être en premier lieu de protéger ses citoyens». Ancien doyen de la Management School de l'université de Pékin, Zhang Weiying a enfoncé le clou, en affirmant qu'une seule disposition de la Constitution chinoise avait été appliquée, celle du leadership absolu du Parti, les autres droits ayant été laissés de côté. Professeur à l'École centrale du Parti, Wang Changjiang a critiqué le «pouvoir sans brides» exercé par les cadres, sans vision ni sens de la responsabilité.
La presse n'a pas évoqué ces débats audacieux. Mais des extraits ont été diffusés sur Internet, notamment via Weibo, le Twitter chinois. Et certains discours ont été repris sur le site du magazine Caixin. Les observateurs se perdent en conjectures sur cet étonnant colloque, organisé par un site Internet honorant le leader réformateur Hu Yaobang et deux publications libérales, dont le Southern Week-End. A-t-il été organisé avec l'autorisation explicite de Pékin ? Ou a-t-il seulement été encouragé par des éléments libéraux des cercles du pouvoir, pas mécontents de voir leurs idées poussées en avant ?
Ces derniers mois, depuis l'éclosion du printemps arabe, la tendance était plutôt à l'étouffement de toute voix dissonante. Et la période actuelle est sensible. Le mois prochain se tiendra à Pékin le plénum annuel, qui balisera la voie vers le Congrès de l'an prochain, où sera adoubée la nouvelle génération de dirigeants chinois qui régnera sur la Chine pendant une décennie, entre 2013 et 2023.
Source : LeFigaro.fr 04-09-2011
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