
Arlésienne parlementaire, la loi pénitentiaire arrive enfin à l’Assemblée. Déjà votée par le Sénat, elle sera débattue à partir de mardi par les députés, mais dans une version largement retoquée et critiquée par des nombreux acteurs du monde carcéral. Florence Aubenas, présidente de l’Observatoire international des prisons (OIP) depuis le mois de juillet, revient sur son engagement et les lacunes de ce projet.
Pourquoi vous engager à l’OIP?
J’ai toujours été touchée par les problématiques carcérales. Avant d’être grand reporter à Libération, j’ai travaillé au service informations générales où j’ai suivi ces questions. Dès sa création dans les années 1990, j’ai "couvert" l’OIP et je connaissais bien ses membres. Quand au mois de juillet, on m’a proposé de rejoindre l’observatoire, j’y ai vu un prolongement de mon travail, tout à fait compatible avec mon métier de journaliste puisque l’association est apolitique et que je suis bénévole. Il n’y a rien que je dénonce ici que je ne pourrais écrire dans mes articles.
Vous dîtes que le sujet vous touche…
Je me souviens avoir assisté au procès d’un jeune type au début de ma carrière. Un "voleur de pommes", comme on dit, qui s’est mis à m’écrire en détention. Comme il ne supportait pas les humiliations carcérales, il entrait régulièrement en contentieux avec les gardiens et sa petite peine s’est mise à s’allonger. Au fil des mois, et devant mes yeux, je voyais le cercle vicieux de la détention se mettre en marche. Aujourd’hui, je suis toujours en contact avec lui, il est sorti de prison bien sûr, mais cette "fabrique de la violence" existe toujours, à cause d’un grand malentendu. Dans l’opinion publique, prévaut l’idée qu’une peine doit être une peine de prison, une peine qui fait mal. Or, répondre à la violence par la violence engendre de la violence, toutes les études le montrent. Voilà le message que je veux faire passer.
Vous militez notamment pour des aménagements de peine, moins importants que prévus dans cette deuxième version du texte…
Michèle Alliot-Marie crée de la confusion. En limitant ces aménagements prévus par le texte voté au Sénat, elle laisse entendre qu’il s’agit de cadeaux faits aux détenus. Or ces peines – que ce soient le travail d’intérêt général, la semi-liberté, le bracelet électronique - favorisent l’insertion. Un délinquant sexuel a plus de chance de se soigner en menant une activité qu’en restant enfermé dans sa cellule, avec la peur de se faire tabasser en promenade et un an d’attente pour faire une thérapie. Les aménagements de peine sont bénéfiques aux prisonniers mais aussi à la société.
"La santé est la grande oubliée de cette loi"
Autre sujet qui fâche l’OIP: le droit à l’encellulement individuel que la ministre souhaite remettre en cause. Mais certains détenus préfèrent vivre à plusieurs…
Certes. Selon une enquête de l’administration pénitentiaire, seuls 450 détenus ont demandé l’an passé à être placés en cellule individuelle, ce qui laisse penser que ce n’est pas un véritable besoin. Mais, en réalité, les détenus ne formulent pas cette demande car ils savent que, si elle aboutit, ils risquent d’être transférés dans une autre prison, souvent plus loin de chez eux, ce qui veut dire moins de visites, des proches, de l’avocat, et un procès qui traîne… Une autre étude* montre que 83% des détenus aimeraient avoir ce droit. Les sénateurs l’ont reconnu, avec un moratoire de cinq ans, compte-tenu de la surpopulation carcérale. Le projet présenté à l’Assemblée et amendé par la ministre de la Justice marque un recul.
Vous jugez également "absurdes" les mesures destinées à lutter contre le suicide en prison…
La ministre souhaite prévenir "matériellement" le suicide avec des pyjamas en papier, des matelas coupe feu, ou la suppression des potences que sont les postes de télévision. Nous pensons qu’il faut aussi s’attaquer aux causes du mal. Près de 40% des détenus ont des problèmes psychologiques lourds, or la santé est la grande oubliée de cette loi. Dans les petits centres de détention, il n’y a pas de médecins de garde après 17h. La permanence des soins a été supprimée du texte. Il faudrait aussi créer du lien social, autoriser plus de parloirs.
"Les députés vont signer un chèque en blanc"
Il y a tout de même des avancées dans cette loi comme l’extension du droit au téléphone, la limitation de la détention provisoire…
Oui, c’est vrai. Mais dès qu’un droit est affirmé, il est aussitôt encadré par des dispositions qui devront être fixées par décret ou par l’administration pénitentiaire. Ce qui veut dire que les députés vont signer un chèque en blanc en votant cette loi. Exemple: un taux horaire minimum est prévu pour le travail en prison, mais non précisé. C’est dommage. Nous avons attendu très longtemps cette loi pénitentiaire – la dernière a cinquante ans. Et je crains que "le grand rendez-vous des Français avec leurs prisons " annoncé par le gouvernement, ne soit manqué.
Que proposez-vous?
Comme au Canada où le taux de récidive est très faible, il faudrait proposer des activités tout au long de la journée: travail, enseignement, loisirs. Aujourd’hui, quand ils obtiennent une place dans un atelier, les détenus effectuent des tâches répétitives, du travail à la chaîne, et ne savent rien faire en sortant. Investir sur la réinsertion n’est pas forcément plus cher puisque cela limiterait la récidive. Une place en prison coute en moyenne 55 euros par détenu et par jour. Bien plus que le bracelet électronique - 22 euros - ou une place en centre ouvert de semi-liberté - 20 euros. Mais encore une fois, on laisse croire à l’opinion qu’il faut taper sur les têtes pour ramener l’ordre, quand cela crée du désordre. Pendant ce temps, la situation devient de plus en plus explosive dans les prisons et le taux de récidive ne cesse d’augmenter.
Pourquoi les députés ont-ils reculés sur le texte adopté par le Sénat?
C’est une constante en France, les sénateurs sont plus enclins à défendre les libertés. Les députés redoutent davantage la sanction de l’opinion car ils sont plus sur le terrain et leurs débats sont plus médiatisés. Or beaucoup de Français s’offusquent encore que l’on défende les détenus autant que les sans-abri…
"Il faut du courage politique"
Croyez-vous que les Français soient prêts à entendre votre discours?
Il faut faire un travail d’explication. Lors de l’affaire d’Outreau, je me souviens que tout le monde s’indignait de la détention provisoire d’innocents. Mais les politiques préfèrent souvent souffler sur les braises plutôt que de faire de la pédagogie. La peine de mort n’aurait pas été abolie par référendum. Aujourd’hui aussi il faut du courage politique. Obama ferme Guantanamo car on y fabrique de la violence, du terrorisme. C’est la grandeur d’un Etat de droit de dire "cette société qui vous condamne respecte aussi vos droits, pour qu’en sortant vous la respectiez aussi".
Qu’avez-vous pensé du fil de Jacques Audiard, Le Prophète ?
J’y ai vu une formidable histoire avant tout. Ce n’est pas un film réaliste puisqu’il ne s’agit pas d’une détention ordinaire. Mais, hormis des détails, il parvient à relater le mécanisme profond de la détention, les séquelles qu’elle laisse, le déphasage des détenus lorsqu’ils sortent. Je pense notamment à cette scène à l’aéroport lorsque le prophète tire la langue, à son passage en douane, comme pour une fouille. C’est fort.
*Publiée lors des Etats généraux de la condition pénitentiaire.
Source : lejdd.fr 14-09-2009