
C'est la question qui brûle toutes les lèvres: la France de 2009 peut-elle vivre un nouveau Mai 68 ? Dans quelques jours, tous les syndicats défileront bras dessus, bras dessous lors d'une manifestation historique, le premier 1er Mai unitaire depuis la Libération. Les mouvements sociaux se radicalisent: séquestrations et occupations d'usines, saccage de la sous-préfecture de Compiègne, coupures de gaz et d'électricité. Des universités restent occupées et des examens seront reportés dans une vingtaine d'entre elles, comme nous le révélons.
L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin parle de "risque révolutionnaire". François Fillon et Alain Juppé ont condamné ces propos "irresponsables". Mais pas Jean-Pierre Raffarin, son prédécesseur à Matignon: "Notre pays a le sang chaud. La situation sociale est tendue", renchérissait-il samedi dans Le Monde, tout en appelant à la "fermeté pour que [les] séquestrations cessent". D'autres, comme Martine Aubry, première secrétaire du PS, se veulent prudents.
Dans l'université, la situation est insaisissable. Au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, on évoque à la fois une "décrue" de la mobilisation et une "radicalisation" des mécontents après quatre mois de conflit. Vendredi, 76 enseignants-chercheurs de l'université de Franche-Comté exprimaient leur refus de présider les jurys du baccalauréat 2009.
Un jeu d'équilibrisme pour les syndicats
Et dans les usines ? "Une crise sociale est toujours imprévisible, mais les ingrédients sont là ", répond Hubert Landier, président du cabinet Management social. "Il suffirait d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres, comme une grosse gaffe du président de la République." Mais il relativise les mouvements actuels. "Il y avait beaucoup plus de violence sociale dans les années 1970. En 1975, de 100 à 200 usines étaient occupées simultanément." Les années 1970 ont vu de grandes grèves de solidarité (par exemple lors de la crise de la sidérurgie lorraine), qui ont disparu. "L'heure n'est plus aux utopies. Aujourd'hui, on se mobilise pour des problèmes qui touchent directement", ajoute le sociologue Guy Groux, du Centre d'études de la vie politique française.
Les réactions des salariés sont multiples. Les Molex ou les Sony, frappés par des licenciements décidés à l'étranger, basculent dans la radicalité pour forcer les politiques à réagir. Mais la majorité silencieuse se tait, ceux qui ont un emploi et peur de le perdre. "Notre défi est d'arriver à mobiliser à la fois les salariés licenciés et ceux qui pensent qu'ils vont rester", explique Maryse Dumas, numéro deux de la CGT. Les syndicats, embarrassés par la violence, cherchent à calmer le jeu. Maintenir la pression sur le politique mais contenir la radicalité, c'est un jeu d'équilibrisme pour des syndicats parfois désavoués par leur base.
Le "G8", intersyndicale née de la crise, rassemble les huit confédérations, de la CFDT à SUD. Après le 1er Mai, plusieurs d'entre elles veulent appeler à une autre journée d'action avant l'été. Pour arracher au chef de l'Etat un plan de soutien du pouvoir d'achat. 1968-2009 ? Mai 1968 était une révolte de la jeunesse dans une société en forte croissance. Le climat de 2009 se détériore alors que s'égrènent les plans sociaux de la récession. Et que la revendication d'égalité, comme le montrait une étude dans Le Monde d'hier, vient détrôner l'aspiration à la liberté. Les syndicats, comme les politiques, savent que l'Histoire ne se répète jamais. Même si, souvent, elle bégaie.
Source : jdd.fr 27-04-2009