Une accolade, une poignée de main qui ressemble à un bras de fer. Près de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, les deux présidents mettent en scène leur proximité forgée dans l'épreuve, celle qui se déroule loin des dorures de l'Élysée. Tout n'est pas feint et la mine d'Emmanuel Macron est grave. Sur le champ de bataille, l'Ukraine est désormais en difficulté, l'un et l'autre le savent. «Je suis persuadé que tu me comprends même en ukrainien !», sourit le président ukrainien tandis que son homologue français installe son écouteur. Les deux s'apprêtent à signer un accord de sécurité, dans le prolongement des engagements formulés par les pays du G7 lors du sommet de l'Otan à Vilnius en juillet.
Un accord de longue durée
L'accord sera valable dix ans «et le restera tant que l'Ukraine n'aura pas rejoint l'Otan», insiste Emmanuel Macron. Un chemin d'adhésion a été ouvert mais il sera long. Avant d'arriver à Paris, vendredi soir, Volodymyr Zelensky a signé un accord similaire à Berlin avec le chancelier Olaf Scholz, qui, lui, s'était opposé, en juillet, à une adhésion rapide de l'Ukraine à l'Alliance. Un accord «historique», a dit Zelensky à Berlin tant l'Allemagne s'est imposée comme un soutien clé pour l'Ukraine. À Paris, il a un mot plus personnel envers son hôte. «Je veux te remercier personnellement», dit-il à Emmanuel Macron. «Le début des pourparlers (à l'Otan) ont été possibles grâce à ton leadership», dit-il.
Nouvelle étape
En nouant une série d'accord avec les pays du G7 et 25 autres, Volodymyr Zelensky espère renforcer le soutien dont bénéficie son pays. Il avait conclu un premier accord avec le premier ministre britannique Rishi Sunak en janvier. Français, Allemands et Britanniques ont tous conclu des accords pour dix ans. La guerre semble entrer dans une nouvelle étape.
Emmanuel Macron, qui pensait-il y a deux ans pouvoir maintenir un canal de discussion avec le président russe Vladimir Poutine, prononce des mises en garde sévères. «La Russie a durci ses postures agressives pas seulement contre l'Ukraine mais contre nous tous. Aujourd'hui, c'est une nouvelle phase. La Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur méthodique de la déstabilisation du monde», explique Emmanuel Macron. «Le régime de Kremlin bâtit actuellement un récit fantasmé pour remettre en cause les frontières» héritées du passé. Il s'agit «d'une menace pour l'Europe, le Caucase et l'Asie centrale. On se demande quel nouveau pays sera sa proie», poursuit-il. Alors que l'annonce de la mort de l'opposant russe Alexei Navalny a été faite le matin même, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a énoncé un jugement sans appel : «Vladimir Poutine est un assassin, c'est un constat».
La mort d'Alexei Navalny «rappelle la réalité du régime du Kremlin», poursuit Emmanuel Macron. «Ces derniers mois des manœuvres de désinformation, de manipulation de l'information et des attaques cyber se sont systématisées et intensifiées. La Russie a franchi plusieurs seuils à l'égard des démocraties européennes. Ce changement de posture marque une volonté d'agression à notre endroit». «L'intensification des agressions, leur changement de nature et les seuils franchis exigent un sursaut collectif», répète-t-il à l'égard des pays européens.
Trois milliards d'euros d'aide française
À Berlin, quelques heures auparavant, Volodymyr Zelensky avait signé avec le chancelier Olaf Scholz un accord de sécurité similaire. Berlin a annoncé la livraison de 36 obusiers blindés PzH2000, de 120000 obus, deux systèmes de défense aériens, le tout pour une valeur de 1,13 milliard d'euros.
La France était aussi attendue sur des chiffres. Depuis le début de la guerre en Ukraine, Paris est demeuré volontairement opaque sur ses livraisons d'armes. Officiellement, il s'agissait de préserver le secret des opérations. Mais les autres partenaires de l'Ukraine ont eu moins de prudence.
Vendredi, Emmanuel Macron a précisé l'aide envoyée en Ukraine et annoncé «3 milliards d'euros d'aide militaire supplémentaire en 2024», après 1,7 milliard d'euros en 2022 et 2,1 milliards d'euros en 2023. Volodymyr Zelensky s'est félicité des trois accords conclus, sans vouloir les comparer. «Il est important que la Russie voit que l'Ukraine n'est pas seule», a-t-il répété, avant de préciser, ensuite «qu'il ne s'agissait pas d'une alternative» au soutien américain. «Nous sommes ensemble. Cette alliance est nécessaire pour vaincre la Russie», a-t-il souligné en espérant que les blocages politiques à Washington qui retardent l'adoption d'un nouveau paquet d'aide soient levés.
Transparence sur les livraisons d'armement
Si les accords sont similaires, lorsqu'ils prévoient par exemple un système de consultation en cas de future agression russe, chaque pays a pu détailler le soutien civil ou militaire qu'il entend développer. Pour le brouillard sur l'aide française, l'Élysée a publié un inventaire «non exhaustif» des matériels livrés depuis deux ans. Comme moyens d'artillerie, la France a ainsi livré 30 canons Caesar, 6 canons TRF1 et 4 Lance-roquettes unitaires. En termes de véhicules blindés, elle a fourni 38 AMX10RC, des blindés légers de reconnaissance, 250 véhicules de l'avant blindé, 120 VLTT P4, des jeeps, et 17 postes de tir missiles antichars Milan légers. En ce qui concerne la défense antiaérienne, 1 système de longue portée SAMPT, 2 Crotale NG, 5 postes de tirs Mistral et un radar GM200 ont été livrés. Enfin, la France a livré «une centaine» de missiles de longue portée Scalp et va livrer «plusieurs centaines» de bombes A2SM. Ces capacités de frappe dans la profondeur, équivalente aux StormShadow britanniques, ont permis à l'Ukraine de remporter des succès tactiques en Crimée. L'Allemagne, quant à elle, refuse toujours de livrer des missiles Taurus équivalents. «Notre effort porte sur la réactivité et la qualité», argumente-t-on à Paris en critiquant, à mi-voix, les déclarations financières de l'Allemagne. Au début du conflit, Berlin avait commencé par vouloir livrer des casques aux Ukrainiens... C'était un autre temps.
Source : LeFigaro.fr 16-02-2024
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