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Banquet des Gardes du Corps le 3 octobre 1789 à Versailles
DEFENSE DES INTERETS DU PEUPLE :
SEPTEMBRE - OCTOBRE 1789
Le 5 Octobre 1789, l’automne est tombé sur Paris. Il pleut, il fait froid et pourtant les femmes des faubourgs de la capitale se sont rassemblées ; elles s'en vont chercher, à Versailles, « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Danton* et les Cordeliers ont lancé un appel pour ce mouvement qui traduit la détresse du peuple de la capitale confronté depuis si longtemps à la disette. Les femmes n’en peuvent plus ; il faut maintenant près des trois quarts d’un salaire pour payer le pain !.. Il faut ramener le Roi à Paris et l’on ne manquera plus jamais de pain, dit-on dans les faubourgs.
C'est à partir d'un fait, qui aurait pu être banal, que l'exaspération populaire a atteint le niveau critique. Le 3 Octobre dernier, les gardes du corps ont donné, à Versailles, un banquet en l'honneur du Régiment de Flandres qui vient de prendre ses quartiers dans la ville. Le Roi et la Reine ont assisté à ce banquet, bien imprudemment semble-t-il. (1) Dès le lendemain, on colporte des bruits qui tournent rapidement au scandale : le Roi et Marie-Antoinette* auraient refusé de lever leur verre à le Nation ! Pire encore, ils auraient, en compagnie d'officiers pris de boisson, foulé aux pieds la cocarde tricolore !... La nouvelle de ce scandale s’est répandue dans la capitale comme une traînée de poudre. Cette « orgie », à laquelle le Roi de France et son épouse ont pris part, est la goutte qui fait déborder le vase. L’exaspération des parisiens est à son comble !...
Au matin du 5, un long cortège s'ébranle de la capitale en direction de Versailles. Il tombe des cordes mais rien ne peut décourager les femmes des faubourgs qui, accompagnées de mendiants et des volontaires, armés de fourches ou de piques, ont décidé d'aller chercher la famille royale pour la ramener à Paris.
Ce 5 Octobre, Robespierre à l'Assemblée intervient, lui aussi, bruyamment. Il a une bonne raison pour cela car, après avoir fait attendre pendant des semaines, le Roi vient de faire une réponse hautaine à la Déclaration des Droits, proclamée le 26 Août dernier. Cette attitude provoque la révolte de Robespierre qui dénonce, à la tribune, la violation des « principes » :
« La réponse du Roi est destructive, non seulement de toute constitution, mais encore du droit national à avoir une constitution. On n'adopte les articles constitutionnels qu'à une condition positive : celui qui peut imposer une condition à une constitution a le droit d'empêcher cette constitution; il met sa volonté au-dessus du droit de la Nation. On vous dit que vos articles constitutionnels ne présentent pas tous l'idée de la perfection; on ne s'explique pas sur la Déclaration des Droits : est-ce au pouvoir exécutif de critiquer le pouvoir constituant, de qui il émane ? Il n'appartient à aucune puissance de la terre d'expliquer des principes, de s'élever au-dessus d'une nation, et de censurer ses volontés. Je considère donc la réponse du roi comme contraire aux principes, aux droits de la nation, et comme opposée à la Constitution. Tout vous fait assez connaître que les ministres veulent rivaliser d'autorité avec la nation : on a sanctionné vos arrêtés, les uns par un arrêt du Conseil, avec les formes anciennes du despotisme, car tel est notre bon plaisir, etc...Un autre est transformé en règlement, et le roi fait des lois sans vous, tandis que vous n'en pouvez faire sans lui. Vous n'avez d'autre moyen d'éviter les obstacles. Quelle espèce de religion y a-t-il donc à couvrir les droits de la nation d'un voile qui ne sert qu'à favoriser les atteintes qu'on voudrait leur porter ? » (2)
Robespierre vient de donner le ton ! Comme il a de la suite dans les idées, c'est une des qualités qu'on lui reconnaît volontiers, cette argumentation reviendra bien souvent dans ses discours....
Les journées d'Octobre constituent un nouveau tournant décisif pour la Révolution. La marche des femmes des Faubourgs sur Versailles, le retour précipité du Roi aux Tuileries, suivi de l'installation de l'Assemblée Constituante dans la salle du Manège, consacrent la défaite de ceux que l'on appelle maintenant les "Monarchiens". Pour défendre les intérêts de la classe possédante, ils ont tout tenté pour arrêter le mouvement révolutionnaire; ils sont les premiers vaincus après ces journées des 5 et 6 Octobre. Mounier, le chef de file du groupe monarchien, choisit l'émigration.
La bourgeoisie, majoritaire au sein de l'Assemblée, entreprend alors un long travail de restauration des institutions qui a deux objectifs : affaiblir la monarchie, tenir les masses populaires en dehors de l'action politique. Seul le groupe des démocrates, situé à l'extrême gauche de l'Assemblée, va s'opposer à cette politique en défendant les intérêts du peuple. Dans ce groupe se détachent Buzot (3), Pétion (4) et Robespierre. Dans les discussions sur les articles de la Constitution, les clivages vont très vite apparaître au grand jour. Au cours de la première semaine de Septembre l'affaire du Veto royal, « absolu » ou « suspensif », agite beaucoup les membres de l'Assemblée. Il s’agit, en effet, de décider si le Roi peut s’opposer, d’une manière ou d’une autre, aux décisions prises par l’Assemblée nationale. Robespierre publie un texte (celui d'un discours qu'il n'aurait pu prononcer à la tribune ?) dans lequel il prend des positions nettes vis à vis de ce pouvoir que certains voudraient laisser au Roi :
« Celui qui dit qu'un homme a le droit de s'opposer à la loi dit que la volonté d'un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la Nation n'est rien et qu'un seul homme est tout. S'il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du pouvoir exécutif, il dit que l'homme établi par la Nation pour faire exécuter les volontés de la Nation a le droit d'enchaîner et de contrarier les volontés de la Nation. Il a créé un monstre inconcevable en morale et en politique et ce monstre n'est autre que le Veto Royal...il faut se rappeler que les gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par le peuple et pour le peuple, que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent les rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires ou les délégués du peuple. » (5)
Marche des femmes des faubourgs parisiens sur Versailles – 5 octobre 1789
L’opinion de Robespierre est on ne peut plus claire : non au veto « absolu » qui est une ineptie sur le plan moral. Quant au veto "suspensif", il trouve la formule toute aussi inconcevable :
« Pourquoi faut-il que la volonté de la Nation cède pendant un temps quelconque à la volonté d'un homme ? Pourquoi faut-il que le pouvoir législatif soit paralysé dès qu'il plaira au pouvoir exécutif, tandis que celui-ci peut toujours exercer une activité redoutable à la liberté ? » (6)
Il admet cependant qu'il faut se donner les moyens de prévenir les abus éventuels du corps législatif. Ce n'est pas dans le droit de « veto » que se trouve la réponse mais dans la composition de ce corps législatif lui-même
« Nommez vos représentants pour un temps très court après lequel ils doivent rentrer dans la foule des citoyens dont ils subissent le jugement impartial; composez votre corps législatif non sur des principes aristocratiques, mais suivant les règles éternelles de la justice et de l'humanité; appelez-y tous les citoyens, sans autre distinction que celles des vertus et des talents et qu'ils ne puissent pas même être continués après le temps ordinaire de leurs fonctions.. » (7)
Maximilien reprendra cette dernière idée et l'imposera avec succès au printemps 1791. Aucun des députés qui siègent aujourd’hui à l’Assemblée Constituante ne sera reconduit dans la prochaine Assemblée.
Pendant ce temps, à Paris, ceux qui se proclament les "patriotes" s'organisent. Ils se réunissaient régulièrement, depuis Mai 1789, au sein du Club des Députés Bretons. Ils siègent maintenant au Couvent des Jacobins de la Rue Saint Honoré sous le nom de « Société des Amis de la Constitution ». Des clubs "affiliés" se sont également formés en province. Les débats politiques de ce que l'on va bientôt nommer le « Club des Jacobins » vont avoir un retentissement aussi important que ceux de l'Assemblée elle-même.
Le thème qui est au cœur des débats, en ce mois d'Octobre 1789, est l'établissement de la loi électorale. La « Déclaration des Droits », adoptée dans un bel élan de générosité, le 26 Août dernier, semble déjà oubliée. Certains esprits, et non des moindres, se sont ressaisis et pensent maintenant que tout a été trop vite et trop loin ! Les propositions faites par Sieyès à l'Assemblée, concernant la loi électorale (propositions qui seront finalement adoptées), instituent des citoyens « actifs » (8) et des citoyens « passifs » (9). Ce droit de vote, conditionné par des niveaux de revenus, déclenche de violentes protestations de la part de certains députés. L'Abbé Grégoire (10) et Robespierre, entre autres, vont défendre le respect strict de la Déclaration des Droits :
« Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de la représentation. Rien n'est plus conforme à votre Déclaration des Droits devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaître. La Constitution établit que la souveraineté réside dans le Peuple, dans tous les individus du Peuple.. Chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé et à l'administration de la chose publique qui est la sienne, sinon il n'est pas vrai que tous les hommes soient égaux en droits, que tout homme soit un citoyen.
« (....) Celui qui a cent mille livres de rentes a cent fois autant de droits que celui qui n'a que mille livres de revenu. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi; et dès lors, celui d'être électeur ou éligible, sans distinction de fortune.» (11)
Marche des femmes des faubourgs parisiens sur Versailles – 5 octobre 1789
Si Maximilien affirme avec force le principe, on doit reconnaître que son argumentation est, pour le moment, assez faible. Mais il reviendra sur le sujet,... inlassablement!... Car le débat sur cette question fondamentale va être long et âpre. Si quelques unes de ses interventions à la tribune sont remarquées, la plupart ne modifient en rien l'orientation des débats. Il observe, note les contradictions nombreuses des Constituants, représentants de la bourgeoisie possédante, analyse leurs manœuvres. Par sagesse ou par obligation, il écoute et surtout, avec patience, il apprend. Il sait, sans aucun doute, qu'il ne peut rivaliser avec la puissance de tribun d'un Mirabeau* ou avec la finesse politique du "renard" Sieyès. Il est même souvent l'objet des sarcasmes de la presse qui le nomme « la chandelle d'Arras » (12) par opposition au « flambeau de la Provence » qu'est le député d'Aix.
Robespierre est assidu aux travaux de la Constituante. Cependant, si à l'Assemblée, il fait sourire, parfois rire; si on moque son habit vert, sa perruque parfaitement poudrée, sa raideur, sa gaucherie, son style suranné et trop travaillé, chacun s'accorde pour dire qu'il est sérieux, travailleur, obstiné et que l’on peut lui faire confiance pour ne rien laisser passer !...
(1) Voir Louis XVI*
(2) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton ...." op. cit. page 81
(3) BUZOT (François Nicolas Léonard) : Né le 1er Mars 1760, il est avocat à Evreux au début de la Révolution. Elu par le Tiers Etat de cette ville aux Etats Généraux, il siège avec Robespierre.
Lors d'un séjour à Paris, il s'éprend de Madame Roland et, élu de l'Eure à la Convention, il attaquera Danton*, Robespierre et la Commune de Paris. C'est lui qui, lors du procès du roi, demandera le bannissement de tous les Bourbons dont l'élu de la Montagne Philippe Egalité. Il demandera même la fermeture du Club des Jacobins.
Décrété d'arrestation avec les Girondins le 2 Juin 1793, il s'enfuira en Normandie, puis en Bretagne et enfin à Bordeaux. Traqué, il se suicidera avec Pétion le 18 Juin 1794.
(4) PETION (Jérôme) : Né le 2 Janvier 1756 à Chartres. Avocat dans cette ville, il est élu aux Etats Généraux et siège à l'extrême gauche avec Buzot et Robespierre. Il deviendra l'ami de l'Incorruptible. Après la fuite du roi à Varennes, il est chargé de ramener la famille royale à Paris.
Il devient Maire de la Capitale le 15 Juin 1791.
Il va alors se laisser séduire par les idées de la Gironde et est suspendu de ses fonctions le 12 Juillet 1792. Elu à la Convention par le département de l'Eure et Loir, il en est le premier Président et est nommé en même temps Président du Club des Jacobins.
Ayant défendu Buzot, il sera proscrit avec les Girondins le 2 Juin 1793 et devra se réfugier à Caen puis en Bretagne et enfin à Bordeaux. Il se suicidera avec Buzot pour ne pas être pris.
(5) cité par Jean RATINAUD "Robespierre" Seuil, 1960, page 30-31
(6) cité par Jean-Claude FRERE "La victoire ou la Mort" op. cit. page 145
(7) cité par Jean RATINAUD "Robespierre" op. cit. pages 30-31
(8) Les citoyens actifs devaient payer une contribution directe au moins égale à la valeur locale de 3 journées de travail. On en compte en 1789 environ 4 millions.
(9) Les citoyens passifs sont exclus du droit électoral car exclus du droit de propriété.
(10) Abbé GREGOIRE (Henri Baptiste) : Né le 4 Décembre 1750. Elève des Jésuites à Nancy, il est curé d'Emberménil à la Révolution. Elu aux Etats Généraux il fréquente le Club Breton avec Barnave*, Pétion et Robespierre.
Il devient en 1790 le Président de la Société des Amis des Noirs. Il prête, dans les premiers, serment à la Constitution Civile du Clergé et est élu Evêque Constitutionnel du Loir et Cher.
Elu à la Convention, il refusera malgré les pressions d'abandonner la prêtrise. Membre du Conseil des Cinq Cents, il réunira un premier Concile national en 1797 puis un second en 1801 pour réorganiser l'Eglise de France. Adversaire de Napoléon, il sera pourtant nommé Comte en 1808. Il mourra à Paris le 28 Mai 1831.
(11) Discours de Robespierre à l'Assemblée le 22 Octobre 1789
cité par Albert SOBOUL "La Révolution Française", Gallimard, 1982, page 188
(12) "La Chandelle d'Arras" était le titre d'une œuvre en vers publiée en 1765. Dans cette pièce, assez connue, était ridiculisé le culte, à Arras, de la "Sainte Chandelle" dont la cire était censée guérir.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : ROBESPIERRE (10/50)
LES DEBUTS DU TRIBUN : JANVIER 1790