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« Le Défenseur de la Constitution » Journal périodique publié par ROBESPIERRE
LE « DEFENSEUR DE LA CONSTITUTION » :
MAI 1792
Avec son nouveau journal, Robespierre dispose donc maintenant d'un moyen d'expression dont il est le maître absolu et avec lequel il va pouvoir dénoncer ses adversaires, faire connaître sa pensée sans qu'elle soit déformée, élargir son audience, traiter des sujets de fond qu'il ne peut aborder à la tribune des Jacobins qu'au hasard des occasions qui lui sont offertes.
Il va aussi, bien sûr, reprendre les thèmes qui lui sont chers : la guerre et la façon de la conduire, l'armée et ses généraux, qu'il s'est engagé à suivre de très près.
« La guerre est commencée, il nous reste plus qu'à prendre les précautions nécessaires pour la faire tourner au profit de la Révolution. Faisons la guerre du peuple contre la tyrannie, et non celle de la cour, des patriciens, des intrigants et des agioteurs contre le peuple (...) »
« Mais pour ranimer la confiance des soldats, suffit-il de blâmer leur défiance ? Non, il faut en faire cesser les justes causes. Pouvez-vous leur faire oublier que la Révolution a été faite contre la noblesse, et que c'est la noblesse qui est à leur tête ? Pouvez-vous effacer de leur esprit toutes les perfidies de la cour et des ennemis de la Révolution ? Donnez-leur donc des chefs en qui ils aient confiance, des chefs dont les mains ne soient pas teintes du sang des patriotes ... » (1)
Evidemment, en abordant la question de la guerre et des militaires, Robespierre ne peut manquer l'occasion d'attaquer une nouvelle fois son principal ennemi : La Fayette* :
« ..S'il est vrai que cette guerre doit décider de notre liberté ou de notre servitude, n'est-ce pas trahir ouvertement la cause publique que de remettre sa destinée entre les mains d'un général dont l'ambition, fatale au patriotisme, a déjà porté tant de coups mortels à notre Constitution et fait couler au sein de la paix le plus pur sang des Français ? Un chef de faction ne peut être celui de l'armée du peuple, à moins qu'on ne veuille immoler le peuple à cette faction..» (1)
Jean-Marie SERVAN de GERBEY
Ministre de la Guerre du 9 mai au 12 juin 1792
En se dotant de son propre organe de presse, Robespierre vient surtout de se donner les moyens de répondre aux campagnes de presse lancées contre lui. Brissot et ses amis font, depuis plusieurs semaines, courir le bruit qu'il est « vendu à la Cour » alors que, dans le même temps, les journaux de droite le qualifient d'anarchiste ou de chef des républicains. Il va avoir maintenant tout loisir de répondre... aux uns comme aux autres !
Ainsi, ce sont bien, d'après Robespierre, les Brissot et les Condorcet qui, avec leur grande idée de République ont « semé la division parmi les patriotes » . Il n'en veut pour exemple que cette sinistre affaire du Champs de Mars de Juillet 1791 dont il fait, à nouveau, le récit :
« C'est ce mot (de République) qui fut le signal du carnage des citoyens paisibles égorgés sur l'autel de la patrie, dont tout le crime était d'exercer légalement le droit de pétition consacré par les lois constitutionnelles. A ce nom, les vrais amis de la liberté furent travestis en factieux par les citoyens pervers ou ignorants; et la Révolution recula peut-être d'un demi siècle. »
« Il faut tout dire, ce fut encore dans ce temps critique que Brissot vint à la Société des Amis de la Constitution, où il n'avait presque jamais paru, proposer dans la forme du gouvernement des changements dont les règles les plus simples de la prudence nous avaient défendu de présenter l'idée à l'Assemblée Constituante. Par quelle fatalité Brissot se trouvait-il là pour appuyer le projet de pétition qui servit de prétexte à la fameuse coalition pour amener le massacre du Champs de Mars ! »
« Quels qu'aient pu être les motifs perfides de ceux qui poussèrent de bons citoyens à cette démarche, elle était innocente sans doute; la pétition dont le projet avait été arrêté n'avait d'autre objet que de proposer à l'Assemblée nationale de consulter ses commettants avant de se prononcer sur l'affaire du monarque; pourquoi Brissot vint-il en rédiger une autre qui indiquait l'abolition de la royauté dans un moment où la faction n'attendait que ce prétexte de calomnier les défenseurs de la liberté ! Et ce fut nous, que l'on accusait d'exagération, qui nous opposâmes dans la Société des Amis de la Constitution, au premier projet de pétition dont nous ne contestions pas la légitimité, mais dont nous prévîmes les suites funestes; c'est nous qui fûmes obligés de déployer autant de circonspection que de fermeté pour guérir les blessures faites à la liberté par cette fatale catastrophe ».
« Je ne prétendrai pas cependant que les intentions de Brissot et Condorcet furent aussi coupables que les événements furent désastreux; je veux bien ne point adopter les reproches que leur ont fait beaucoup de patriotes de n'avoir feint alors de se séparer de La Fayette, dont ils avaient été les panégyristes, que pour mieux servir son parti et se frayer une route à la législature à travers des obstacles simulés, pour exciter en leur faveur la confiance et le zèle des amis de la liberté. Je ne veux voir dans leur conduite passée qu'une souveraine impolitique et une profonde ineptie. » (2)
Marie-Jean-Antoine-Nicolas de CARITAT
Marquis de CONDORCET
Dans le premier numéro du « Défenseur de la Constitution » paru le 17 Mai, l'Incorruptible n’a pas manqué, bien sur, de donner son point de vue sur le nouveau gouvernement formé quelques jours plus tôt :
« Je n'ai pas encore dit un seul mot contre les nouveaux ministres; il en est même parmi eux que je préférerais, quant à présent, à tout autre, et que je pourrais défendre dans l'occasion; je veux seulement qu'on les surveille, et qu'on les éclaire comme les autres. » (3)
Le 9 mai, Servan (4) a, en effet, rejoint au Ministère ses amis girondins avec le portefeuille de la guerre. Dumouriez (5) dirige, depuis quelques semaines déjà, les affaires étrangères; Clavière (6) les contributions publiques et Roland (7) l'intérieur. De Lessart (8) qui, aux affaires étrangères, avait tenté de freiner la politique belliqueuse prônée par la Gironde, et obtenu le renvoi de Narbonne, a été traduit devant la Haute Cour.
(1) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton..." op. cit. pages 199-200
(2) idem pages 147-148
(3) idem page 198
(4) SERVAN (Joseph) : Né en 1741. Sous gouverneur des Pages de Louis XVI*, il est gagné par les idées de la Révolution. Lieutenant Colonel en 1791, Colonel en 1792, puis Maréchal de Camp, il reçoit le portefeuille de la Guerre sur demande des Girondins.
Limogé le 12 Juin avec les autres ministres girondins, il retrouvera son ministère après le 10 Août 1792 jusqu'au 30 Septembre.
Destitué le 4 Juillet 1793 comme ancien Girondin, il ne sortira de prison qu'en Janvier 1795. Il mourra en 1808.
(5) DUMOURIEZ (Charles François Du Perier, dit) : Né à Cambrai le 26 Janvier 1739. Volontaire à dix huit ans, il est réformé en 1763 avec le grade de capitaine. Grâce à l'appui de la famille du Barry, il obtient plusieurs missions auprès des Cours étrangères puis on le retrouve à la Bastille sans doute pour s'être livré à des détournements de fonds. Gracié par Louis XVI* lors de son avènement, il est maréchal de camp en 1788 et se lance dans la Révolution.
Débauché, joueur, il dilapide beaucoup d'argent et souffre d'une réputation douteuse qui ne lui permettra pas de se faire élire aux Etats Généraux. Il se lie pourtant avec La Fayette* et Mirabeau*.
Promu Lieutenant Général en Février 1792, il est nommé Ministre des Affaires Etrangères le 15 Mars suivant. Il soutient la politique belliciste de Brissot* et devient Commandant en Chef des Armées du Nord et des Ardennes à la tête desquelles il remportera la victoire de Valmy.
De nouveau vainqueur à Jemmapes le 6 Novembre 1792, il sera défait à Neerwinden le 18 Mars et conclura un accord avec l'Autriche. Il livrera aux Autrichiens le Ministre de la Guerre Beurnonville et quatre représentants en mission venus pour l'arrêter avant de rejoindre l'ennemi le 5 Avril 1793.
Il mourra oublié en Angleterre le 14 Mars 1823.
(6) CLAVIERE (Etienne) : Né à Genève le 27 Janvier 1735. Attiré par les idées de la Révolution, ce financier genevois vient à Paris en 1789. Collaborateur de Mirabeau*, ami de Brissot*, il s'inscrit au Club des Jacobins. Il sera imposé par Brissot* comme ministre des Contributions en Mars 1792.
Arrêté avec les Girondins le 2 Juin 1793, il ne sera pourtant pas jugé avec eux en Octobre.
En apprenant qu'il va être traduit devant le Tribunal révolutionnaire le 9 Décembre 1793, il se suicide la veille.
(7) ROLAND (Jean Marie Roland de la Platière) : Né à Villefranche le 19 Février 1734. Il entre dans l'Administration des Manufactures où il devient Inspecteur. En 1780, il épouse Marie-Jeanne Philipon de vingt ans plus jeune que lui.
Venu à Paris au début de la Révolution, il se lie à des membres du Club des Jacobins : Pétion, Buzot et Brissot* entre autres. Grâce au Salon tenu par sa femme, il exerce rapidement une grande influence sur un groupe de députés à la Législative. En Mars 1792, il accepte de Louis XVI* le portefeuille de l'Intérieur. Il le conserve jusqu'au 13 Juin, date à laquelle il est écarté par le Roi. Très vexé par ce limogeage, il est l'un des initiateurs de la journée du 20 Juin 1792. Ramené au Ministère après le 10 Août, en compagnie de Danton, il ne fera rien pour empêcher les massacres des premiers jours de Septembre. Elu de la Somme à la Convention, il sera violemment attaqué par la Montagne et en particulier par Danton.
Il démissionnera le 23 Janvier 1793 mais sera tout de même poursuivi lors de la journée du 31 Mai 1793 qui voit l'élimination des principaux députés de la Gironde. Réussissant à s'enfuir, il se transpercera le cœur en apprenant l'exécution de sa femme le 15 Novembre 1793.
(8) LESSART (Jean Marie Antoine Claude de Valdec de) : Né en 1742. Maître de requête en 1767, il est un des intimes de Necker. Il sera nommé Contrôleur des Finances le 4 Décembre 1790 puis occupera des fonctions importantes dans les ministères de l'Intérieur et de la Marine en 1791. Incompétent, incapable, aux dires de certains, il sera dénoncé par les Girondins et traduit devant la Haute Cour d'Orléans le 10 Mars 1792.
Lors de son transfert à Paris pour être jugé, il est massacré à Versailles le 9 Septembre 1792 avec 44 de ses compagnons.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : ROBESPIERRE (29/50)
MINISTERE GIRONDIN - LA PATRIE EN DANGER : MAI-JUILLET 1792