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Axel de Fersen
D'UNE AMITIE A L'AUTRE : JANVIER 1782 –
SEPTEMBRE 1783
Dans les provinces comme dans les villes, les temps sont de plus en plus durs, bien que Marie-Antoinette feigne encore de l’ignorer. Comme les finances de l'Etat, celles de la ville de Paris sont au plus bas. Ce n'est donc que les 21 et 23 Janvier 1782 qu'auront lieu les festivités données traditionnellement par les autorités de la capitale en l'honneur de la naissance du Dauphin. Et encore aura-t-il fallu que la Reine fasse clairement savoir qu'elle était fort étonnée de ce retard !
Au cours de ces fêtes officielles, le couple royal n'aura pas droit aux manifestations de liesse populaire. Le peuple de la capitale est morose ; les parisiens restent chez eux : la cherté du pain contraste de plus en plus avec le train de vie de Versailles et les fastes de Trianon. A l’évidence, le peuple boude les réjouissances et il aurait été judicieux et prudent de se demander pourquoi ! ... Le retour à Paris de La Fayette*, le « Héros des Deux Mondes », le vainqueur de Yorktown, a même failli éclipser les souverains ! …
Au lieu de s’inquiéter du sort des parisiens, la reine continue à s’amuser aux bals et aux réceptions qui sont données en son honneur.
Peu après ces festivités des « relevailles » vient la période où l’on essaye de convaincre la reine que son ascendant sur le roi de France n’a jamais été aussi grand. Joseph II, par l’intermédiaire de l’abbé Vermond et de Mercy, tente de persuader Marie-Antoinette qu’elle peut faire de son époux tout ce qu’elle veut. Elle vient, en effet, de lui donner un fils et, par ailleurs, après le décès de Maurepas, Louis XVI* est privé de son plus fidèle et de son plus sage conseiller. L’Empereur pense donc que le temps est maintenant venu pour l’Autriche de tirer tous les avantages du mariage de sa sœur avec le Roi de France. Premier objectif donné à la reine de France : dissuader son époux de nommer un Premier ministre. C’est à elle qu’il revient dorénavant de jouer ce rôle.
Une fois encore Marie-Antoinette va décevoir l’Empereur son frère. Les affaires d’Etat ne l’intéressent vraiment pas. Elle ne songe qu’à s’étourdir en dépensant l’argent sans compter. Au début du printemps de 1782, Marie-Antoinette cède à un nouveau caprice : au Trianon on adjoint le "Hameau" (1) dans lequel elle tente de retrouver la simplicité et la solitude de son enfance à Schönbrunn. Tout à sa joie d’avoir retrouvé l’ambiance de ses jeunes années, la reine accepte, exceptionnellement et parce qu’elle pence que, cette fois-ci, la mission est davantage dans ses cordes, de seconder la politique de son frère Joseph II. Il s’agit de répondre à une demande de l’Empereur d’Autriche qui consiste, pour Marie-Antoinette, à recevoir le tsarévitch Paul, fils de la grande Catherine de Russie. Accompagné de son épouse, il voyage incognito sous le nom de comte et comtesse du Nord. Reçus dans les fastes de Versailles mais également dans l’intimité de la reine à Trianon ou à Marly, les Nord se rendent aussi à l’Opéra, au théâtre et aux bals de la Cour. Personne, excepté Vergennes qui à l’œil à tout, ne semble se souvenir que le couple princier visite la France non pas uniquement pour goûter aux plaisirs des fêtes données en leur honneur mais aussi pour se concilier les bonnes grâces de Louis XVI* dans une opération que Joseph II compte bien entreprendre avec la tsarine : le partage entre l’Autriche et la Russie de l’Empire Ottoman. On attend du roi de France qu’il veuille bien fermer les yeux et ne pas contrarier les ambitions de son allié et ami. A la grande satisfaction du ministre des Affaires étrangères, aucun engagement ne sera pris par la France. Quant à Marie-Antoinette, on ne pourra cette fois-ci lui faire aucun reproche : elle a rempli son rôle avec beaucoup de zèle. Son frère, pourtant contrarié qu’aucun accord n’ait pu être conclu, ne pourra que la complimenter pour son efficacité.
Au départ des Nord, vers la mi-Juin, Marie-Antoinette prend un repos bien mérité dans son petit château de Trianon. Elle règne totalement sur Trianon, organise des fêtes, lance ses propres invitations, dirige les représentations théâtrales, sans négliger toutefois de s'occuper de ses enfants qui, au fil des mois, prennent une place de plus en plus importante dans sa vie.
Ce sont les deux enfants royaux Mousseline et Louis-Joseph qui, en Octobre 1782, vont être, indirectement, à l'origine d'un nouveau scandale. Madame de Guéméné, dont l’époux vient de subir une faillite retentissante, offre sa démission du poste de Gouvernante des Enfants de France. Démission acceptée aussitôt par Marie-Antoinette qui saute sur l'occasion pour donner la place à sa chère Duchesse de Polignac ! Le Duc, son mari, reçoit, du même coup, la Direction Générale des Postes aux chevaux. Il va en coûter, pour cette fantaisie, 80 000 Livres supplémentaires au trésor royal dans un temps où les ministres sont à la recherche de toutes les économies possibles sur les dépenses de la Maison du Roi ! ...
Temple de l'Amour dans le jardin anglais du Petit Trianon
Les faveurs accordées au clan des Polignac atteignent maintenant des sommets. Ces largesses font de plus en plus jaser et arrivent même à inquiéter la Reine qui ne reconnaît plus très bien, dans la Duchesse de Polignac, la tendre comtesse Jules qui la distrayait tant quelques années auparavant. Les Polignac commencent en effet à se montrer sous leur vrai jour : orgueilleux, avides, grisés par le pouvoir et les honneurs. A partir de cette période, le clan Polignac ne va plus cesser de braver l'autorité royale. Tout leur est permis ; ils sont riches et puissants, aussi puissants que le Roi, pensent-ils, et peut être même davantage ! Les bravades à l'encontre du pouvoir se multiplient : le "Mariage de Figaro" interdit de représentation par une lettre de cachet signée de Louis XVI*, est joué chez le Comte de Vaudreuil, en présence d'un des frères du Roi, le Comte d'Artois. Et Louis-Auguste, qui devrait prendre cette affaire comme un camouflet, laisse faire de peur de contrarier sa chère épouse.
L'or que Marie-Antoinette a fait déverser sur la famille Polignac ne leur suffit plus ; ils veulent aussi diriger les affaires de l'Etat. Après avoir imposé Monsieur de Castries à la Marine et Monsieur de Ségur à la Guerre, c'est maintenant Calonne qu'ils tentent de pousser aux finances. Malgré l'opposition du Roi et le peu d'enthousiasme de Marie-Antoinette, la pression exercée par le clan porte ses fruits : le 3 Octobre 1783, Calonne est nommé Contrôleur Général des Finances. La Reine qui portera, aux yeux de tous, la responsabilité de la nomination de celui que beaucoup considèrent comme un "intrigant", regrette déjà sa faiblesse. Mais ce qui est fait est fait, même si la tendre amitié qui unissait Madame de Polignac à Marie-Antoinette semble maintenant irrémédiablement ternie.
Si l'année 1783 est, pour la reine de France, l'année de la rupture avec les Polignac et des désillusions qui y sont liées, c'est aussi l'année durant laquelle elle va retrouver un ami qui, jusqu'à la fin, va tenir une très grande place dans sa vie. L'Indépendance américaine vient d'être consacrée par le traité de Versailles signé en Avril. Le beau suédois Axel de Fersen revient des Amériques; il a presque vingt-huit ans et songe maintenant à s'établir. Le mariage avec une riche héritière semble logique et d'ailleurs des bruits courent déjà à ce sujet : on parle, entre autres, de Mademoiselle Necker. Mais la Reine retrouvant le séduisant suédois n'est pas insensible à son charme; sans doute lui montre-t-elle car c'est un amour fou qui envahit subitement le jeune homme pour celle qu'il appellera bientôt « l'ange de beauté ». Amour tendre et chaste que seul l'échafaud parviendra à briser. Fersen renonce même définitivement au mariage et dans une lettre adressée à sa sœur, datée du 31 Juillet 1783, il avoue :
« Je ne puis pas être à la seule personne à qui je voudrais être, la seule qui m'aime véritablement, aussi je ne veux être à personne... » (2)
La reine a l'habitude de combler ceux qu'elle aime; Fersen ne sera donc pas oublié. Il voulait un régiment que, ni lui, ni sa famille, n'avaient les moyens de payer : le 21 Septembre 1783, Louis XVI* le nomme « Maître de Camp, propriétaire du Royal Suédois ». Axel de Fersen serait totalement comblé s'il ne devait quitter Paris pour l'Allemagne, afin de rejoindre, en novembre, le Roi de Suède Gustave III.
(1) Le "hameau" ne sera complètement terminé qu'en 1788. Le Tribunal révolutionnaire chiffrera, lors du procès de Marie-Antoinette, les dépenses de Trianon et du hameau à plusieurs millions de Livres alors qu'ils n'auraient coûté en fait selon Jean CHALON ("Chère Marie-Antoinette" op. cit. page 177) que 1 649 000 Livres, ce qui déjà est beaucoup.
(2) cité par Jean CHALON "Chère Marie-Antoinette" op. cit. Page 185
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (14/35)
MADAME DEFICIT : 1784 - 1785