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Maximilien Robespierre
« QUICONQUE TREMBLE EN CE MOMENT
EST COUPABLE.. » (Robespierre) : 31 MARS 1794
31 mars 1794, 11 Germinal an II, les députés qui arrivent un à un à La Convention sont hébétés par la nouvelle qu’ils viennent d’apprendre. Beaucoup d’entre eux, quelle que soit la position qu’ils occupent dans l’assemblée, avaient eu le même sentiment que le tribun : « Ils n’oseront pas s’attaquer à Danton !.. ». Poussé par les dantonistes, c’est Legendre qui monte à la tribune pour demander tout d’abord que son ami Danton soit entendu par l’Assemblée. Puis il fait une ultime tentative : « je crois Danton aussi pur que moi.. » affirme-t-il avant de rappeler l’action révolutionnaire du tribun après le 10 août : « L’ennemi était aux portes de Paris : Danton vint, et ses idées sauvèrent la patrie… » (1)
Le Procès Verbal du Moniteur ne retranscrit pas les réactions de l’Assemblée à l’intervention de Legendre qui, selon l’historien Frédéric Bluche auraient pu être soit des murmures hostiles de désapprobation soit les cris de certains députés dénonçant la dictature de Robespierre*. L’une ou l’autre version est laissée à l’appréciation des historiens.
Ce qui est sur, par contre c’est que l’intervention de Robespierre* qui, à la tribune vient soutenir la décision des Comités va être décisive :
«…. Legendre paraît ignorer les noms de ceux qui sont arrêtés: toute la Convention les sait. Son ami Lacroix est du nombre de ces détenus. Pourquoi feint-il de l'ignorer? Parce qu'il sait bien qu'on ne peut sans impudeur défendre Lacroix (2). Il a parlé de Danton, parce qu'il croit sans doute qu'à ce nom est attaché un privilège: non, nous n'en voulons point de privilège: non, nous n'en voulons point d'idoles! »
« Nous verrons dans ce jour si la Convention saura briser une prétendue idole pourrie depuis longtemps, ou si, dans sa chute, elle écrasera la Convention et le peuple français. Ce qu'on a dit de Danton ne pouvait-il pas s'appliquer à Brissot, à Pétion, à Chabot, à Hébert même, et à tant d'autres qui ont rempli la France du bruit fastueux de leur patriotisme trompeur? Quel privilège aurait-il donc? En quoi Danton est-il supérieur à ses collègues, à Chabot, à Fabre-d'Eglantine, son ami et son confident, dont il a été l'ardent défenseur? En quoi est-il supérieur à ses concitoyens? Est-ce parce que quelques individus trompés, et d'autres qui ne l'étaient pas, se sont groupés autour de lui pour marcher à sa suite à la fortune et au pouvoir? Plus il a trompé les patriotes qui avaient en confiance en lui, plus il doit éprouver la sévérité des amis de la liberté. »
« Citoyens, c'est ici le moment de dire la vérité. Je ne reconnais à tout ce qu'on a dit que le présage sinistre de la ruine de la liberté et de la décadence des principes. Quels sont en effet ces hommes qui sacrifient à des liaisons personnelles, à la crainte peut-être, les intérêts de la patrie? Qui, au moment où l'égalité triomphe, osent tenter de l'anéantir dans cette enceinte? On veut vous faire craindre les abus du pouvoir, de ce pouvoir national que vous avez exercé, et qui ne réside pas dans quelques hommes seulement. Qu'avez-vous fait que vous n'ayez fait librement, qui n'ait sauvé la république, qui n'ait été approuvé par la France entière? On veut nous faire craindre que le peuple périsse victime des comités qui ont obtenu la confiance publique, qui sont émanés de la Convention nationale, et qu'on veut en séparer; car tous ceux qui défendent sa dignité sont voués à la calomnie. On craint que les détenus ne soient opprimés; on se défie donc de la justice nationale, des hommes qui ont obtenu la confiance de la Convention nationale ; on se défie de la Convention qui leur a donné cette confiance, de l'opinion publique qui l'a sanctionnée. Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable; car jamais l'innocence ne redoute la surveillance publique. »
« Je dois ajouter ici qu'un devoir particulier m'est imposé de défendre toute la pureté des principes contre les efforts de l'intrigue. Et à moi aussi, on a voulu inspirer des terreurs; on a voulu me faire croire qu'en approchant de Danton, le danger pourrait arriver jusqu'à moi; on me l'a présenté comme un homme auquel je devais m'accoler comme un bouclier qui pourrait me défendre, comme un rempart, qui, une fois renversé, me laisserait exposé aux traits de mes ennemis. On m'a écrit, les amis de Danton m'ont fait parvenir des lettres, m'ont obsédé de leurs discours. Ils ont cru que le souvenir d'une ancienne liaison, qu'une foi antique dans de fausses vertus me déterminerait à ralentir mon zèle et ma passion pour la liberté. Eh bien! Je déclare qu'aucun de ces motifs n'a effleuré mon âme de la plus légère passion. Je déclare que s'il était vrai que les dangers de Danton dussent devenir les miens, que s'ils avaient fait faire à l'aristocratie un pas de plus pour m'atteindre, je ne regarderais pas cette circonstance comme une calamité publique. Que m'importent les dangers. Ma vie est à la patrie; mon cœur est exempt de crainte; et si je mourrais, ce serait sans reproche et sans ignominie. »
« Je n'ai vu dans les flatteries qui m'ont été faites, dans les caresses de ceux qui environnaient Danton, que des signes certains de la terreur qu'ils avaient conçue, avant même qu'ils fussent menacés. »
« Et moi aussi, j'ai été ami de Pétion; dès qu'il s'est démasqué, je l'ai abandonné: j'ai eu aussi des liaisons avec Roland; il a trahi, et je l'ai dénoncé. Danton veut prendre leur place, et il n'est plus à mes yeux qu'un ennemi de la patrie. »
« C'est ici sans doute qu'il nous faut quelque courage et quelque grandeur d'âme. Les âmes vulgaires ou les hommes coupables craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que, n'ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent plus exposés au jour de la vérité; mais, s'il existe des âmes vulgaires, il en est d'héroïques dans cette assemblée, puisqu'elle dirige les destinées de la terre, et qu'elle anéantit toutes les factions. »
« Le nombre des coupables n'est pas si grand; le patriotisme, la Convention nationale ont su distinguer l'erreur du crime, et la faiblesse des conspirations. On voit bien que l'opinion publique, que la Convention nationale marchent droit aux chefs de partis, et qu'elles ne frappent pas sans discernement. »
« Il n'est pas si nombreux le nombre des coupables; j'en atteste l'unanimité, la presque unanimité avec laquelle vous avez voté depuis plusieurs mois pour les principes. Ceux qu'on méprise le plus ne sont pas les plus coupables, ce sont ceux qu'on prône et dont on fait des idoles pour en faire des dominateurs. Quelques membres de cette-assemblée, nous le savons, ont reçu des prisonniers des instructions portant qu'il fallait demander à la Convention quand finirait la tyrannie des comités de salut public et de sûreté générale; qu'il fallait demander à ces comités s'ils voulaient anéantir successivement la représentation nationale. Les comités ne tiennent que de la patrie leurs pouvoirs, qui sont un immense fardeau, dont d'autres, peut-être, n'auraient pas voulu se charger. Oui, demandez-nous compte de notre administration, nous répondrons par des faits: nous vous montrerons les factions abattues; nous vous prouverons que nous n'en avons flatté aucune, que nous les avons écrasées toutes, pour établir sur leurs ruines la représentation nationale. »
« Quoi! On voudrait faire croire que nous voulons écraser la représentation, nous qui lui avons fait un rempart de nos corps! Nous qui avons étouffé ses plus dangereux ennemis! On voudrait que nous laissassions exister une faction aussi dangereuse que celle qui vient d'être anéantie, et qui a le même but, celui d'avilir la représentation nationale et de la dissoudre. »
« Au reste, la discussion qui vient de s'engager est un danger pour la patrie, déjà elle est une atteinte coupable portée à la liberté; car c'est avoir outragé la liberté que d'avoir mis en question s'il fallait donner plus de faveur à un citoyen qu'à un autre: tenter du rompre ici cette égalité, c'est censurer indirectement les décrets salutaires que vous avez portés dans plusieurs circonstances, les jugements que vous avez rendus contre les conspirateurs; c'est défendre aussi indirectement ces conspirateurs, qu'on veut soustraire au glaive de la justice, parce qu'on a avec eux un intérêt commun: c'est rompre l'égalité. Il est donc de la dignité de la représentation nationale de maintenir les principes. Je demande la question préalable sur la proposition de Legendre. » (3)
Louis Antoine de Saint-Just
Discours implacable que la grande majorité des députés à la Convention applaudissent. Legendre n’insiste pas, il a compris que le sort de son ami Danton était déjà scellé. L’Assemblée décrète alors que Danton et ses amis ne seront pas entendus.. Il ne reste plus aux députés qu’à écouter le rapport de Saint-Just* que celui-ci aura profondément remanié, dans le courant de la nuit, pour y intégrer les notes de Robespierre*.
Il va longuement argumenter la thèse des Comités : « les deux factions, celle des faux patriotes et celle des modérés ont suivi la Révolution comme les reptiles suivent le cours des torrents » (4). Et Saint-Just* se lance dans une longue histoire de ces factions dans lesquelles il raconte pêle-mêle Mirabeau*, les Lameth, Dumouriez, La Fayette*, Fabre, Hébert et les Feuillants, les Girondins… Puis il en vient aux crimes de Danton : avoir favorisé l’élection de Fabre et de Philippe Egalité à la Convention, avoir laissé Fabre s’enrichir au Ministère, avoir soutenu son ami Dumouriez, avoir combattu Marat*, pactisé avec les Girondins… Beaucoup d’hypothèses, peu de preuves dans les affirmations de Saint-Just*. Mais l’Assemblée en a assez entendue. On passe au vote :
« La Convention nationale.. décrète d’accusation Camille Desmoulins, Hérault, Danton, Philippeaux, Lacroix, prévenus de complicité avec d’Orléans et Dumouriez, avec Fabre d’Eglantine et les ennemis de la République ; d’avoir trempé dans la conspiration tendant à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain : en conséquence elle ordonne leur mise en jugement avec Fabre d’Eglantine » (5)
L’Assemblée applaudit. La machine judiciaire est en marche…
(1) cité par Fréderic BLUCHE Danton op. cit. Page 455
(2)Delacroix avait cru devoir supprimer de son nom la particule aux relents trop aristocratiques !..
(3) Moniteur 31 mars 1794
(4) cite par Fréderic Bluche « Danton » op. cit. Page : 457
(5) idem Page 462
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (51/52)
LE PROCES : 2 –5 AVRIL 1794