.
Ouverture des Etats Généraux - 5 mai 1789
L'HOMME DES CORDELIERS : AVRIL - NOVEMBRE 1789
C'est donc au sein de ce quartier des Cordeliers qui va devenir le cœur de la révolution parisienne que Georges Jacques Danton s’est installé pour y vivre et pour y travailler. C’est là qu’il va rapidement apparaitre comme l’un des acteurs majeurs de la Révolution.
En ce début d’année 1789 ses préoccupations principales sont sa famille d’abord et la recherche d’une clientèle pour son étude. Bien sur il se tient informé des mouvements qui agitent le pays depuis plusieurs mois et inquiètent tous les Français.
Tout a véritablement commencé lorsque Louis XVI* a fait annoncer, le 8 Août 1788, la convocation des Etats Généraux pour le 1er Mai 1789. Pour la première fois depuis 1614, le Roi a convoqué les Etats et, fait extraordinaire, il a entériné le principe du doublement de la représentation du Tiers Etats ! (1) Certes, les débats pour savoir s'il fallait voter « par ordre », formule qui consistait à laisser tout pouvoir de décision aux deux ordres privilégiés, ou « par tête », vont alimenter les conversations pendant de longs mois encore. Mais tout de même, la décision prise est d’importance !
Cette annonce a fait naître un immense espoir chez les Français, d'autant plus que la situation financière du pays est quasiment désespérée depuis que l'on a annoncé la banqueroute de l'Etat, que les impôts sont de plus en plus lourds et que la disette s'installe, touchant très durement le « petit peuple », notamment dans les villes.
Paris connaît donc, au début du mois d'Avril 1789 un phénomène jusque là inconnu : l'effervescence qui précède des élections, même si le droit de vote n'est accordé qu'à une petite minorité d'environ quarante mille parisiens. La procédure de vote est bien compliquée : constitués en Assemblées primaires de Districts, les électeurs au premier degré doivent désigner des « grands électeurs » qui, eux-mêmes choisiront à leur tour les vingt députés du Tiers de la capitale.
En tant qu'avocat au Conseil, Danton est électeur de droit. Au matin du 21 Avril, il se rend donc, dans son district des Cordeliers, pour y accomplir son devoir électoral. Il ne semble pas qu'il ait ressenti la moindre envie d'être candidat. D'abord parce qu'il ne tient pas à abandonner sa charge, qui le fait vivre et sur laquelle il fonde encore beaucoup d'espoirs, pour le maigre pécule de député, mais aussi sans doute parce qu'il se rend bien compte qu'il n'est pas assez connu. Enfin, et surtout, parce que des soucis familiaux l'accablent depuis plusieurs semaines : son fils, âgé de onze mois, est gravement malade. Placé en nourrice à Arcis-sur-Aube, il meurt le 24 Avril.
C'est le 5 Mai, que les Etats généraux tiennent leur première séance, sans attendre d'ailleurs, que les députés parisiens ne soient élus; ceux-ci rejoindront Versailles quelques jours plus tard. A compter de cette date, le cours des événements va s'accélérer. Les relations difficiles entre les représentants des trois ordres, la volonté exprimée du Roi de les faire siéger séparément vont conduire à des heurts, des prises de positions, des débats enflammés jusqu'au coup de théâtre du 17 Juin. Ce jour là, le Tiers Etats, las de palabrer avec le clergé et la noblesse, qui refusent toujours de siéger à ses côtés, se proclame Assemblée nationale. Trois jours plus tard a lieu la célèbre journée du Serment du jeu de Paume au cours de laquelle Target (2) fait prêter serment à ses collègues « de ne jamais se séparer jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ».
Louis XVI*, décidément bien nerveux ou bien maladroit, depuis qu'il a été contraint de réunir ces fameux Etats, annule à la fois les décrets pris par le Tiers et le serment du 20 Juin, au cours d'une séance royale qui se tient le 23 (3). Mais, le 27 juin, cédant sous la pression, il fait volte-face et demande au Clergé et à la Noblesse de se réunir au Tiers ! La plus grande confusion s'installe .....
Serment du Jeu de Paume - 20 juin 1789
Aux désordres de l'Etat, s'ajoutent les désordres dans la rue. Les difficultés économiques ont poussé vers la capitale des bandes de brigands et de vagabonds; on dit, en effet, que la farine et le pain manquent moins à Paris que dans les provinces. Le Roi s'inquiète et, pour endiguer l'afflux de tous ces malheureux en qui il voit des émeutiers en puissance, fait entourer Paris d'une troupe de 20 000 hommes. Cette décision fait aussitôt monter d'un cran la tension qui règne en ville; les esprits s'échauffent : on parle d'un coup de force contre l'Assemblée nationale et l'agitation gagne du terrain. Louis XVI*, qui n'a pas renoncé à faire preuve d'autorité, ne trouve rien de mieux, le 11 Juillet, que de renvoyer Necker (4) et les ministres « patriotes ». Necker ! Le Magicien; l'homme le plus populaire du pays ! L'homme sur qui le peuple comptait pour ramener la prospérité en France ! Au soir du 13, on s'attroupe dans les faubourgs; le tocsin sonne : c'est l'émeute !
Le lendemain, c'est une foule en colère qui prend la Bastille, massacre le Gouverneur de la forteresse Monsieur de Launay, et le Prévôt des Marchands Flesselles. Louis XVI*, devant l'ampleur des manifestations populaires, doit encore une fois reculer : le 17 Juillet il fait éloigner les troupes et rappelle Necker !
On ne connaît pas le rôle qu'a pu jouer Danton pendant la période de la rédaction des cahiers de doléances, préparatoire aux Etats Généraux. On sait, par contre, que dès Juillet 1789 il occupe des fonctions au sein du District des Cordeliers où il est respecté à la fois pour sa stature physique et pour ses dons d'orateur. Un de ses amis qui l'aperçoit le 13 Juillet, vociférant de sa voix tonitruante pour appeler le peuple souverain à la lutte contre le despotisme, n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles. Est-ce bien là le même Danton que celui avec lequel il conversait quelques jours plus tôt, « homme doux, modeste et silencieux ? »
Il ne semble pas qu'il ait participé directement à la journée historique du 14 Juillet. Ce n'est que dans les jours suivants qu'il va se faire remarquer. Dans la nuit du 15 au 16, il patrouille dans les rues de la capitale, à la tête d'un groupe de la milice du District des Cordeliers. Le groupe tombe sur un homme, l'interpelle; celui-ci, aussitôt sort de sa poche un papier attestant qu'il est le nouveau Gouverneur de la Bastille, nommé par La Fayette*. Discussion assez agitée entre les miliciens et le prétendu Gouverneur, à la suite de laquelle Danton décide de son arrestation. L'homme est alors conduit aux Cordeliers, puis transféré à l'Hôtel de Ville. Là, on enquête et l'on obtient, de La Fayette* en personne, confirmation des dires du « prisonnier » qui est immédiatement remis en liberté avec des excuses. Danton est publiquement désavoué et probablement sermonné pour son attitude un peu légère. De ce jour, il gardera une haine féroce contre le héros des Deux Mondes.
Pourquoi l'avocat champenois s'est-il laissé emporter dans une telle mascarade ? L'hypothèse la plus probable semble être que Danton avait, ce soir là, peut-être un peu abusé de la bouteille et fêté beaucoup trop joyeusement la prise de la Bastille. Danton est un bon vivant et il n'a aucunement l'intention de changer ses habitudes. Il oubliera vite cet épisode en ne retenant que l'aspect positif de la chose : on a parlé de lui en ce 16 Juillet 1789.
Pendant ce temps, l'Assemblée qui prend très au sérieux le rôle qu'elle s'est donné, continue ses travaux. Dans la nuit du 4 Août, les ordres privilégiés, dans un bel élan de générosité, un peu moins spontané qu'il n'y parait (5), renoncent solennellement à la majeure partie de leurs privilèges. Cette décision a un énorme retentissement dans toutes les provinces où l'on attend, avec impatience, la parution des décrets qui confirmeront ces changements. Les décrets sont promulgués les 5 et 11 Août : les députés ne perdent décidément pas de temps pour mettre en oeuvre les réformes ! Quelques jours plus tard, le 26 Août, est proclamée la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, préambule de la future constitution à laquelle les députés consacrent une grande part de leurs travaux. Mais tout cela s'est élaboré sans penser, un seul instant, qu'il faudrait compter avec le Roi. Et, pour Louis XVI*, les événements vont trop vite; toutes ces réformes vont trop loin ! Il refuse d'accorder sa sanction, rejetant en bloc les décrets et la Déclaration des Droits. La réplique des "patriotes" est immédiate : l'agitation politique dans la capitale reprend de plus belle et l'idée est lancée qu'il faut ramener le Roi et l'Assemblée à Paris.
Prise de la Bastille - 14 juillet 1789
C'est le 3 Octobre, à partir d'un fait qui aurait pu être bien banal, que le mouvement va prendre subitement une ampleur inquiétante. Les gardes du corps donnent un banquet à Versailles, en l'honneur du Régiment de Flandres qui vient de prendre ses quartiers dans la ville. Le Roi et la Reine, bien imprudemment, assistent à la fin de ce banquet (6) . Dès le lendemain, une rumeur se répand qui fait crier au scandale. N'a-t-on pas vu le Roi et Marie-Antoinette refuser de lever leur verre à la Nation ? N'ont-ils pas, au milieu des officiers en état d'ébriété avancé, foulé aux pieds la cocarde tricolore ?
Le soir de ce 3 Octobre, Danton préside l'Assemblée du District des Cordeliers. Thibaudeau (7) entre dans la salle. Il connaît Danton de réputation, mais il le voit pour la première fois et dresse de lui ce portrait :
« Le portrait qu'on m'en avait fait ne m'en avait donné qu'une idée bien imparfaite. Je fus frappé de sa haute stature, de ses formes athlétiques, de l'irrégularité de ses traits labourés de petite vérole, de sa parole âpre, de la mobilité de sa physionomie, de son regard assuré et pénétrant, de l'énergie et de l'audace dont son attitude et tous ses mouvements étaient empreints (..) Il présidait avec la décision, la prestesse et l'autorité d'un homme qui sent la puissance; il poussait l'Assemblée du District vers son but, on y adopta un manifeste .... » (8)
En réponse au "scandale" du banquet, les Cordeliers décident de réagir vite et fort : ils appellent les parisiens à prendre les armes et envoient une députation à l'Hôtel de Ville, le 4 Octobre, pour sommer Monsieur de La Fayette* de se rendre à Versailles et d'ordonner le renvoi des troupes.
Dans les faubourgs, où l'on manque toujours cruellement de pain, les échos de ce banquet, copieusement grossis par les Cordeliers, mettent le feu aux poudres : le 5, un long cortège s'ébranle de la capitale, sous une pluie battante. Il est composé des poissardes, des femmes affamées, des mendiants; en tout, 5 à 6 000 femmes suivies par une troupe de volontaires armés de piques. Le mot d'ordre circule : allons demander du pain au Roi et ramener à Paris la famille royale.
Danton, qui a très largement contribué à faire monter la pression au sein des Cordeliers, est demeuré à Paris. Il apprendra, le soir du 6, que le Roi a fait machine arrière et cédé sur tout : les décrets d'Août seront sanctionnés, le Régiment de Flandres sera renvoyé. Après un bref mouvement d'émeute au cours duquel une partie de la foule a envahi le château, et massacré quelques gardes du corps, Louis XVI* a accepté de se laisser ramener à Paris. Mais avait-il vraiment le choix ?
La foule escorte le carrosse royal, dans l'après midi du 6 Octobre, aux cris de « Vive la Nation ! » Quelques injures à l'encontre du Roi et de Marie-Antoinette*, quelques bousculades, avant l'arrivée aux Tuileries, sont autant de preuves de l'exaspération populaire. La famille royale est maintenant l'otage du peuple de Paris. L'Assemblée nationale, quant à elle, rejoindra la capitale dans quelques jours, le temps de trouver une nouvelle salle pour ses délibérations....
Danton a joué, dans la préparation des journées des 5 et 6 Octobre, un rôle important en coulisse, mais il ne voudra en tirer aucune gloire. Par contre, dès le 7, il est aux Cordeliers pour reprendre en mains la situation. C'est lui qui est désigné, avec Dumesnil, pour aller aux Tuileries « remercier » le Roi d'être venu s'installer à Paris.
C'est une vaste opération de conquête des esprits que vient de lancer Danton, aux Cordeliers bien sûr, mais aussi dans les districts voisins. Il reçoit, pour cela, une aide indirecte et cependant fort appréciable : celle de Marat* qui a fait paraître, en Septembre, son journal "Le Publiciste Parisien", transformé, après seulement quelques numéros, en "l'Ami du Peuple". Marat* attaque ouvertement dans ses feuilles les autorités parisiennes en la personne de Bailly (9). Ses redoutables pamphlets ne tardent pas à lui attirer les pires ennuis (10) : au début d'Octobre, un décret de prise de corps est lancé contre le journaliste. Marat* se réfugie aux Cordeliers, le district de son domicile, et demande l'aide des patriotes. Le 7 Octobre, l'Assemblée générale du District vote un arrêté dans lequel elle déclare « prendre sous sa protection tous les auteurs de son arrondissement et les défendre de tout son pouvoir des voies de fait, sauf à ceux qui pourront se trouver offensés dans leur personne et dans leur honneur à se pourvoir par toutes les voies de droit ».
C'est donc le hasard des circonstances qui va provoquer une rencontre qui ne sera pas sans conséquence pour l'avenir de Danton : la rencontre avec Marat*. Le 30 Octobre, des poursuites sont engagées par le Châtelet à propos d'un article dirigé contre un officier de cette Compagnie paru dans l'Ami du Peuple. Marat*, qui commence à prendre l'habitude de se cacher, vient tout naturellement, chercher refuge au District des Cordeliers; des liens se nouent; l'affaire suit son cours... Danton et Marat* ont, pour le moment, des objectifs communs, même s'ils n'éprouvent pas, l'un pour l'autre, de sympathie particulière : lutter contre l'autorité de la Commune et contre La Fayette*.
En quelques semaines, Danton a acquis une certaine audience aux Cordeliers et se démène de plus en plus dans ses activités de tribun de quartier. Il profite de sa popularité grandissante pour se donner l'image du champion de l'indépendance des Districts parisiens par rapport à la Commune provisoire de Bailly. C'est dans ce but qu'il signe, le 2 Novembre, un document qui définit le « mandat impératif » selon la conception des Cordeliers :
« ... Il est incontestable que les différents districts ont le droit d'enjoindre à leurs représentants particuliers d'inviter la Commune à prendre un objet en considération... » (11)
Le même jour, il fait prêter serment aux représentants du District des Cordeliers : à la Commune de se conformer aux directives données par leur district. Jugement injurieux, dira-t-on à l'Hôtel de Ville !
Entre les hommes de Danton et la Commune de Bailly, la guerre est maintenant déclarée. Danton vient de remporter sa première victoire; et cela fait grand bruit dans la capitale.
En s'opposant avec fracas aux autorités officielles, le champenois cherche à augmenter son influence auprès des patriotes les plus ardents. C'est une tactique qui va être payante à terme mais qui, dans les semaines et les mois à venir, va lui apporter beaucoup de désillusions.....
(1) Doublement de la représentation du Tiers : Dans les Assemblées provinciales créées par Louis XVI*, il avait été admis que le Tiers Etat aurait autant de représentants que le Clergé et la Noblesse réunis, c'est à dire le double de la représentation de chacun des deux ordres privilégiés.
Le 27 Décembre 1788, Louis XVI* accepte le doublement de la représentation du Tiers aux futurs Etats Généraux.
(2) TARGET (Guy Jean Baptiste) : Avocat au début de la Révolution, il est élu aux Etats Généraux par le Tiers Etat de Paris et joue un rôle important dans l'élaboration de la Constitution de 1791. Il approuvera la Constitution civile du Clergé et refusera d'être le défenseur de Louis XVI*.
Nommé au Tribunal de Cassation en 1797, il y restera jusqu'à sa mort en 1807.
(3) Voir Louis XVI*
(4) NECKER (Jacques) : Né à Genève le 30 Septembre 1732. Banquier genevois, établi à Paris, il devient Directeur Général des Finances en 1777 et le restera jusqu'en 1781. Il s'efforce de remettre de l'ordre dans les finances du royaume mais est finalement renvoyé par le Roi pour avoir critiqué un peu sévèrement les dépenses de la Cour.
Louis XVI* le rappelle comme Directeur Général des Finances le 25 Août 1788 et c'est Necker qui impose au Roi la convocation des Etats Généraux.
(5) En fait un mouvement de panique a pris naissance dans les provinces depuis le 20 Juillet. C'est une rumeur qui est à l'origine de ce mouvement que l'on appellera, par la suite, la Grande Peur : on dit dans les campagnes que des bandes armées par les aristocrates vont dévaster les cultures. Aussitôt les paysans s'arment et se dirigent vers les châteaux pour les piller et les incendier. L'abolition des droits féodaux dans la nuit du 4 Août, n'a pas que l'aspect généreux qu'on a voulu parfois lui donner. Renoncer à leurs droits est, aussi pour les nobles, en cette période troublée, tenter de faire arrêter les émeutes et sauver leurs propres biens !
(6) Voir Marie-Antoinette*
(7) Thibaudeau, avocat à Poitiers, accompagne son père élu par le Tiers Etats du Poitou. Il sera élu de la Vienne à la Convention et siégera sur les bancs du "Marais"
(8) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 29
(9) BAILLY (Jean Sylvain) : Né à Paris le 15 Septembre 1736. Astronome, physicien, membre de l'Académie des Sciences, il est élu aux Etats Généraux et devient Président de l'Assemblée Constituante jusqu'au 2 Juillet 1789.
Il sera élu Maire de Paris mais réussira à se faire détester de tous : révolutionnaires et royalistes. Il sera guillotiné à Paris le 12 Novembre 1793.
(10) Voir Marat*
(11) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 71
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (6/52)
LA LUTTE CONTRE LES AUTORITES PARISIENNES :
DECEMBRE 1789 - MARS 1790