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Antoinette Gabrielle Charpentier-Danton peinture de Jacques Louis David Musée de Troyes
GABRIELLE .... : FEVRIER - MARS 1793
Danton et son ami Delacroix rejoignent Bruxelles le 3 Février. Les députés en mission y rencontrent les trente commissaires nationaux, dépêchés au début du mois de Janvier. La situation sur le terrain est de plus en plus critique : une bonne partie de la Belgique est en état de quasi-insurrection. Partout règne violence et anarchie !
Danton va tout mettre en œuvre pour que les conditions de la réunion de la Belgique à la République Française, réunion qu'il a lui-même préconisée, soient satisfaites. Les assemblées primaires sont organisées et, quand cela s'avère nécessaire, les réunions de ces assemblées se font sous la « protection » des troupes françaises. Danton et Delacroix, qui ont pour charge d'administrer les provinces de Liège et de Namur, ont donné des instructions pour que les opérations de vote puissent se dérouler rapidement car les opposants, et en particulier le clergé, commencent à s'organiser. Les prêtres s'opposent au séquestre des biens de l'église et, dans les provinces les plus catholiques, le peuple, soutenant ses prêtres, est sur le point de prendre les armes. Il faut donc agir très vite; trop de temps a déjà été perdu!
Les commissaires, exécutant les ordres reçus, vont mettre en place la répression. Le séquestre des biens ecclésiastiques est difficile à exécuter ? L’autorité va se servir elle-même en organisant le pillage des églises ! L'armée manque d'argent, de vivres, de matériel ? Ordre est donné de vivre sur l'habitant. Delacroix lui-même proclame :
« Vous êtes sur pays ennemi, housardez et dédommagez-vous de votre perte !...Pillez, nous partagerons et je vous soutiendrai dans la Convention... » (1)
Le pillage s'organise sous l’autorité de l’armée de la République. Le partage aussi : entre les fidèles patriotes belges qu'il faut bien récompenser de leur aide, d'une manière ou d'une autre, les commissaires nationaux et les députés en mission. On a tout lieu de penser que Delacroix mais également Danton ont, eux aussi, prélevé leur part du butin pris sur l'ennemi. D'autant que le pouvoir des émissaires de la Convention n'a cessé de croître : ils règnent maintenant en maîtres absolus sur un territoire où les autorités officielles tardent à se mettre en place et où les autorités « anciennes » ont été dissoutes ou destituées par les conventionnels. L'anarchie autorise bien des choses; même à mener la grande vie en savourant le pouvoir. Danton n'est pas homme à se priver de ces plaisirs là quand l'occasion lui est donnée !....
Selon son tempérament, il décide, contrôle, organise tout; il se tient au courant de tout, ne laisse rien au hasard. Il ne renonce pas pour autant à courir les filles et à dissiper le surplus d'énergie que cet homme bouillonnant a toujours eu en lui.
C'est alors que lui parvient la terrible nouvelle : son épouse Gabrielle est décédée le 10 Février, après avoir mis au monde son quatrième fils qui, lui non plus, ne survivra pas. Danton revient à Paris aussi vite qu'il le peut. Il éprouve, en cet instant, une immense douleur que l'on peut considérer comme sincère. Gabrielle est la compagne des premiers jours, des périodes difficiles, et même s'il l'a trompée outrageusement au cours d'orgies « rabelaisiennes », même s'il a fréquenté les filles faciles, il éprouve toujours, pour la mère de ses enfants, une profonde tendresse.
Il arrive trop tard à Paris : Gabrielle est déjà enterrée. Il fait montre, dans ces circonstances, d'une attitude digne du personnage dont l'image est passée à la postérité : il fonce et agit, sans trop réfléchir... L’historien Frédéric Bluche (2) raconte que le tribun fait déterrer, de nuit, son épouse; il fait ouvrir le cercueil et exécuter un moulage du visage de la morte par un sculpteur de ses amis (3).
Les messages de condoléances affluent chez Danton. Parmi ceux-ci, une lettre très touchante de Robespierre* :
« Si, dans les seuls malheurs qui peuvent ébranler une âme telle que le tienne, la certitude d'avoir un ami tendre et dévoué peut t'offrir quelque consolation, je te la présente. »
« Je t'aime plus que jamais, et jusqu'à la mort. Dans ce moment je suis toi-même. Ne ferme point ton cœur aux accents de l'amitié qui ressent toute ta peine. »
« Pleurons ensemble nos amis, et faisons bien ressentir les effets de notre douleur profonde aux tyrans qui sont les auteurs de nos malheurs publics et de nos malheurs privés... » (4)
Les formalités administratives afférentes au décès retiennent Danton à Paris jusqu'à la fin du mois de Février, mais aussitôt ses affaires réglées, il repart pour Bruxelles où il parvient dans les premiers jours de Mars.
Danton retrouve la Belgique dans une situation on ne peut plus alarmante. Partout règne la plus profonde anarchie. Dumouriez qui a enfin pu exécuter son plan d'invasion de la Hollande, à la mi-février, alors qu'il avait préconisé de faire cette opération juste après la victoire de Jemmapes, se trouve dans une situation extrêmement difficile. Situation qu'il avait d'ailleurs prévue et sur laquelle il avait tenté, vainement, d'alerter les ministres. La Belgique est maintenant directement menacée par les Autrichiens.
La Convention, informée du danger par ses commissaires, prend subitement peur et décrète la levée en masse de 300 000 hommes (5). Danton et Delacroix évacuent Liège, se replient sur Bruxelles, puis rentrent à Paris pour rendre compte à l'Assemblée de la gravité de la situation militaire. Le 8 Mars, Danton est à la tribune de la Convention et, d'un accent pathétique, il tente de stimuler toutes les ardeurs :
« Nous avons plusieurs fois fait l'expérience que tel est le caractère français, qu'il lui faut des dangers pour trouver toute son énergie. Eh bien, ce moment est arrivé. Oui il faut dire à la France entière : "si vous ne volez pas au secours de vos frères de la Belgique, si Dumouriez est enveloppé en Hollande, si son armée était obligée de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d'un tel événement ? La fortune publique anéantie, la mort de 600 000 Français pourrait en être la suite ! »
« Citoyens, vous n'avez pas une minute à perdre (...) Nous ne devons pas attendre uniquement notre salut de la loi sur le recrutement, son exécution sera nécessairement lente, et des résultats tardifs ne sont pas ceux qui conviennent à l'imminence du danger qui nous menace (...) »
« Tous les Français veulent être libres. Ils se sont constitués en gardes nationales. Au terme de leur serment ils doivent tous marcher quand la patrie réclame leur secours ».
« Je demande, par forme de mesure provisoire, que la Convention nomme des Commissaires qui, ce soir, se rendront dans toutes les sections de Paris, convoqueront les citoyens, leur feront prendre les armes, et les engageront, au nom de la liberté et de leurs serments, à voter la défense de la Belgique. »
« La France entière sentira le contre coup de cette impulsion salutaire. Nos armées recevront de prompts renforts; et, il faut le dire ici, les généraux ne sont pas aussi répréhensibles que quelques personnes ont paru le croire (6). Nous leur avons promis qu'au 1er Février l'armée de la Belgique recevrait un renfort de 30 000 hommes. Rien ne leur est arrivé. Il y a trois mois qu'à notre premier voyage dans la Belgique ils nous dirent que leur position militaire était détestable, et que, sans un renfort considérable, s'ils étaient attaqués au printemps, ils seraient forcés d'évacuer la Belgique entière (..) »
« Qu'une armée, conservant l'Escaut, donne la main à Dumouriez, et les ennemis seront dispersés (..) »
« Dumouriez réunit au génie du général, l'art d'échauffer et d'encourager le soldat. Nous avons entendu l'armée battue le réclamer à grands cris. L'histoire jugera ses talents, ses passions et ses vices; mais ce qui est certain, c'est qu'il est intéressé à la splendeur de la République. S'il est secondé, si une armée lui prête la main, il saura faire repentir nos ennemis de leurs premiers succès. »
« Je demande que des commissaires soient nommés à l'instant. » (7)
Le décret nommant les commissaires de la Convention est voté aussitôt et les hommes sont, le soir même, dans les sections de la capitale pour stimuler les volontaires. Danton a encore su trouver les arguments pour convaincre !
Les adversaires du tribun ne retiendront, eux, dans son discours, que l'éloge appuyé qu'il a fait de Dumouriez...
(1) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 275
(2) idem page 276
(3) Le 17 Février 1793. L'affaire sera ébruitée et fera un scandale vite étouffé.
(4) cité par Georges IZARD "Les Coulisses de la Convention"
Hachette, Paris, 1938, pages 242-243
(5) C'est ce décret qui provoquera le soulèvement de la Vendée le 11 Mars 1793.
(6) Danton vise ici Robespierre* qui dénonce depuis longtemps et avec de plus en plus d'insistance "l'esprit aristocratique des Etats Majors" et Marat* qui, lui, ne cesse de répéter que les officiers sont des incapables.
(7) cité par Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Pages 5à à 53
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (33/52)
LE TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE : 8 - 10 MARS 1793