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Convoi qui ramène le Roi Louis XVI et sa famille de Varennes. Arrivée à Paris
DANTON, LA FAYETTE ET LE ROI : JUIN - SEPTEMBRE 1791
Pour Danton, qui rêve toujours de jouer un rôle de premier plan dans cette Révolution, l'adversaire reste La Fayette*. Il ne manque pas une occasion de fustiger le Commandant de la Garde nationale, aidé en cela par Camille Desmoulins*, dans son journal, et par Fréron qui ne ménage pas, lui non plus, ses sarcasmes à l'égard de Bailly et de Marie-Joseph-Paul-Yves-Roch-Gilbert Motier, Marquis de La Fayette* qu’ils appellent maintenant familièrement Motier. (1)
La fuite du Roi et l'épisode de Varennes (2) vont donner à Danton l'opportunité qu'il attendait de pourfendre son ennemi de toujours. La Fayette*, qui avait répondu de la personne du Roi est, en effet, jugé responsable, voire complice, de sa fuite. La nouvelle de l'évasion de Louis XVI* a mis tout Paris en émoi. L'Assemblée a convoqué en urgence le Département de Paris; une foule immense s'est massée dans les rues de la capitale et, sur le passage des membres du Département qui traversent les Tuileries, on entend des cris : « Vive Danton !.. ». « Danton en triomphe ! » mais également, à l'adresse de La Fayette* : « Nos chefs sont des traîtres ! »
Aux Jacobins, le soir même, alors que l'on vient d'annoncer l'arrivée des ministres et des membres de l'Assemblée, Danton s'écrie de sa voix puissante :
« Si les traîtres se présentent ici, je prends l'engagement formel avec vous de porter ma tête sur un échafaud ou de prouver que la leur doit tomber aux pieds de la Nation qu'ils ont trahie.. » (3)
C'est à cet instant même que parait La Fayette*. Danton l'aperçoit et monte précipitamment à la tribune où il commence un véritable réquisitoire. Il reproche au général son hostilité de toujours à l'égard des sociétés populaires, le « serment individuel » des troupes de la garde nationale dont il a accepté l'hommage, la protection accordée au Roi lors de la première tentative de fuite le 18 Avril dernier, le complot qui a permis l'évasion vers Varennes.
« Qu'on m'explique comment M. de La Fayette* qui, depuis le 18 Avril, a fait connaître qu'il était instruit du projet de la fuite du roi, a pu vouloir, dans ce jour fameux du 18 Avril, employer la force publique pour protéger cette fuite vers Saint-Cloud, qui était évidemment, comme l'événement l'a prouvé, le point central de ralliement de la famille royale et de ceux qui dirigeaient ce projet funeste. »
« Je vous demanderai encore : comment se fait-il que la compagnie ci-devant des grenadiers de l'Oratoire, qui était de garde cette nuit du 21 Juin où le roi s'est enfui, soit la même qui était de garde le 18 Avril où le roi devait aller à Saint-Cloud, mais d'où, depuis, vous avez chassé si arbitrairement, si indignement, si tyranniquement, quatorze grenadiers qui s'étaient opposés au départ du roi... » (4)
Puis il interpelle La Fayette* directement :
« Vous, Monsieur La Fayette*, vous qui nous répondiez encore dernièrement de la personne du Roi sur votre tête, paraître dans cette Assemblée, est-ce avoir payé votre dette ? Vous avez juré que le Roi ne partirait pas. Ou vous êtes un traître, qui avez livré votre Patrie, ou vous êtes stupide d'avoir répondu d'une personne dont vous ne pouviez pas répondre. Dans le cas le plus favorable, vous vous êtes déclaré incapable de nous commander. Mais je veux croire qu'on ne peut vous reprocher que des erreurs... » (5)
Pressé par le public de répondre, La Fayette* reste muet et Danton poursuit inexorablement ses questions :
« Qu'êtes-vous donc venu faire aux Jacobins, ce repaire de factieux, de brigands et de calomniateurs ?... »
La Fayette* ne répond toujours pas, alors Danton lance :
« La France peut être libre sans vous... Voulez-vous être véritablement grand ? Redevenez simple citoyen et n'alimentez plus longtemps la juste défiance d'une grande portion du peuple... » (6)
La Fayette* entreprend alors une réponse embarrassée; il tente d'expliquer qu'il a sauvé la Patrie mais il s’embrouille et c’est finalement Alexandre de Lameth qui vient à son secours et prend son parti. La réponse, en tous cas, semble un peu courte pour Danton qui conclut sèchement que le général refuse de s'expliquer.
Le lendemain, de la tribune des Jacobins, Danton somme à nouveau La Fayette*, absent cette fois-ci, de répondre aux accusations qu'il a portées contre lui. Puis, alors que l'on s'inquiète du rôle joué par Bouillé dans l'épisode de Varennes, Danton réplique froidement :
« Le citoyen à qui j'ai reproché hier sa conduite a toujours annoncé Monsieur de Bouillé comme un excellent patriote.. » (7)
Danton sait par ailleurs que La Fayette* fait courir des bruits sur lui et, en particulier, celui qui sous-entend qu'il est « vendu à la Cour ». Il se montre indigné par ces ragots mais il ne s'en émeut pas outre mesure. En fait, il se croit bien peu suspect car il n'a pas de mots assez durs pour le Roi qu’il nomme maintenant « l'individu royal ». Déjà le 21 Juin, lorsqu'il a appris la nouvelle de la fuite du Roi, la cause de la monarchie semblait, pour lui, entendue :
« L'individu royal ne peut plus être roi dès lors qu'il est imbécile.. » (8)
Fusillade du Champs de Mars - 17 juillet 1791
Le 23, alors qu'on lui rapporte que Louis XVI*, s'il n'est pas déchu, est inviolable en raison de la Constitution, Danton réplique avec une certaine grossièreté :
« L'individu déclaré roi des Français, après avoir juré de maintenir la Constitution, s'est enfui, et j'entends dire qu'il n'est pas déchu de sa couronne ! Cet individu a signé un écrit où il a déclaré qu'il allait chercher les moyens de détruire la Constitution ».
« Qu'on le lui présente. S'il l'avoue, certes il est criminel, à moins qu'on le répute imbécile. »
« Ce serait un spectacle horrible à présenter à l'univers si, ayant la faculté de trouver un roi criminel ou un roi imbécile, nous ne choisissons pas ce dernier parti. » (9)
Et pourtant, malgré les avertissements lancés par Danton et le Club des Jacobins, l'Assemblée va tout de même innocenter le Roi. Danton s'était pourtant exprimé très sévèrement à l'égard de ceux qui étaient tentés de rétablir Louis XVI* dans ses fonctions :
« Quiconque propose de rétablir Louis est un stupide ou un traître. La Nation renaissante à la liberté, est cet Hercule qui écrase les serpents qui cherchaient à le dévorer. Elle achèvera ses douze travaux en écrasant ses ennemis. » (10)
Pour trouver une justification à la fuite de Varennes, on fait accréditer la thèse, stupide, de l'enlèvement de la famille royale et l'on promet de châtier les coupables !
Apprenant cette nouvelle, Danton propose aux Jacobins, le 15 Juillet, de rédiger une pétition demandant à l'Assemblée nationale d'accepter l'abdication de Louis XVI*. Pour appuyer sa demande, une forte délégation des Cordeliers envahit la salle des séances. Le Président du Club désigne alors une commission chargée de rédiger cette pétition qui sera présentée à l'Assemblée nationale. La commission composée de Brissot, Danton, Durancel, Lanthénas (11) et Sergent (12) présente, dès le lendemain, un texte qui « demande à l'Assemblée nationale de recevoir, au nom de la nation, l'abdication faite le 21 Juin par Louis XVI* de la couronne qui lui était déléguée et de pourvoir à son remplacement par tous les moyens constitutionnels.. »
Les moyens constitutionnels invoqués impliquent, bien évidemment et en premier lieu, la régence. D'autres pétitions, émanant des Cordeliers, circulent déjà, exprimant en des termes beaucoup plus sévères : « qu'ils ne reconnaîtront plus jamais Louis XVI* pour leur roi, à moins que la majorité de la Nation n'émette un vœu contraire à celui de la présente pétition ».
La pétition des Jacobins est portée au Champs de Mars où Danton en donne lecture le 16 Juillet. Mais une nouvelle pétition, encore plus dure que la précédente, vient d'être déposée par les Cordeliers : elle demande l'abdication du roi et le châtiment immédiat des coupables. Elle rejette en outre, tout recours à un régent : « Plus de monarchie ! », « Plus de tyran ! » Les Cordeliers invitent le peuple parisien à venir signer cette pétition républicaine sur l'Hôtel de la Patrie dressé au Champs de Mars le lendemain 17 Juillet. Dans la soirée du 16, les Jacobins décident d'enlever le texte qu'ils ont présenté, le matin même, par la voix de Danton. Ils n'ont pu se résoudre à admettre les amendements, beaucoup trop radicaux à leur goût, proposés par les Cordeliers. Malgré cette réserve, ils ont précipité la scission du Club : ceux qui se disent constitutionnels vont quitter les Jacobins pour le nouveau Club des Feuillants. Quant à ceux qui restent, ils semblent craindre une répression commandée par La Fayette*.
Le 17, la foule de la capitale se dirige donc en masse vers le Champs de Mars; des attroupements se forment autour de l'hôtel de la Patrie. L'Assemblée nationale ne trouve alors rien de mieux que de donner l'ordre à Bailly, Maire de Paris, et à La Fayette*, Commandant de la Garde nationale, de disperser le rassemblement. Bousculades, charges de la troupe puis, venant de la foule, un coup de feu claque.... La garde riposte et tire sur le peuple sans arme.. On relève des morts et beaucoup de blessés (13). La panique se répand alors très vite dans Paris; la loi martiale est proclamée. Les craintes des Jacobins étaient fondées : la répression est en marche !
Dans les heures qui suivent, de nombreuses arrestations sont effectuées : Vincent (14) et Momoro (15), membres influents des Cordeliers, sont arrêtés; le Club des Cordeliers est fermé. Marat*, lui, parvient à se cacher; quant à Danton, il doit prendre la fuite.
Il se réfugie d'abord dans la maison de son beau père, à quelques lieues de Paris, puis il gagne Arcis-sur-Aube.
Apparemment, il n'a pris aucune part dans la rédaction de la pétition des Cordeliers. Il n'est pas prouvé non plus qu'il ait physiquement participé à la manifestation du 17, bien que certains assurent l'y avoir vu. Il n'en est pas moins poursuivi et menacé d'un décret de prise de corps tout comme Marat*, Hébert*, Camille Desmoulins* et beaucoup d'autres.
Au lendemain de l'affaire du Champs de Mars on aurait retrouvé chez Fréron une lettre manuscrite tendant : « à faire nommer pour dictateur le Sieur Robespierre*, ou si on ne le pouvait douze personnes tels ledit Robespierre*, Pétion*, Danton, Fréron, Camille Desmoulins* et autres bons citoyens de cette trempe, pour être nommés dictateurs dans le cas où le Sieur Robespierre* ne pourrait pas être nommé seul. » (16)
Le décret de prise de corps est finalement lancé officiellement contre Danton le 4 Août alors qu’il a déjà gagné l'Angleterre, accompagné de son beau père.
Il disparaît ainsi jusqu'au 10 Septembre, date à laquelle, ayant été choisi comme électeur par la section du Théâtre Français, il croit pouvoir regagner Paris sans danger. Il se présente à l'Assemblée électorale du Département puis, le surlendemain, au Club des Jacobins où il reçoit une véritable ovation. On tente cependant de l'arrêter en application du décret du 4 Août mais, protégé par son immunité et surtout par sa popularité, Danton ne sera pas inquiété davantage.
La Constitution de 1791 est définitivement votée. Le 13 Septembre, elle est solennellement acceptée par le Roi, rétabli dans ses fonctions.
Le lendemain, Louis XVI* renouvelle son serment à la nation et, pour célébrer l'événement, une amnistie est promulguée. Danton est ainsi, officiellement, lavé de tout soupçon...
(1) C'est ainsi que l'appelleront ses détracteurs. C'est effectivement plus court que Marie-Joseph-Paul-Yves-Roch-Gilbert Motier, Marquis de La Fayette*.
(2) Dans la nuit du 20 Juin 1791.
Le Roi et sa famille sont arrêtés à Varennes le 21 Juin.
(3) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 54
(4) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton" op. cit. Page 139
(5) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 56
(6) idem
(7) idem page 57
(8) cité par Jean Denis BREDIN "Siéyès" op. cit. Page 200
(9) cité par Louis BARTHOU "Danton" op. cit. Page 57-58
(10) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton..." op. cit. Page 143
(11) LANTHENAS (François Xavier) : Né au Puy le 19 Avril 1754, il exerce la médecine à Paris lorsque débute la Révolution. Protégé de Roland qui l'a aidé à faire ses études, celui-ci le place comme Premier Commis à l'Administration de l'Instruction publique.
Elu à la Convention, Lanthénas votera de façon incohérente lors du procès du Roi. Son nom figurera sur la liste des Girondins proscrits le 31 Mai 1793 mais Marat* le fera rayer.
Il sera à nouveau élu au Conseil des Cinq Cents puis reprendra ses activités de médecin en 1798 jusqu'à sa mort en 1799.
(12) SERGENT (Antoine François) : Né à Chartres le 9 Octobre 1751. Fils d'un arquebusier il vit en donnant des cours de dessin. Vers 1784 il entreprend la constitution d'une galerie des Personnages Célèbres de l'Histoire de France. Président du District du Théâtre Français en 1789 il sera Officier Municipal en 1792 et sera mêlé aux massacres de Septembre.
Elu de Paris à la Convention, il votera la mort du Roi. Il se cachera peu avant Thermidor et ne réapparaîtra qu'après la chute de Robespierre*. Il devra ensuite s'enfuir en Suisse d'où il ne reviendra qu'en 1797. Arrêté en l'an IX, il sera à nouveau contraint à l'exil jusqu'en 1824 date à laquelle il se fixe à Nice. Il mourra dans cette ville le 24 Juillet 1847.
(13) 50 morts suivant Albert SOBOUL "La Révolution française" op. cit. Page 224
(14) VINCENT (Frédéric Nicolas) : Clerc de Procureur à la veille de la Révolution, il devient l'un des principaux orateurs des Cordeliers.
En 1792, il sera nommé chef de bureau au Ministère de la Guerre, puis Secrétaire de ce même Ministère en 1793. Hébertiste, il sera traduit, en même temps qu'Hébert au Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 24 Mars 1794.
(15) MOMORO (Antoine François) : Né à Besançon en 1756. Imprimeur à Paris, il adhère avec passion aux idées révolutionnaires. Un des membres les plus influents des Cordeliers, il est l'un des meneurs de la manifestation du Champ de Mars le 17 Juillet 1791.
On le retrouvera dans l'insurrection du 10 Août 1792. Il prendra des fonctions importantes au Département de Paris. On lui doit la devise : "Liberté, Egalité, Fraternité" qui sera inscrite aux frontons de tous les édifices publics.
Partisan de la loi agraire et initiateur du culte de la Raison, il sera victime de Robespierre* qui le fera guillotiner le 4 Mars 1794.
(16) cité par Gérard WALTER "Robespierre" Gallimard, Paris, 1946, page 176
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (13/52)
LA LEGISLATIVE FORCE LA DECISION DU ROI : OCTOBRE - DECEMBRE 1791