LE PLAN : DECEMBRE 1790
Mirabeau n’avait pas attendu, on s’en doute bien, la rencontre avec Montmorin pour travailler à l’élaboration d’un plan de sauvetage de la monarchie. Cela fait plusieurs semaines qu’il y réfléchit et qu’il couche sur le papier les idées force de ce qui pourrait être, si ses espérances se réalisent un jour, son programme de gouvernement. Ce plan prend la forme d’une note à la cour dont il a déjà en tête la trame. Le texte final commence par une profession de foi qui, de manière définitive, ne laisse aucun doute sur la sincérité monarchique de son auteur :
« Le projet de rétablir l’autorité du roi et de sauver la chose publique est tellement conforme à mes principes, que, même sans auxiliaires, j’aurais tenté de l’exécuter, si je ne m’étais pas aperçu qu’un plan systématique peut seul réussir, qu’il faut un grand concours de moyens pour donner un mouvement sensible à une machine aussi vaste, que surtout les simples idées théoriques ne suffisent plus, et qu’il faut y joindre l’exécution. » (1)
Et Mirabeau aborde ensuite ce qui constitue la base de son raisonnement : pour établir un plan qui ait quelques chances d’aboutir, il faut, tout d’abord, identifier les obstacles mais également connaître parfaitement l’objectif :
« Pour former un plan systématique, on doit connaître les véritables obstacles qu’on a à surmonter, fixer d’une manière précise le but auquel on veut arriver, déterminer les moyens les plus sûrs de l’atteindre, et s’assurer de la plus grande exactitude dans l’exécution. Je compte parmi les obstacles, l’indécision du roi; les préventions dirigées contre la reine; la démagogie frénétique de Paris; l’esprit de la garde nationale; l’irritabilité de l’Assemblée; le peu de prise qu’elle offre, vu sa grande masse; l’insurmontable impopularité d’une de ses sections (2); les palliatifs que prépare son comité de révision; l’impossibilité de se servir d’une bonne partie des mécontents, qui ont des intérêts entièrement opposés entre eux; (..) et par-dessus tout l’ordre des choses déjà établi, déjà en mouvement, et l’impossibilité d’obtenir un succès durable sans rétrograder, c’est à dire sans abroger plusieurs décrets. (3)
Mirabeau reprend alors, un à un, les dix obstacles qu’il vient de citer, analyses leurs causes et leurs effets et propose ses solutions. Il pose ensuite la question fondamentale : « Quel est le but que l’on se propose d’atteindre ? »
« Obtenir la convocation d’une Assemblée rectificatrice, reprendre les rennes du gouvernement, diriger l’opinion publique, influer sur la conduite des départements, sur le choix des membres d’une seconde législature, ce ne sont là que des moyens plus ou moins utiles (..) Rétablir l’autorité royale est une idée trop complexe (..) tendre à une meilleure constitution, voilà donc le seul but que la prudence, l’honneur et le véritable intérêt du roi, inséparable de celui de la nation, permettent d’adopter.. » (1)
Une meilleure Constitution !. Cela fait des mois qu’il y pense, des mois qu’il a analysé, décortiqué, remanié ce qu’il estime être bon et ce qu’il considère comme moins bon dans les textes actuels. Cela fait des mois également qu’il veille à ce qu’aucun des décrets qui sont soumis au vote de l’Assemblée ne vienne contrecarrer ce qu’il croit être la voie raisonnable pour la France. Lui que l’on a éliminé du comité de Constitution, actuellement au travail, est sans aucun doute l’un des plus compétents, parmi tous les députés, pour mener à bien cet ouvrage.
Alors, il explique et décrit les moyens à mettre en œuvre pour parvenir aux objectifs. Pour se débarrasser de l’Assemblée actuelle « sans secousse », il faut la perdre dans l’opinion publique. Comment s’y prendre ? Il faut influer sur ses débats, laisser prendre tous les décrets qui sont de nature à augmenter le mécontentement populaire; exciter la jalousie des départements par rapport à la capitale; empêtrer les discussions, tout du moins celles qui portent sur des sujets sans importance. L’idéal étant que l’Assemblée, lasse d’être le lieu de débats stériles, prononce elle-même sa dissolution.
Avant d’en arriver là, il faudra, bien sûr, avoir mis en place une nouvelle loi électorale qui interdirait aux députés actuels de se présenter en dehors de leur circonscription originelle. Le but étant évidemment de barrer la route aux démagogues parisiens qui seraient tentés d’aller se faire élire en province.
Pour qu’enfin son plan soit complet, Mirabeau, dans une dernière partie, prend soin d’en indiquer tous les détails :
« Il ne suffit pas de savoir en général ce que l’on doit faire; il faut que chaque coopérateur connaisse parfaitement ses obligations et ses rapports; que les points de réunion soient fixés, et que la distribution des travaux soit fixée de manière invariable... » (1)
Il définit ainsi les obligations de « l’atelier de Police » :
« .. Ils enverront tous les jours à M. de Montmorin un compte rendu général de la veille, qui sera fait par le chef du Bureau central qu’ils auront sans doute établi. Ce compte rendu, dont une copie fidèle doit m’être immédiatement adressée, sera intitulé : Etat de Paris. Il renfermera les observations sur les articles suivants qui seront écrits à la marge :
ASSEMBLEE NATIONALE - JACOBINS - CHEFS DES JACOBINS - CLUB DE 1789 - CLUB MONARCHIQUE - LIEUX PUBLICS, CAFES, THEATRES, CLUBS, PROMENADES - M. DE LA FAYETTE - GARDE NATIONALE - TRIBUNES DE L’ASSEMBLEE - OUVRIERS - CLERGE - JOURNALISTES - OUVRAGES DIVERS - MINISTERE - LE ROI - LA REINE - OPINION PUBLIQUE - MUNICIPALITE - DEPARTEMENTS - TRIBUNAUX - CORPS ELECTORAL. » (1)
Enfin, pour être sûr d’avoir été bien compris, Mirabeau rédige un modèle détaillé du compte rendu qu’il vient de présenter.
A cet « Atelier de Police », il joint également un « Atelier de Correspondance » et un « Atelier des Ouvrages ». Le premier consiste en quarante agents (un pour deux départements) que Mirabeau appelle les « Voyageurs de la première Classe », qui sont tous connus de Montmorin, et tous inconnus les uns des autres. Ces émissaires, envoyés dans les provinces, sont chargés de répondre périodiquement à des questionnaires établis par le ministre; ils jouent ainsi le rôle d’informateurs mais sans le savoir.
L’Atelier des Ouvrages reçoit, quant à lui, la mission d’organiser la propagande en éditant des brochures favorables aux idées du régime.
Mais Mirabeau décrit aussi l’influence que doivent avoir les coordonnateurs du plan sur les débats de l’Assemblée nationale; il indique les conférences régulières de M. de Montmorin; il précise les instructions générales à fournir aux envoyés dans les départements;...
Le volumineux plan de Mirabeau est adressé à la cour le 23 Décembre 1790. Il sera complété par une courte note datée du 27 Décembre. Ce plan, rapidement rédigé, ce qui sans doute explique qu’il présente quelques redites, et parfois même quelques contradictions, est le reflet du génie politique de Mirabeau. Il y pose clairement les problèmes, apporte des solutions, décrit leur mise en œuvre, précise les moyens. Il a une vue d’ensemble sur la situation du pays, même si cette vision semble à certains un peu pessimiste, mais sait aussi se projeter dans l’avenir avec une clairvoyance que l’on a déjà remarquée en plusieurs occasions.
Au jour où Mirabeau achève son plan, il a la certitude que le roi en sera enthousiasmé. Ce ne sera pas le cas du tout. Si Marie-Antoinette* estime que le plan est fort bien bâti et qu’il donne des espérances sérieuses, Louis XVI* n’a pas vraiment d’avis sur la question. Au dire même de La Marck, le roi n’a plus aucune notion des dangers qui le menacent, il ne voit donc pas bien pourquoi il serait utile de prendre des dispositions particulières !... Montmorin, lui, donne à Mirabeau son accord total : « Votre note est excellente, je suis entièrement de votre avis en tout » écrit aussitôt le ministre.
A l’apathie du roi, qui est l’un des obstacles répertoriés par Mirabeau, s’ajoute une autre difficulté : la mise en œuvre du plan exige un grand nombre de coopérateurs; ce qui n’est pas forcément grave dans la mesure où Mirabeau a prévu qu’ils ne soient pas informés de leur propre collaboration au plan. Plus grave est la mise au courant, quasi obligatoire, au moins à terme, de tous les ministres. Comment leur faire garder un si lourd secret pendant toute la durée de l’exécution de ce plan, ambitieux ?
A la fin de 1790, tous ceux qui y ont participé ou qui en ont eu connaissance, excepté le roi qui n’a pas d’avis, sont décidés à mettre en œuvre ce plan qui doit donner à la France un exécutif disposant d’une assise populaire forte et d’un gouvernement digne de ce nom...
(1) Noté à la cour du 23 Décembre 1790
Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET « Mirabeau entre le Roi et la Révolution » op. cit. Page 173 à 231
(2) Il s’agit bien sûr de la droite.
(3) Et en particulier, pense Mirabeau, le décret du 7 Novembre 1789 qui lui barre toujours l’entrée au ministère !...
ILLUSTRATION : Louis XVI, Marie Antoinette et le Dauphin dans le Jardin des Tuileries
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (58)
CONDAMNE AU SILENCE : JANVIER - FEVRIER 1791