TOUT PRES DU BUT : OCTOBRE 1790
Quoiqu’en pense Marie-Antoinette*, les intentions de Mirabeau n’ont pas véritablement varié. S’il est parvenu à réunir à l’Assemblée une aussi large majorité, grâce un peu à son attitude, que certains ont qualifié d’excitée, c’est dans un objectif précis : faire abroger le fameux décret du 7 Novembre 1789 afin d’accéder enfin au ministère. Le poste est maintenant vacant; la droite est minoritaire; La Fayette* est, pour le moment du moins, très affaibli. Par ailleurs, l’Assemblée a mis en chantier un travail de fond ayant pour objet de réviser l’ensemble des textes qui tiennent lieu de Constitution. Et cette Assemblée là votera ce que Mirabeau lui demandera de voter ! Le moment n’a jamais été aussi propice !...
Il ne reste donc au député d’Aix qu’à convaincre la cour et il sent bien que ce n’est pas le plus facile. Jour après jour, il fait preuve, dans ses notes, de la plus grande pédagogie, expliquant au roi les dispositions qui lui semblent importantes dans ce qui doit être la nouvelle Constitution. Et, pour restaurer une confiance qu’il sait un peu émoussée, Mirabeau plaide pour une nouvelle rencontre avec la reine; une rencontre au cours de laquelle il pourrait, mieux que dans ses écrits, expliquer ses intentions et la convaincre de sa bonne foi. Le temps presse, le ministère abandonné par Necker ne peut rester vacant très longtemps. Aussi, le 15 octobre, Mirabeau rédige une note pathétique :
« J’ai cru tous les jours que M. l’archevêque devait voir la reine, et il a dû la voir tous les jours; tous les jours arranger pour moi l’honneur d’une audience; et les circonstances sont telles, en effet, que l’on devrait et que j’ai désiré correspondre à tous les instants, quoique j’aie en chaque jour près de six heures de comité. Au lieu de cela, je n’ai point encore pu obtenir une conférence qui expliquerait et arrangerait ce que cent notes n’expliqueront et n’arrangeront pas.
« Les trois comités réunis ont résolu d’engager l’Assemblée à prier le roi de nommer un nouveau ministère, capable de faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale. C’est une grande et belle mesure qui, si l’on sait faire, sauve le trône et arrache la dictature à La Fayette*. Je n’ajouterai qu’un mot sur cela : c’est que, si je ne songeais qu’à moi, j’aurais cru que l’anarchie me servirait mieux, me rendrait plus nécessaire que l’établissement d’un gouvernement quelconque. Le parti de La Fayette* a combattu avec rage encore hier, il est terrassé sur ce point; tous les partis sont aujourd’hui dans l’activité d’intrigue la plus enflammée; le coup sera porté lundi au plus tard.
« Il me semble que le roi devrait provoquer, dès le lendemain, la levée du décret (1) et la lettre que j’offre de faire mettrait l’Assemblée dans le plus grand embarras, et ferait prendre au monarque, dans le royaume, la plus belle date.
« Le décret sera levé, ou il ne le sera pas. Je crois le second.
« S’il est levé, il n’y a pas à balancer; qu’on nomme ministres les chefs des Jacobins, tous ! Tous ! (cela fait horreur, mais cela est profondément habile).
« Qu’on les nomme, car s’ils tiennent, tant mieux; ils seront forcés de composer; et, s’ils ne tiennent pas, ils seront perdus, eux et leur parti.
« Si le décret n’est pas levé, il importe que le ministère ne soit pas odieux, mais soit nul, et les Jacobins ne demanderont pas mieux.
« Il importe surtout que pas un seul des choix de La Fayette* ne soit accepté. Cela importe comme l’honneur, comme la sûreté, comme la vie (..)
« Nommez Rochambeau (2) à la Guerre, ce choix sera approuvé, et cet homme, entièrement aux Jacobins, cet homme tout à fait incapable, et inconcevablement susceptible d’être un aveugle instrument de démagogie,.. cet homme sera irrévocablement perdu.
« La Millière pour l’Intérieur (homme passable, en attendant fidèle et non odieux)
« De Moustiers pour les Affaires Etrangères (lourd, mais sage et sûr)..
« La Prévalaye à la Marine, Lambert aux sceaux;
« Les Finances, en comité avec Dufresne, ordonnateur.
« Je n’ai pas le temps de donner la raison d’un seul de ces choix, mais que l’on daigne m’en croire ! Je ne connais pas un seul de ces hommes, dont aucun n’est merveilleux, mais qu’importe ? Et, si l’on avait du merveilleux, faudrait-il le risquer aujourd’hui ? Je n’ai et l’on a qu’un seul intérêt, c’est que le provisoire marche, et il marchera.
« On demandera (en l’état cela est très irrégulier), au sein même de l’assemblée, que les ministres y prennent place et voix sur les affaires administratives, ce qui est inévitable, et c’est un très grand point de gagné, car ce jour-là, non seulement ils peuvent gouverner, mais tous les amis de l’ordre et les hommes à principes gourmanderont l’Assemblée, si elle veut gouverner. » (3)
Mirabeau sait que l’Assemblée est à sa main; il en a eu une preuve éclatante quelques jours plus tôt. Il est donc persuadé que le roi n’a plus d’autre choix que de suivre ses conseils ce qui lui permettrait de passer à la phase décisive de son dispositif.
Il est pourtant une condition essentielle pour que l’offensive que Mirabeau se prépare à déclencher soit couronnée de succès, c’est que le roi en personne congédie ses ministres. Cela fait d’ailleurs partie des attributions royales auxquelles il serait très imprudent, de sa part, de renoncer. Il ne faut surtout pas, et Mirabeau l’a, à plusieurs reprises, répété dans ses notes à la cour, que le ministère soit limogé par l’Assemblée.
Mirabeau attend, prêt à entrer en lice, lorsque soudain, le 18 Octobre, il découvre, par hasard, au cours d’une conversation à l’Assemblée, qu’un autre que lui conseille également le roi : le député Bergasse. (4) Fou de colère, il rédige, d’une plume rageuse, une lettre à son ami La Marck :
« Je viens de découvrir ce secret infiniment important, et que vous me garderez, mais qui est mal couvert, puisque je l’ai dévoilé, que c’est Bergasse qui conseille en ce moment et qui pousse la cour; j’ai même (et ceci est capital au plus haut degré) la copie de la lettre que le roi doit écrire à l’Assemblée. Cette pièce, vraiment extravagante politiquement parlant, est tellement téméraire que le plus audacieux des hommes, à la place du roi, ne l’écrirait pas s’il était dans son bon sens. (5)
« Je n’ai pas voulu avoir l’air, avec la cour, de connaître l’anecdote Bergasse, avant d’en causer avec vous; car je ne ferai pas la sottise que fait le royal bétail, et quand je reconnais les lumières et la droiture, et le dévouement d’un homme, je ne me déciderai à rien de grave sans le consulter, et je ne le consulterai pas toujours pour ne jamais faire ce qu’il dit (..) O démence !
« J’irai vous voir en sortant. Bonjour, mon cher comte. » (6)
Jamais encore Mirabeau n’avait employé ce ton là ! Le « royal bétail » !... La Marck en reste muet pendant plusieurs jours ! Et, pendant ce temps, à l’Assemblée, on prépare un vote qui doit décider du renvoi du ministère. L’issue du scrutin ne fait aucun doute; les ministres du roi n’ont plus beaucoup d’amis parmi les représentants du peuple...
Et pourtant, à la surprise générale, le renversement du ministère est repoussé par 403 voix contre 340. L’Assemblée, dans un dernier sursaut a dû réaliser qu’elle était en train d’outrepasser ses droits !.. Peut-être aussi a-t-elle craint que, les ministres étant limogés, Mirabeau ne trouve un artifice quelconque pour s’engouffrer dans la brèche !.. Car il est un point sur lequel les députés, dans leur grande majorité, sont toujours d’accord : Mirabeau ne doit pas accéder au ministère; le décret du 7 Novembre 1789 ne doit donc pas être abrogé.
Mirabeau avait pourtant dans sa poche, ce jour-là, un discours, soigneusement rédigé, dans lequel il demandait l’abolition de ce fameux décret. Il avait bon espoir de réussir, cette fois-ci, à convaincre ses collègues. Ce discours, il ne le prononcera pas.
Trahi par la cour; condamné au silence par l’Assemblée, Mirabeau subit un échec qui semble l’abattre moralement. D’autant plus que sa condition physique se dégrade lentement depuis un certain nombre de mois. Il se plaint de troubles de plus en plus fréquents et aigus. Le mal qui va l’emporter le ronge déjà...
(1) Il s’agit toujours du décret du 7 Novembre 1789 qui interdit à tout membre de l’Assemblée d’être nommé au ministère. Ce décret obsède réellement Mirabeau.
(2) ROCHAMBEAU (Jean Baptiste, Donatien de Vimeur) : Né à Vendôme le 1er Juillet 1725. Héros de la guerre d'Indépendance, il rejoint l'armée américaine en 1781. Il revient en France en 1783, participe aux travaux de l'Assemblée des Notables en 1787 et reçoit le commandement de l'Armée du Nord le 14 Décembre 1791. Il est fait Maréchal de France le 28 Décembre suivant.
Après la déroute de l'armée française du printemps 1792, il remet son commandement le 20 Mai.
Il sera arrêté comme suspect en 1793 et ne sera libéré qu'après la chute de Robespierre*. Il mourra le 10 Mai 1807
(3) Note à la cour du 15 Octobre 1790
Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET « Mirabeau entre le Roi et la Révolution » op. cit. Pages 123 à 125.
(4) BERGASSE (Nicolas) : Né à Lyon le 24 Janvier 1750, il est avocat avant la Révolution. Elu par le Tiers Etat de Lyon aux Etats Généraux, il devient un des conseillers secrets du roi à partir d'Octobre 1790.
Il devra se cacher au lendemain du 10 Août 1792, mais il sera tout de même arrêté le 7 décembre 1793 et emprisonné à Tarbes. Il croupira dans cette prison de province jusqu'au 25 Juillet 1794 et échappera ainsi à la terreur.
Condamné pourtant après son transfert à Paris, il sera mis en liberté provisoire le 13 Janvier 1795 et mourra le 28 Mai 1832.
(5) Bergasse avait conseillé à Louis XVI* d’écrire à l’Assemblée pour demander aux députés de renvoyer les ministres et de nommer leurs remplaçants. C’est exactement ce que Mirabeau ne voulait pas que l’on fasse. Le roi ne suivra pas le conseil de Bergasse.
(6) Lettre de Mirabeau au Comte de La Marck datée du 18 Octobre 1790.
Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET « Mirabeau entre le Roi et la Révolution » op. cit. Page 127.
ILLUSTRATION : Marie Antoinette
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (55)
FURIEUX MAIS FIDELE : OCTOBRE - NOVEMBRE 1790