La Réforme du code du Travail est la première des grandes réformes annoncées par Emmanuel Macron lors de la campagne pour l’élection présidentielle. On en connaissait, jusqu’à ces jours derniers, que les grandes lignes mais, entre le débat à l'Assemblée nationale et la fin des négociations avec les partenaires sociaux, syndicats et députés commencent à savoir ce qu'il y aura dans les ordonnances sur le Code du travail. Et des sources de conflit sont déjà clairement mises à jour.
Cette réforme du Code du travail va occuper les responsables politiques et sociaux tout l'été et peut être même un peu au-delà. Depuis lundi 10 juillet dernier, la ministre du Travail Muriel Pénicaud est sur deux fronts. A l'Assemblée nationale d'abord, elle défend le projet de loi d'habilitation des ordonnances, qui donnera au gouvernement un cadre pour réformer. Un débat sur la forme donc, mais qui permet à l'opposition politique de glaner des informations sur le fond. En parallèle, la ministre a entamé son dernier tour de table avec les partenaires sociaux. L'occasion pour les syndicats de définir leurs lignes rouges. A travers ces discussions, l'exécutif dévoile un peu plus ses intentions alors que l'opposition peaufine ses argumentaires. En l'état, les futures ordonnances s'annoncent clairement clivantes sur quelques sujets phares.
La pénibilité revue et limitée
En 2014, la pénibilité au travail est intégralement repensée par le Gouvernement socialiste qui en fait un élément clé de sa politique sociale. Via la création d'un compte à points lié à la nature du travail qui permet à chaque travailleur de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite ou d'une formation pour changer de métier. Des dispositions qui avaient été à l’époque très mal accueillies par le patronat qui jugeait la mise en œuvre de cette réforme trop complexe. Le gouvernement d’Edouard Philippe, qui veut rebaptiser le dispositif "compte prévention", souhaite en modifier les conditions d'accès.
Les syndicats, dans leur ensemble sont déjà prêts à descendre dans la rue pour la seule défense de ce compte pénibilité, même si certains d'entre eux reconnaissent le caractère "usine à gaz" du dispositif en l'état. Outre la modification des critères de pénibilité, quatre de ces critères ont été purement et simplement supprimés, ils dénoncent surtout le financement du dispositif, intégré au budget de l'Assurance maladie. Ce qui exonérerait les entreprises de cotisations patronales.
La "hiérarchie des normes" est bouleversée
C’est une terminologie que l’on avait déjà entendue lors du long débat sur la loi El Kohmri. La "hiérarchie des normes", c'est le fait que, aujourd’hui, la loi française prime sur un accord de branche, scellé dans chaque secteur (la santé, l'agriculture, l'industrie automobile…) par les partenaires sociaux, lequel prime sur un accord scellé au sein d'une entreprise. Le gouvernement veut "donner une place centrale à la négociation collective d'entreprise". Autrement dit, déterminer des champs de compétence dans lesquels un accord d'entreprise aurait priorité sur un accord de branche.
Par exemple, un accord de branche impose une majoration de 25% des heures supplémentaires à toutes les entreprises de son secteur. Mais l'une d'entre elles, en crise, ne peut satisfaire ces surplus de salaire au détriment de sa productivité. Elle pourrait alors négocier un accord interne dans lequel les heures supplémentaires ne seraient majorées que de 10%, ce qui permettrait à ses finances de sortir du rouge. En échange, le patron de l'entreprise s'engagerait à embaucher plusieurs personnes ou à verser des primes de fin d'année plus importantes, une fois la crise passée.
Pour les syndicats, cette mesure n'est que pur chantage. Selon la CGT, il y a un déséquilibre au niveau d'une entreprise : le patron est souvent en position de force face à des syndicats qui sont prêts à accepter davantage pour éviter des licenciements. A l'Assemblée, les Insoumis, à commencer par leur leader Jean-Luc Mélenchon, dénoncent une "inversion de la hiérarchie des normes". Ce qui fâche également la plupart des organisations syndicales c’est que leur pouvoir dans des négociations au niveau des entreprises serait considérablement réduit.
Se passer de syndicats dans les PME-TPE?
Selon le souhait d'Emmanuel Macron, la refonte du code du travail doit d'abord permettre aux PME (entreprises de moins de 50 salariés) et TPE (de moins de 10 salariés) d'avoir un cadre légal plus clair et détaillé. Le principal blocage pour ces structures est leur quasi-impossibilité de conclure des accords d'entreprise. En effet, seules 4% des PME et TPE comptent des délégués syndicaux, les autres étant obligées de recourir à un "mandatement syndical" qui consiste à se placer sous l'autorité d'une centrale syndicale le temps de passer un accord. Le gouvernement souhaite qu'une PME puisse se passer de syndicat pour conclure un accord interne. Concernant les TPE, des dispositions spécifiques devront apparaître dans chaque accord de branche et le référendum interne sera autorisé.
Là aussi les syndicats bloquent pour plusieurs raisons. Outre le fait que les salariés ne connaissent pas toujours le droit du travail et que leur patron pourrait profiter de l'absence d'un syndicat, le principal problème de ces propositions est d'ordre juridique. La France est membre de l'Organisation internationale du travail (OIT) et sa loi intègre la convention de cette instance mondiale. Or, l'article 135 de ce texte impose d'inclure un "représentant des travailleurs" (en France, il s'agit des délégués syndicaux) dans toute négociation interne à une entreprise. Selon le magazine économique « L'Entreprise », le ministère du Travail pourrait proposer que les salariés de PME-TPE soient "accompagnés" d'un syndicaliste extérieur, réduit à une mission de conseil donc. Ce que contestent évidemment les centrales.
Une seule instance du personnel pour tous
Dans les entreprises de plus de 50 salariés, il existe plusieurs instances représentatives du personnel (IRP : Les « délégués du Personnel », le « Comité d’Entreprise », le « Comité d’Hygiène et Sécurité et Condition de Travail » et les représentants syndicaux.. Emmanuel Macron souhaite la fusion des trois premières entre elles en un seul et unique conseil aux prérogatives élargies. Une sorte de simplification administrative à l'échelle de l'entreprise.
Il est évident que cette réforme va diminuer sensiblement les nombre de représentants élus au sein de l’Entreprise et, de ce fait, les syndicats estiment que la mesure entraînerait une fragilisation des salariés face au patronat. Moins de représentants du personnel, moins de réunions entre le chef d’entreprise et les élus donc les syndicats auraient moins de poids dans l'entreprise.
Plafonnement des Indemnités prud'homales : le respect d'une promesse de campagne
Aujourd'hui, les indemnités prud'homales au titre de dommages et intérêts ne sont pas plafonnées. Leur montant peut varier, parfois du simple au triple, pour des affaires comparables. Emmanuel Macron a promis pendant sa campagne la mise en place d'un barème des indemnités versées pour le seul cas de licenciement abusif. L'idée est de permettre à l'employeur de déterminer à l'avance le coût d'un licenciement, légal ou pas.
C’est l'une des promesses de campagne les plus contestées selon plusieurs études d'opinion. La dernière en date, un sondage Elabe du 28 juin pour BFMTV assure que 61% des Français sont opposés à la mesure. Sur le fond, le principal argument des syndicats est la crainte qu'un plafonnement des indemnités entraîne une hausse des licenciements.
Création du "CDI de projet"?
Dans le secteur des BTP, il existe des contrats de chantier, un type de CDD qui permet d'embaucher un employé sans date de fin de contrat précise. L'employeur ne paie pas d'indemnités de précarité et, à la fin du chantier, il peut licencier son ouvrier sans justification. En contrepartie, la convention collective du BTP impose au patron de payer son ouvrier tant que le chantier - ou la mission pour laquelle il a été embauché - n'est pas terminé. Le "CDI de projet" serait une extension des contrats de chantier. Il donnerait au salarié tous les avantages liés au CDI dans sa forme actuelle. Une proposition que Muriel Pénicaud devrait formuler cette semaine lors de son dernier tour de table avec les partenaires sociaux.
Le Medef tente de généraliser ce dispositif depuis plusieurs années, s'appuyant sur l'exemple des BTP. Les syndicats estiment toutefois que ce qui marche pour le bâtiment ne peut pas automatiquement s'appliquer ailleurs. De plus, il est déjà possible, au niveau de chaque branche professionnelle, d'expérimenter ce type de contrat. C'est le cas des entreprises de services informatiques comme l'expliquait Laurent Berger sur Europe 1 le 28 juin dernier :
Renforcer la loi El Khomri sur les motifs de licenciement
La loi Travail d'août 2016, celle portée par Myriam El Khomri, a redéfini le licenciement économique, en inscrivant dans la loi les motifs qui justifient une telle procédure. Depuis le 1er janvier dernier, date de l'entrée en vigueur de cette mesure, une entreprise peut licencier un salarié si elle subit une "baisse significative" des commandes ou de son chiffre d'affaire sur une durée qui varie selon sa taille. Avant la loi El Khomri, c'était un juge - et non la loi - qui devait apprécier la réalité des difficultés économiques d'une entreprise et déterminer si un licenciement était justifié ou non. L'exécutif veut aller plus loin en prenant en compte le "périmètre géographique" dans le motif d'un licenciement. Ce qui permettrait à une entreprise de justifier des licenciements au vu de ses seules difficultés sur le territoire français.
Les syndicats sont là encore vent debout contre une nouvelle mesure qui donne de la souplesse au patronat même si l'Etat promet des garde-fous - qui ne sont pas encore connus aujourd'hui - pour éviter les dérives. Cela ne rassure pas les syndicats. Une multinationale par exemple pourrait justifier des licenciements sur le sol français car sa branche française est en déficit… et ce, même si cette multinationale réalise d'importants bénéfices à l'étranger et que ses finances générales sont excédentaires. L'an dernier, les syndicats avaient réussi à faire reculer le gouvernement Valls sur cette mesure. Qu'en sera-t-il sous Macron?
Jean-Pierre ECHAVIDRE