ENFIN LA LIBERTE : 1767 - 1770
Gabriel-Honoré de Pierre-Buffière arrive donc dans son cantonnement de Saintes le 19 Juillet 1767. Pour lui, c'est la liberté qui s'ouvre enfin devant ses pas. Le père semble avoir desserré un peu son étreinte; l'inflexible abbé Choquard n'est plus qu'un lointain souvenir. Il va enfin pouvoir mordre la vie à belles dents, sans contraintes, sans être constamment surveillé et réprimandé.
Très rapidement, il montre beaucoup de dispositions pour la discipline des armes. Toujours aussi brillant intellectuellement, il assimile avec une grande facilité l'instruction militaire et, là aussi, se montre bien supérieur à la majorité de ses condisciples. Par contre, l'autorité des officiers lui est toujours aussi difficile à supporter tant et si bien que, durant la première année, Gabriel-Honoré passe près de cinq mois dans la prison du régiment pour des faits d’indiscipline.
Et, durant les périodes où il quitte la prison pour rejoindre son régiment, lorsqu'il jouit enfin de sa liberté pleine et entière, le jeune homme se morfond. Que faire en effet dans une petite ville de province, sans aucune relation et surtout sans argent ? Pas question bien sûr de réclamer le moindre subside à son père. Il a bien trop de fierté pour cela et puis, de toute façon, il sait d'avance qu'on lui refuserait. Sa mère lui a bien fait parvenir quelques louis mais c'est bien insuffisant quand on a vingt ans et que l'on aspire à profiter de la vie et de son indépendance !..
Alors, Gabriel s'essaye au jeu et, comme on peut s'en douter, compte tenu de son inexpérience et de l'ambiance qui règne dans les tripots des villes de garnison, il perd beaucoup. Il s'endette tellement que l'Ami des Hommes est bientôt mis au courant des écarts de son fils. Après l'avoir vertement sermonné, il consent, parce qu'il ne peut guère faire autrement, à régler un premier arriéré de quarante livres.
La première année de garnison se déroule ainsi. Elle ne laissera pas à Gabriel-Honoré de souvenirs mémorables !.. Au début de l'année suivante, Monsieur de Pierre-Buffière, à qui ses supérieurs reconnaissent des qualités certaines, est nommé au grade de Sous-Lieutenant. Un peu plus à l'aise au niveau de sa solde, il n'en continue pas moins à jouer, espérant à chaque fois décrocher une belle cagnotte. Il en aurait bien besoin car il a maintenant une maîtresse à entretenir. La garde robe de la dulcinée, les soupers aux restaurants, les bals, mais surtout les dettes contractées au jeu ont allongé l'ardoise du Lieutenant Pierre-Buffière. Une ardoise qui se monte maintenant à près de quatre-vingts louis !.. Les créanciers se montrent d'ailleurs de plus en plus pressants et, finalement, une plainte arrive sur le bureau du colonel du Régiment le marquis de Lambert qui demande au jeune Lieutenant des explications sur sa conduite. L'entrevue est orageuse, le ton monte et les deux hommes en arrivent même aux insultes. Gabriel-Honoré prétendra, par la suite, que le conflit était apparu à cause de sa maîtresse pour laquelle son colonel aurait eu, lui aussi, quelques penchants ? La dispute a été si sévère que, dès le lendemain, le Sous-lieutenant Pierre-Buffière qui redoute une lourde punition, déserte et s'enfuit pour Paris où il se cache sous un faux nom..
L'escapade va être de courte durée. Seul dans la capitale qu'il connaît très mal, sans un sou en poche, Gabriel ne tarde pas à prendre contact avec des relations de la famille en espérant obtenir quelques secours. C'est sans compter avec la renommée de l'Ami des Hommes qui est aussitôt informé de la fausse identité prise par son fils et de l'endroit où il a trouvé refuge. Il obtient alors une lettre de cachet contre son fils et, quelques jours plus tard, le fugitif est appréhendé, ramené à Saintes sans ménagement et incarcéré pour désertion dans la forteresse de l'Ile de Ré.
Après avoir goûté des prisons militaires, Gabriel-Honoré de Mirabeau, alias Pierre-Buffière, découvre pour la première fois les prisons du roi !.. La peine qui lui est infligée ne sera d'ailleurs pas d'une sévérité excessive car, dès son arrivée au Fort de Ré, le prisonnier se lie d'amitié avec le Gouverneur sur qui il exerce son pouvoir de séduction. Il séduit également la fille du Commandant en second et ne tarde pas à être autorisé à faire de grandes balades à l'intérieur de l'île. Quelques semaines plus tard les promenades se transforment en escapades jusqu'à La Rochelle. Finalement la vie au fort n’est pas si dure qu’elle n’y paraissait à son arrivée.
Mais, avant que n'intervienne cette mauvaise querelle avec son colonel, Gabriel-Honoré s'était porté volontaire pour combattre en Corse. Sa demande a dû faire son chemin car bientôt on l’informe qu’il va être embarqué pour l'Ile de Beauté où il va servir sous les ordres de Lauzun (1), le futur Duc de Biron. Là, il se persuade qu'il est un fameux homme de guerre et, effectivement, ses officiers reconnaissent ses talents et son courage. Même si bien souvent il montre davantage de dispositions et de talents pour séduire les filles que pour combattre l'ennemi !.. Ses états de services lui permettent d’obtenir le grade de Capitaine dans son régiment le Royal-Comtois.
Avec toute la modestie qui le caractérise déjà, l'héritier des Mirabeau se considère comme un excellent officier, comme il le note dans son journal :
« Ce que je suis le plus né, c'est homme de guerre. J'ai reçu de la nature un coup d'oeil excellent et rapide. Il n'est pas un livre de guerre dans aucune langue que je n'aie lu (..) Je puis montrer des mémoires de moi sur toutes les parties du métier, depuis les grands objets de la guerre jusqu'aux détails de l'artillerie, du génie ou des vivres ... » (2)
1 - LAUZUN (Armand Louis de Contant, Duc de, puis Duc de Biron) : Né à Paris le 13 Avril 1747. Officier avant la révolution, il fréquente assidûment la Cour et est admis dans le cercle des familiers de Marie-Antoinette*. Il devient célèbre par ses conquêtes féminines, le bruit courut même qu'il était l'amant de la reine. Elu aux Etats Généraux par la noblesse, il réintègre l'armée à la fin de la Constituante. Il commandera l'armée du Rhin en 1792 puis sera mis à la tête de l'armée vendéenne en 1793. Arrêté en Juillet 1793, il comparait devant le Tribunal révolutionnaire et est condamné à mort. Il sera guillotiné le 31 Décembre 1793.
2 - Cité par Gilles HENRY "Mirabeau Père" op. cit. page 204
ILLUSTRATION : Armand Louis de Contant, duc de Lauzun puis duc de Biron
Toile se Georges Rouget
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (7)
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