LA FEDERATION : JUILLET 1790
Tandis que circulent dans Paris de nouveaux libelles dénonçant la trahison du sieur de Riqueti, on s’affaire au Champs de Mars pour la préparation de la Fête de la Fédération. D’énormes travaux ont été engagés pour cette cérémonie que l’on veut grandiose et à laquelle le peuple de Paris tout entier à été invité. La gauche veut faire de cette journée la célébration du premier anniversaire de la révolution. Elle veut surtout montrer au peuple de France que ce qui a été acquis depuis un an est maintenant irréversible.. La droite, elle, voudrait sceller l’union nationale, le grand rassemblement du peuple, de l’Assemblée, et de tous les départements autour du roi. Aucun des deux partis ne parviendra à ses fins.
Mirabeau sent, depuis des semaines, que cette journée exceptionnelle pourrait voir l’avènement d’un triomphateur. C’est pour cette raison qu’il met tout en œuvre pour se faire élire Président de l’Assemblée nationale. Mais, pour espérer accéder à la présidence de l’Assemblée, il est un homme dont l’appui est, en ce moment, absolument indispensable : c’est La Fayette*. Mirabeau envoie donc un messager au Commandant de la Garde nationale qui lui fait répondre un mot qui est resté célèbre :
« Monsieur de Mirabeau se conduit trop mal avec moi. J’ai vaincu le roi d’Angleterre dans sa puissance, le roi de France dans son autorité, le peuple dans sa fureur, je ne céderai pas à M. de Mirabeau. » (1)
Rapportant à La Marck les propos de La Fayette*, Mirabeau fait ce commentaire :
« Croyez moi, mon cher comte, il paiera ces mots là qui décèlent à quel point il a le secret de sa petitesse et le poids de sa vanité. » (2)
Mirabeau doit se faire une raison, il n’assistera pas à la Fédération en tant que Président de l’Assemblée. Les députés se sont choisi un presque-inconnu : Menou (3). Quant à la cérémonie, elle se déroule à peu près comme l’avait prévu, et plus ou moins redouté, Mirabeau. Le roi rate une excellente occasion d’affirmer son autorité et de capitaliser la sympathie que les parisiens étaient tout prêts à lui manifester. Il prononce, balbutie plutôt, un vague serment à la Constitution; Mirabeau lui avait proposé un discours mais Louis XVI* avait refusé tout net !..
Talleyrand, Evêque d’Autun, et pas très crédible dans ce rôle, célèbre la messe solennelle. Le Président de l’Assemblée, Menou et le Maire de Paris, Bailly, passent totalement inaperçu. Il pleut, mais la foule s’est pourtant déplacée en masse pour admirer l’homme du jour : La Fayette*. Le Général en Chef caracole sur son cheval blanc devant une foule qui n’a d’yeux que pour les uniformes rutilants, tandis que le roi a été installé sous un dais à l’extrémité du Champs de Mars.
Dans une note au roi, datée du 17 juillet, Mirabeau laisse transparaître une amertume qui conduit sa plume aux limites de l’insolence :
« Il est inutile de s’appesantir sur la fédération déjà passée, de montrer à quel point on a compromis le roi, sans profit pour son autorité, à quel point on a servi l’homme redoutable, et servi malgré lui-même, à quel point on a réparé ses propres fautes, à quel point on l’a rendu l’homme de la fédération, l’homme unique, l’homme des provinces, quelque incapacité qu’il ait montré dans cette solennelle occasion où, avec les plus grands moyens imaginables, quelque facilité qu’il y eût dans l’enthousiasme monarchique du peuple, à donner au roi sa véritable place dans l’opinion; quelque portées que soient évidemment les provinces à ne point donner de rival au monarque, etc.. etc.
« J’ai prédit, j’ai deviné; mes prophéties, mes conseils ont été inutiles. Cette terrible position où tous les sentiments, tous les projets, toutes les combinaisons cèdent aux craintes individuelles, où l’on n'ose pas consulter ou employer un homme de sens, ni même se désentourer de traîtres, ni parler un langage qui puisse avoir quelque dignité, quelque influence, quelque utilité, ni enfin changer de ministère, c’est à dire embrasser la seule voie de salut qui reste et au trône et à la paix publique, cette terrible position fait tout avorter. Il faut la changer, il faut aller au moins à Fontainebleau.. » (4)
Mirabeau s’impatiente. Il constate que ce qu’il avait annoncé s’est réalisé : l’ambitieux La Fayette* a gagné en popularité; Louis XVI*, au contraire a, une nouvelle fois, manqué son rendez-vous avec le peuple. Avec beaucoup d’amertume, Mirabeau continue à œuvrer pour le salut de la monarchie. Il conseille au roi, comme il l’a déjà fait plusieurs fois, de se rendre à Fontainebleau, non pas pour y trouver refuge, mais pour habituer les parisiens à voir le roi quitter la capitale lorsqu’il le désire. Car à rester inactif aux Tuileries, Louis XVI* passera bientôt pour le prisonnier du peuple de Paris !... Mais le roi persiste à ne pas comprendre comment il doit prendre la situation et quelle doit être son attitude. Il continue à écouter ses ministres qui le conseillent mal; il continue à écouter la reine qui lui indique la voie de l’intransigeance alors que c’est la seule voie qu’il ne saura jamais prendre; il continue à ne pas faire confiance à Mirabeau malgré l’accord qu’ils ont scellé...
Celui-ci, dans une nouvelle note du 29 Juillet, précise un peu plus sa pensée à propos de cette fédération où le roi, c’est maintenant certain, a manqué la plus belle occasion qui lui ait été offerte depuis bien longtemps :
« On m’a paru désirer quelques détails sur ce que j’aurais substitué à la conduite mécanique du roi le jour de la fédération. Je ne m’étendrai pas en développement, car cette époque est passée pour longtemps; mais toute ma théorie en ce genre se réduit à deux mots : il fallait distinguer le général de la fédération du monarque, et faire remplir au roi ces deux fonctions. Comme le premier, il serait arrivé à cheval, et aurait parlé lui-même à tous les départements, et se serait bien gardé de les faire si longuement et si lourdement défiler et emplacer, surtout l’Assemblée nationale devant être spectatrice et non partie dans cette fastidieuse procession. Au moment de l’arrivée de l’Assemblée nationale (que je n’aurais pas montré crottée au peuple, parce que personne n’a intérêt à l’avilir, et qu’aux yeux du peuple il faut toujours reluire), le général de la Fédération serait devenu roi, aurait monté sur son trône, et serait parti de là pour faire son serment à l’autel, où il aurait été porté, et d’où surtout il aurait certainement été rapporté sur les bras de ces hommes dont on veut le menacer, tandis qu’ils ne respirent que monarchisme. En tout, si le roi veut gouverner par lui-même, et penser que l’étiquette et les formules ministérielles n’ont été inventées que pour hébéter systématiquement les princes, et mettre eux et leurs sujets dans la dépendance absolue de leurs vizirs, le roi des Français sera bientôt le premier et le plus puissant monarque de la terre. » (5)
Mais Louis XVI* a déjà oublié son humiliation du 14 Juillet dernier. Il est obsédé par la décision qu’il doit prendre relativement au projet de Constitution civile du Clergé qui lui a été soumis le 12 Juillet. Dénoncer le Concordat de 1516, comme on le lui demande, c’est donner son aval au schisme et, pourquoi pas, à la guerre civile. C’est la décision la plus grave qu’il n’ait jamais eu à prendre. Et il n’a jamais été aussi peu apte à prendre la moindre décision !...
Mirabeau, pour sa part, commence à réaliser qu’il a consacré beaucoup de temps et d’énergie à conseiller la cour, sans beaucoup de succès, et qu’il a négligé sa présence à l’Assemblée. Pour contrer La Fayette*, à qui probablement la reine n’a pas parlé comme il le lui avait demandé, il ne lui reste qu’une seule solution : peser de tout son poids sur la représentation nationale. Il lui faut gagner auprès du peuple, par les moyens parlementaires, tout le prestige que son rival a récolté avec son uniforme !... Il va s’y employer...
(1) Cité par duc de CASTRIES « Mirabeau » op. cit. Page 454
(2) Idem
(3) MENOU (Jacques François de Boussay, Baron de) : Né à Boussay, Indre et Loire, le 3 Septembre 1750.
Colonel en 1788, il est élu aux Etats Généraux par la noblesse de Touraine et est chargé, au sein de l’Assemblée, des questions militaires.
Après le 10 Août 1792, il commande la division militaire de Paris avant d’être envoyé en Vendée en Mars 1793. Il y subit plusieurs défaites et n’échappe à la guillotine que grâce à Barère. Il sera, à nouveau en 1795, commandant de la division militaire de Paris et accompagnera Bonaparte en Egypte.
Comte d’Empire en 1808, il meurt en Italie en 1810.
(4) Note de Mirabeau à la cour datée du 17 Juillet 1790
Cité par Guy CHAUSSINAND-NOGARET « Mirabeau entre le Roi et la Révolution » op. cit. Pages 73
(5) Note de Mirabeau à la cour datée du 29 Juillet 1790
Idem pages 75
ILLUSTRATION : Fête de la Fédération au Champs de Mars 14 juillet 1790
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (52)
LA VOIE EST (PRESQUE) LIBRE : AOUT - SEPTEMBRE 1790