LE PACTE AVEC LA COURONNE : MARS - MAI 1790
On pourrait croire que Mirabeau a toutes les raisons d’être satisfait et pourtant, ce mois de Mars 1790 commence assez mal pour lui. De nouveaux ennuis de santé viennent le clouer au lit. Et puis, il n’est toujours pas dégagé de ses difficultés financières qu’il ne parvient à résoudre qu’à coup d’expédients et qui lui causent, à intervalles réguliers, de terribles angoisses.
Enfin, il a maintenant de gros soucis avec son "atelier", le comité de rédaction de son journal et de ses discours à l’Assemblée. : Dumont l’a quitté pour rejoindre Genève, Du Rouveray a abandonné Paris pour Londres. Certes Mirabeau les a remplacés mais le rendement de l’équipe s’en est profondément ressenti; le « Courrier de Provence » a même dû être arrêté jusqu’à ce que Clavière accepte d’en assurer personnellement la direction. Les discours de Mirabeau lui demandent davantage de temps et toute la documentation que lui rassemblaient ses fidèles amis lui manque terriblement.
Tout cela est, bien évidemment, de nature à influer sur le moral de Mirabeau en ce début de printemps 1790. Il se voit de moins en moins accéder à une place de ministre. La cour ne lui fait toujours pas de proposition; quant à l’Assemblée, s’il lui fait souvent voter ce qu’il veut, il voit mal comment il pourrait faire abroger le fameux décret du 7 Novembre dernier qui lui a coupé la route du ministère !...
Ce que ne sait pas encore Mirabeau, c’est que l’on parle beaucoup de lui, ces jours ci, dans les allées du pouvoir. Mercy-Argenteau (1), ambassadeur d’Autriche à Paris, a pris contact, à la demande de Marie-Antoinette*, avec le comte de La Marck, lequel revient à Paris le 16 Mars 1790. Les deux hommes se rencontrent dans le plus grand secret et Mercy-Argenteau, sans aucun détour, annonce à La Marck que le roi et la reine sont maintenant décidés à réclamer les services du comte de Mirabeau. L’Ambassadeur demande à La Marck la plus grande discrétion sur cette affaire et lui confirme qu’il est le seul intermédiaire.
La Marck, après être revenu de sa première surprise, assure l’ambassadeur de son concours mais demande expressément une rencontre entre Mercy-Argenteau et Mirabeau. La rencontre a bien lieu, au domicile de La Marck, Faubourg Saint-Honoré. Mirabeau et Mercy ont une conversation très franche au cours de laquelle Mirabeau expose ses vues sur la situation et annonce que la seule solution pour en sortir est que le roi et la reine quittent Paris, sans toutefois quitter le territoire français. Il propose d’établir un plan et renouvelle sa fidélité à la couronne. Mercy-Argenteau lui assure qu’il rendra compte fidèlement aux souverains des informations qui viennent de lui être communiquées.
Mirabeau n’a guère d’autres échos de cette entrevue pendant plusieurs semaines. Il ignore en effet que de nouveaux contacts ont lieu entre La Marck et Mercy-Argenteau puis entre La Marck et la reine elle-même. On connaît l’antipathie qu’inspire Mirabeau à Marie-Antoinette*, et si celle-ci est déterminée à passer outre, elle veut tout de même avoir l’assurance, avant de prendre le moindre engagement vis à vis de Mirabeau, que celui-ci n’a pas participé aux tragiques journées des 5 et 6 octobre 1789au cours desquelles, on s‘en souvient le couple royal a été ramené à Paris. La Marck lui assure que son ami est parfaitement innocent et qu’il n’a aucunement participé ni à la préparation ni à la réalisation des actes qui se sont déroulés à Versailles lors de ces tristes journées d’Octobre. La Marck rencontre également Louis XVI* et le roi confirme qu’il est parfaitement d’accord avec la reine pour utiliser les services de Mirabeau. Louis XVI* ajoutant que les compétences de Necker lui semblaient maintenant insuffisantes pour tirer le pays des difficultés dans lesquelles il s’est enfoncé.
Il est finalement convenu que le comte de La Marck servira d’intermédiaire entre Mirabeau et le roi et qu’il se chargera d’obtenir l’accord de Mirabeau.
Ce n’est que dans le courant du mois d’Avril que La Marck entretient Mirabeau des contacts qu’il a eus avec Mercy-Argenteau puis avec le roi et la reine. Il insiste sur la haute opinion exprimée par les souverains à propos des talents du député d’Aix. Il ajoute en conclusion que Marie-Antoinette* et Louis XVI* sont, d’un commun accord, absolument décidés à faire appel aux services de Mirabeau. En entendant ces propos, une intense satisfaction éclaire le visage de Mirabeau qui, d’un seul coup, oublie tous ses soucis pour ne plus voir que l’honneur qui lui est fait. Son bonheur est tellement grand que La Marck en ressent une intense émotion. Mirabeau est si heureux d’apprendre que ses talents sont enfin reconnus qu’il en oublie totalement les difficultés de la mission qui vient de lui être confiée.
Car, dans l’esprit du roi comme dans ceux de Mercy-Argenteau ou de La Marck, la perte du pouvoir absolu par le monarque est irrémédiable. Seule la reine, et peut-être Mirabeau, croient encore pouvoir sauver la monarchie absolue.
Pour sceller l’accord passé avec Louis XVI*, Mirabeau écrit le 10 Mai 1790, une lettre au roi dans laquelle il assure le souverain de toute sa loyauté et de son dévouement :
« Profondément touché des angoisses du roi qui a le moins mérité ses malheurs personnels; persuadé que s’il est, dans sa situation, un prince à la parole de qui l’on puisse se fier, ce prince est Louis XVI*, je suis cependant tellement armé par les hommes et par les événements contre l’attendrissement qui naît du spectacle des vicissitudes humaines, que je répugnerais invinciblement à jouer un rôle dans ce moment de partialité et de confusion, si je n’étais convaincu que le rétablissement de l’autorité légitime du roi est le premier besoin de la France et l’unique moyen de la sauver.
« Mais je vois si clairement que nous sommes dans l’anarchie, et que nous nous y enfonçons chaque jour davantage; je suis si indigné à l’idée que je n’aurais contribué qu’à une vaste démolition; et la crainte de voir un autre chef de l’Etat que le roi, m’est si insupportable, que je me sens impérieusement rappelé aux affaires dans un moment où, voué en quelque sorte au silence du mépris, je croyais n’aspirer qu’à la retraite.
« Dans cette occurrence, il est aisé de croire que les dispositions actuelles d’un roi bon et malheureux, à qui ses conseillers, et jusqu’à ses infortunes, ne cessent de rappeler qu’il a à se plaindre de moi; et qui cependant a la courageuse et noble idée de s’y confier, sont un trait auquel je n’essaierai pas de résister. Voici donc la profession de foi que le roi a désirée; il daignera lui-même en désigner le dépositaire (car les règles de la prudence lui interdisent de la garder); et cet écrit restera à jamais mon arrêt ou mon témoin.
« Je m’engage à servir de toute mon influence les véritables intérêts du roi; et pour que cette assertion ne paraisse pas trop vague, je déclare que je crois une contre-révolution aussi dangereuse et criminelle, que je trouve chimérique, en France, l’espoir ou le projet d’un gouvernement quelconque, sans un chef revêtu du pouvoir nécessaire pour appliquer toute la force publique à l’exécution de la loi.
« Dans ces principes, je donnerai mon opinion écrite sur les événements, sur les moyens de les diriger, de les prévenir s’ils sont à craindre, d’y remédier s’ils sont arrivés; je ferai mon affaire capitale de mettre à sa place dans la Constitution le pouvoir exécutif, dont la plénitude doit être sans restriction et sans partage dans la main du roi.
« Il me faut deux mois pour rassembler, ou même, si je puis parler ainsi, pour me faire mes moyens, préparer les esprits et conquérir à la raison les citoyens sages, nécessaires au service du roi. J’aurai dans chaque département une correspondance influente, et j’en donnerai les résultats. Ma marche sera insensible, mais chaque jour je ferai un pas. Un empirique promet une guérison soudaine et tue; un vrai médecin observe, agit surtout par le régime, dose, mesure et guérit quelquefois.
« Je suis aussi profondément éloigné d’une contre-révolution que des excès auxquels la révolution, remise aux mains de gens malhabiles et pervers, a conduit les peuples.
« Il ne faudra jamais juger ma conduite partiellement, ni sur un fait, ni sur un discours. Ce n’est pas que je refuse d’en expliquer aucun; mais on ne peut juger que sur l’ensemble et influer que par l’ensemble. Il est impossible de sauver l’Etat jour à jour.
« Je promets au roi loyauté, zèle, activité, énergie, et un courage dont peut-être on est loin d’avoir une idée. Je lui promets tout, enfin, hors le succès, qui ne dépend jamais d’un seul, et qu’une présomption très téméraire et très coupable pourrait garantir dans la terrible maladie qui mine l’Etat et menace son chef. Ce serait un homme bien étrange, que celui qui serait indifférent ou infidèle à la gloire de sauver l’un et l’autre, et je ne suis pas cet homme là. »
Le comte deMirabeau (2)
La lettre de Mirabeau est remise à La Marck qui la fait passer à l’ambassadeur Mercy-Argenteau. Celui-ci la donne à Marie-Antoinette* qui la fait lire au roi. Le courrier fait un grand effet sur les souverains. La Marck rapporte à Mirabeau que Louis XVI* et Marie-Antoinette* ont éprouvé une grande satisfaction et qu’ils entrent totalement dans les vues de Mirabeau.
La Marck a, de son propre chef, suggéré à la reine que l’on aide financièrement le comte de Mirabeau et Mercy l’a chargé de discuter, très rapidement, avec l’intéressé lui-même les conditions de sa participation. La Marck évoque cette question avec Mirabeau et lui demande de faire un décompte de son passif. Mais Mirabeau n’a même plus une idée très précise de ses arriérés tant ceux-ci sont considérables et, pour certains, très vieux. Il doit passer plusieurs jours avant de fournir à La Marck un arrêté approximatif de ses dettes : environ deux cent dix mille livres !... Il est ulcéré lorsqu’il doit annoncer ce chiffre à son ami :
« .. Ces dettes sont trop considérables pour qu’on puisse les payer, mais, mon ami, faites ce que vous pourrez pour que je puisse compter au moins sur cent louis par mois. » (3)
Mirabeau que l’on accuse de vénalité depuis bien longtemps; Mirabeau que l’on soupçonne de toucher des sommes colossales; Mirabeau que son train de vie désigne comme le plus corrompu de tous les députés de l’Assemblée; Mirabeau a des prétentions bien modestes. Et d’ailleurs, le roi couvrira la totalité de ses dettes et lui accordera, sans aucune discussion, les cent louis qu’il demande mensuellement pour prix de ses loyaux services.
(1) MERCY-ARGENTEAU : (Florimond Claude, comte de) : Né à Liège le 26 Avril 1727. Ambassadeur d'Autriche à Paris entre 1766 et 1790, il est l'un des conseillers les plus écoutés de la reine Marie-Antoinette*. Il a, à son actif, des négociations fructueuses : en 1788 entre la Cour et Necker; en 1790, entre Louis XVI* et Mirabeau*.
En 1790, il est nommé Gouverneur des Pays Bas autrichiens (Belgique) et devient, à ce titre, un artisan de la coalition contre la France révolutionnaire.
(2) Note de Mirabeau au roi du 10 Mai 1790
In Guy CHAUSSINAND-NOGARET « Mirabeau entre le Roi et la Révolution » op. cit. Pages 36 à 38
(3) Cité par duc de CASTRIES « Mirabeau » op. cit. Page 429
ILLUSTRATION : Marie Antoinette par Elisabeth Vigée Lebrun
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (48)
DEFENSE DES PREROGATIVES ROYALES : MAI 1790