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6 septembre 2017 3 06 /09 /septembre /2017 07:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (46)

 

 

 

 

LE TRIOMPHE DE L’ELOQUENCE : DECEMBRE 1789 - JANVIER 1790

 

 

 

 

    Si la carrière politique de Mirabeau s’est effectivement brisée à l’Assemblée en cette journée du 7 Novembre 1789, il n’en a pas réellement conscience. Depuis sa jeunesse il n’a cessé de buter, périodiquement, sur des obstacles qui souvent lui sont apparus comme insurmontables et qu’il a fini tout de même par surmonter. Pourquoi donc ne pas considérer celui-ci comme un parmi tant d’autres ? Le courage ne lui manque pas et, même s’il peste contre ces députés stupides qui n’ont rien compris, même s’il est un peu las d’avoir tant bataillé pour en arriver là, même s’il ressent un peu d’amertume en constatant qu’il a été lâché par la majorité de l’Assemblée qui lui accordait sa confiance depuis si longtemps, Mirabeau pense qu’il a encore de belles années devant lui. La Révolution ne fait que commencer. La législation de la France est encore à construire tout entière. Il va donc rebondir. Il va repartir. Il n’est pas question d’abandonner son activité à l’Assemblée. Et d’ailleurs, il reste persuadé que la France, la monarchie, la démocratie ont besoin de lui.

    Quant à la motion ridicule qui lui a barré l’accès au ministère, il a dans l’esprit de la faire abroger à la première occasion !...

 

    Il continue donc à occuper, chaque fois qu’il le peut, la tribune de l’Assemblée, ne ratant aucune occasion de faire entendre sa voix et surtout de faire triompher son éloquence. Il a redouté, pendant quelques jours, de perdre la maîtrise de l’Assemblée; il va encore accentuer sa pression dans le courant du mois de Décembre. L’ascendant que prend Mirabeau sur ses collègues s’accroît d’ailleurs à un point tel que la Cour et le roi ne manquent pas de s’en inquiéter. Son éloquence prend le pas sur tous ses adversaires politiques. C’est l’époque durant laquelle son "cabinet" fonctionne encore à plein rendement et lui fournit des pages et des pages de discours, fort bien argumentés et documentés, avec lesquels le député d’Aix fait trembler ses contradicteurs. Ainsi, le 22 Décembre, l’Assemblée adopte une nouvelle division territoriale. Au projet de découpage géométrique proposé par Thouret, Mirabeau substitue une division qui tient mieux compte des traditions historiques du royaume :

 

«  Je voudrais une division matérielle et de fait, propre aux localités aux circonstances, et non point une division mathématique, presque idéale, et dont l’exécution me parait impraticable.

«  Je voudrais une division dont l’objet ne fut pas seulement d’établir une représentation proportionnelle mais de rapprocher l’administration des hommes et des choses et d’y admettre un plus grand concours de citoyens.

«  Enfin, je demande une division qui ne paraisse pas en quelque sorte une trop grande nouveauté; qui, si j’ose le dire, permette de composer avec les préjugés et même avec les erreurs; qui soit également désirée par toutes les provinces et fondée sur des rapports déjà connus... » (1)

 

    Une des plus belles pages illustrant l’éloquence de Mirabeau durant cette période reste, sans doute, le discours prononcé le 9 Janvier 1790 contre les décisions prises par le Parlement de Bretagne. Les magistrats du Parlement de Rennes ont refusé d’enregistrer le décret de l’Assemblée nationale portant confirmation des vacances de tous les Parlements du royaume. D’Eprémesnil (2), à l’Assemblée, prend la défense des parlementaires et Mirabeau répond :

 

«  Messieurs, lorsque dans la séance d’hier, mes oreilles étaient frappées de ces mots que vous avez désappris aux Français : « ordres, privilégiés »; lorsqu’une corporation particulière de l’une des provinces de cet empire vous parlait de l’impossibilité de « consentir à l’exécution de vos décrets sanctionnés par le Roi »; lorsque des magistrats vous déclarent que « leur conscience et leur honneur » leur défendent d’obéir à vos lois, je me disais «  Sont-ce donc là des souverains détrônés qui, dans un élan de fierté imprudente, mais généreuse, parlent à d’heureux usurpateurs ? Non, ce sont des hommes dont les prétentions ont insulté longtemps à toute idée d’ordre social; c’est une section de ces corps qui, après s’être placés par eux-mêmes entre le monarque et les sujets, pour asservir le peuple en dominant le prince, ont joué, menacé, trahi tour à tour l’un et l’autre au gré de leurs vues ambitieuses, et retardé de plusieurs siècles le jour de la raison et de la liberté; c’est enfin une poignée de magistrats qui, sans caractère, sans titre, sans prétexte, vient dire aux représentants du souverain : « Nous avons désobéi, et nous avons dû désobéir; nous avons désobéi, et notre rébellion nous sera un titre de gloire; nous avons désobéi, et cette désobéissance honorera nos noms; la postérité nous en tiendra compte; notre résistance sera l’objet de son attendrissement et de son respect. »

«  Non, Messieurs, le souvenir d’une telle démence ne passera pas à la postérité. Eh ! Que sont tous ces efforts de pygmées qui se roidissent pour faire avorter la plus belle, la plus grande des révolutions; celle qui changera infailliblement la face du monde, le sort de l’espèce humaine ?....

«  Non, Messieurs, ceux qui se présentent à vous ne sont que les champions plus intéressés encore qu’audacieux d’un système qui valut à la France deux cents ans d’oppression publique et particulière, politique et fiscale, féodale et judiciaire; et leur espérance est de faire revivre ou regretter ce système. Espoir coupable, dont le ridicule est l’inévitable châtiment (...)

 

«  On nous dit (..) « le magistrat n’est pas obligé de faire exécuter la loi qu’il n’a pas adoptée, et il n’est pas obligé d’adopter, comme magistrat, une loi nouvelle qui ne lui convient pas. » Lorsqu’il a reçu ses pouvoirs, il a juré de rendre la justice selon des lois établies. Vous lui offrez maintenant de nouveaux pouvoirs; vous exigez qu’il applique de nouvelles lois : que répond-il ? « Je ne veux pas de ces pouvoirs; je ne m’engage point à faire exécuter ces lois ». (3)

«  Moi je réponds à mon tour : ces magistrats qui ne veulent plus exercer leurs fonctions, si elles sont relatives à de nouvelles lois, ont-ils, en désobéissant, abdiqué leur fonction ? Se sont-ils démis de leur charge ? S’ils ne l’ont pas fait, leur conduite est contradictoire avec leurs principes (..)

«  Je leur réponds : chaque magistrat, chaque individu eût-il le droit de se démettre, tous les Parlements du royaume n’ont-ils pas reconnu que l’interruption de la justice est un délit, que les démissions combinées sont une forfaiture ?(...)

«  Je leur réponds encore : quelles sont donc ces nouvelles lois que l’on forçait les magistrats bretons d’adopter ? Nos anciennes ordonnances sont-elles abrogées ? Ce droit romain, nos coutumes de Bretagne sont-elles anéanties ? N’est ce point d’après les lois qu’ils ont toujours observées, que ces magistrats rebelles devaient continuer à juger ?

«  Enfin je leur dis : que signifie le serment qu’a fait tout magistrat lorsqu’il a promis d’obéir aux lois ? Si nous faisons des lois, nos décrets sont compris dans leur serment; leur désobéissance est un crime. S’ils nient que nos décrets soient des lois, cette dénégation n’est qu’un déni de plus (..)

«  Pourquoi nous occuperions-nous d’un délit dont nous avons déjà fixé la nature, et désigné les juges, quand il en est un nouveau commis sous nos yeux ? Ecoutons messieurs des vacations : « Ils sont les défenseurs des droits de la Bretagne; aucun changement dans l’ordre public ne peut s’y faire sans que les états l’aient approuvé, sans que le parlement l’ait enregistré.. » Ils n’ont pas dû enregistrer ! Eh ! Qui leur parle d’enregistrer ? Qu’ils inscrivent, qu’ils transcrivent, qu’ils copient, qu’ils choisissent parmi ces mots ceux qui plaisent le plus à leurs habitudes, à leur orgueil féodal, à leur vanité nobiliaire; mais qu’ils obéissent à la nation quand elle leur intime des ordres sanctionnés par son roi. Etes-vous Bretons ? Les Français commandent. N’êtes-vous que des nobles de Bretagne ? Les Bretons ordonnent; oui, les Bretons, les hommes, les communes, ce que vous nommez tiers état; car, sur ce point, Messieurs, comme sur tous les autres, vos décrets sont annulés par les deux premiers ordres de Bretagne. On nous les rappelle comme existants; on veut nous faire entendre ce mot de tiers état, mot absurde dans tous les temps aux yeux de la raison, maintenant rejeté par la loi, et déjà même proscrit par l’usage : on vient, dans le triomphe de l’humanité sur ses antiques oppresseurs, dans la victoire de la raison publique sur les préjugés de l’ignorance et de la barbarie, on vient vous présenter en opposition au bonheur des peuples, et comme garant sacré de leur éternelle servitude, le contrat de mariage de Charles VIII et de Louis XII (..) (4)

«  Je sais que l’Assemblée n’est point un tribunal; je soutiens qu’elle ne doit user du pouvoir judiciaire que pour le déléguer; mais il ne s’agit pas non plus d’exercer le pouvoir judiciaire : informer, voilà ce qui nous serait interdit pour un délit dont nous sommes les témoins; venger la nation d’un outrage, appliquer à des séditieux la peine que leur impose leur propre témérité, qui pourrait nous contester ce droit, si ce n’était celui qui, prévoyant le germe d’une insurrection générale dans le délit qu’il voudrait épargner, ne craindrait pas d’en être le scandaleux apologiste, et de s’en montrer le complice ?..

«  Voici donc le décret que j’ai l’honneur de vous proposer, et qui sera tout à la fois une grande leçon d’obéissance, et un grand exemple de modération :

« Arrêté que des citoyens chargés de fonctions publiques, qui déclarent que leur conscience et leur honneur défendent d’obéir à la loi, se reconnaissent par là même incapables d’exercer aucunes fonctions publiques.

«  En conséquence, l’Assemblée nationale déclare les magistrats de la chambre des vacations de Rennes, par le fait de la déclaration qu’ils ont proférée en sa présence, inhabiles à exercer aucunes fonctions publiques jusqu’à ce qu’ils aient reconnu leur faute et juré obéissance à la Constitution (..)

«  Ordonne que lesdits magistrats soient incessamment traduits par-devant le tribunal, pour le procès leur être fait jusqu’à jugement définitif.

«  Arrêté de plus de commettre quatre membres de l’Assemblée, pour assister le procureur du roi du siège du Châtelet dans l’instruction et la poursuite de cette affaire. » (5)

 

    Durant les mois de Janvier et Février 1790, on comptera au moins une quinzaine d’interventions du député d’Aix. La fécondité du tribun ne semble guère faiblir malgré les problèmes de santé qui le préoccupent de plus en plus. Il subit fréquemment des crises violentes de coliques néphrétiques qui le tordent de douleur. Il souffre également, depuis quelques mois, d’ophtalmies qui, de temps à autre, lui font perdre quasiment la vue. Il faudrait, pour ménager sa santé, qu’il s’impose un minimum de repos, qu’il évite les excès de bonne chère mais il ne veut même pas entendre parler d’une quelconque restriction par rapport à la vie qu’il mène et qui lui convient parfaitement.

 

    Est-ce pour contrer l’emprise de Mirabeau sur l’Assemblée nationale que Louis XVI* se présente inopinément devant les députés pour renouveler son engagement envers l’œuvre de la révolution ? (6) On peut le penser. Le roi prend, ce jour là, des engagements solennels :

 

"  ... Je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général, d’accord avec le mien, a consacré les principes... Je préparerai de bonne heure le cœur de mon fils au nouvel ordre des choses que les circonstances ont amené... " (7)

 

    L’Assemblée, évidemment, s’enthousiasme pour la déclaration du roi et décrète un nouveau serment de fidélité "à la nation, à la loi, au Roi". Les députés royalistes relèvent la tête et reprennent espoir de rendre à Louis XVI* la totalité de son pouvoir exécutif. Cazalès (8), le principal orateur de la droite à l’Assemblée, propose même, à la fin du mois de Février, de faire cesser définitivement les troubles dans le royaume en votant les pouvoirs dictatoriaux à Louis XVI* pour une durée de trois mois. Alors, la voix de tonnerre de Mirabeau s’élève à nouveau :

 

«  On a demandé la dictature. La dictature ! Dans un pays de vingt-quatre millions d’âmes. La dictature à un seul ! Dans un pays qui travaille à sa Constitution, dans un pays dont les représentants sont assemblés : la dictature d’un seul ! La dictature passe les forces d’un seul, quel que soit son caractère, ses vertus, son talent, son génie... » (9)

 

    L’Assemblée suit Mirabeau et repousse la demande de Cazalès. Le député d’Aix, comme on peut le constater une fois de plus, a repris la main....

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1)   Cité par Albert SOBOUL  « La Révolution française »  op. cit. Page 199

 

(2)   EPREMESNIL  (Jean Jacques Du Val d') : Né à Pondichéry le 5 Décembre 1745. Il est l'un des chefs de l'opposition parlementaire au pouvoir royal et est exilé par Maupéou en 1771. Son opposition à la royauté l'amène à prendre position pour le Cardinal de Rohan dans l'affaire du "Collier de la Reine".

En 1787, il s'oppose à nouveau aux édits et est exilé une deuxième fois avec le Parlement à Troyes. Magistrat "patriote", il prône la monarchie constitutionnelle et demande la réunion des Etats Généraux. Mais le Tiers Etat refuse de lui faire une place dans ses rangs, c'est donc la noblesse qui lui permettra d'être élu député. Il se heurte alors aux révolutionnaires avec autant de violence qu'il avait attaqué le pouvoir royal. Il ne fera, à l'Assemblée, que des interventions désordonnées tendant souvent à prôner le retour à l'ancien régime.

Il sera arrêté par des Jacobins après le 10 Août 1792, sauvé miraculeusement des massacres de Septembre par Manuel. De nouveau arrêté il sera condamné à mort par le tribunal révolutionnaire et guillotiné à Paris le 23 Avril 1794.

 

(3)   Mirabeau répond ici directement aux arguments avancés par Duval d’Epresmesnil.

 

(4)   Anne de Bretagne, fille héritière de François II, dernier duc de Bretagne, s’est mariée en 1491 à Charles VIII, puis en 1499, après la mort de ce dernier, à Louis XII.

 

(5)   Archives Parlementaires  t. XI pages 125 à 127

in François FURET et Ran HALEVI  « Orateurs de la Révolution française »  op. cit. Vol I, pages 721 à 732

 

(6)   Voir Louis XVI*.

 

(7)   Cité par duc de CASTRIES  « Mirabeau »  op. cit. Page 412

 

(8)   CAZALES (Jacques Augustin Marie de) :  Né à Granade, Haute-Garonne, le 1er Février 1758. Capitaine aux Chasseurs de Flandres lorsqu’éclate la Révolution, il tente de s’engager dans le mouvement des Etats Généraux mais est repoussé par la noblesse de Toulouse et de Cahors. C’est à Rivière-Verdun qu’il parvient à se faire élire. Dès les premières séances de l’Assemblée, il se fait remarquer par son éloquence et ses idées monarchiques. A plusieurs reprises, il n’hésitera pas à se moquer publiquement de Robespierre*.

Il finit par émigrer à Coblence où il est d’ailleurs assez mal reçu. Il prend finalement sa retraite à Londres et ne reviendra en France que pour les dernières années de sa vie. Il meurt dans le Gers le 25 Octobre 1805.

 

(9)   Cité par duc de CASTRIES  « Mirabeau » op. cit. Pages 413-414 

 

 

 

 

ILLUSTRATION : Jean Jacques du Val d'Epresmesnil

 

 

 

 

 

 

 

A SUIVRE

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (47)

LE PACTE AVEC LA COURONNE : MARS - MAI 1790

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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