LES ETATS GENERAUX : AVRIL - MAI 1789
Le 6 Avril 1789, se déroulent en Provence les élections des députés aux Etats généraux. Le dernier épisode d’un scrutin à deux niveaux, relativement compliqué, qui donnera lieu, ici ou là, à quelques irrégularités mais sans gravité. Mirabeau arrive en tête des représentants du Tiers Etat à Aix avec un score enviable : 290 voix sur 344 votants. A Marseille, où se déroule, dans le même temps, un scrutin analogue, les résultats constituent pour Mirabeau un succès plus mitigé. A la suite d’un deuxième tour de scrutin, il n’est élu qu’en quatrième position. Puisque la loi électorale n’autorise pas les candidatures multiples, il lui faut donc choisir.
Sur le moment, il est quelque peu déçu de ne pas avoir été élu triomphalement à Marseille; inconsciemment, il escomptait un succès beaucoup plus franc. Mais l’important c’est tout de même d’y être !.. Il a tellement eu peur, durant ces derniers mois, de ne pouvoir participer à cette grande aventure des Etats généraux, qu’il ressent un immense soulagement ! La première déception passée, il choisit raisonnablement Aix et, avec beaucoup d’habileté, annonce aux marseillais sa décision :
« Servir l’intérêt de Marseille est mon premier devoir; la priver d’un négociant de plus aux Etats Généraux et prendre la place de ce négociant ne serait plus la servir... » (1)
Sous les acclamations du public, la municipalité marseillaise vote le droit de cité à Mirabeau qui répond avec un discours dans lequel transparaissent enfin la sérénité et le bonheur qui habitent maintenant le nouveau député d’Aix.
« Je ferai toujours consister mes devoirs à professer et à répandre partout, de tout mon pouvoir, les droits éternels de l’homme, la liberté, l’égalité et le moyen seul qui peut les rétablir, les affermir : l’union. Non cette liberté aveugle et farouche qui ne veut point de loi, mais cette liberté éclairée et conciliante qui veut tout soumettre à une loi commune parce qu’une loi commune est la bienfaitrice de tous. Non cette égalité chimérique et absurde qui mettrait un art funeste à confondre les rangs et les personnes, tandis que la nature établira toujours des différences inévitables entre les individus, mais cette égalité toujours ordonnée par la nature et la raison, quoique toujours violée par les hommes, non point cette union terrible de quelques uns contre la multitude et qui ne se forme et ne se resserre que pour la diviser et la dominer. Ni même cette union du grand nombre contre le petit qui tendrait à anéantir les partages tandis qu’il n’est question que de les régler et qui ferait naître la discorde sans jamais amener la paix. Mais cette union de tous pour la félicité commune qui assurerait la justice de chacun, et n’aurait à redouter le despotisme de personne.. » (2)
Rentré à Aix, Mirabeau n’a que le temps de faire ses bagages; il compte gagner le plus vite possible la capitale puis Versailles où il doit se mettre en quête d’un logement. Le 10 Avril, il attend la tombée de la nuit pour quitter la ville afin d’éviter la foule qui l’ovationne à chaque fois qu’il parait. Mais les aixois ne veulent pas laisser partir leur nouveau député sans le saluer une dernière fois; ils ont donc attendu patiemment, jusqu’à une heure avancée, et c’est sous les vivats que Mirabeau quitte sa ville d’adoption. Sa voiture n’avance qu’en se frayant difficilement un chemin au travers une foule serrée qui se presse pour admirer son héros...
Mirabeau s’installe à Versailles où il côtoie beaucoup de ses collègues nouvellement élus. Il ne connaît que très peu de ces nouveaux représentants du peuple, mais par contre, beaucoup de ceux-ci le connaissent, au moins de réputation. Le groupe du Tiers Etat est très certainement le plus homogène des trois groupes qui forment la nouvelle assemblée. Il est constitué essentiellement de bourgeois, beaucoup d’hommes de loi, quelques manufacturiers, mais aucun ouvrier ni aucun paysan. Quant aux nobles élus par le Tiers, comme Mirabeau, ils se comptent sur les doigts d’une seule main !...
La noblesse comprend trois cents membres parmi lesquels on retrouve, évidemment, la plupart des grands noms du royaume. Mais si ces hommes ont réussi à s’unir à cause de leur qualité et de leur titre, ils sont très divisés sur la manière d’appréhender l’avenir. Il y a dans leurs rangs des « libéraux » qui souhaitent donner à la France une constitution inspirée du modèle anglais, voire même du modèle américain comme le suggère La Fayette*. D’autres sont beaucoup plus conservateurs. Une très large majorité d’entre-eux est cependant d’accord sur au moins un point : la nécessité de défendre les privilèges attachés à leur ordre...
Le clergé comprend, lui aussi, trois cents membres dont une majorité de curés mais aussi une cinquantaine d’évêques et quelques cardinaux. Cette députation est également très divisée sur la façon d’envisager les réformes : les curés, bien souvent aussi pauvres que leurs paroissiens, ont pris parti pour le peuple et prêchent ouvertement l’abolition de certains privilèges. Dans le « haut » clergé deux clans se sont formés : l’un qui se rallie aux thèses de la noblesse conservatrice et l’autre, plus libéral, qui souhaite une réforme des institutions du royaume, même si cette réforme doit faire perdre à l’Eglise catholique quelques uns des avantages matériels dont elle jouit actuellement.
Le 2 Mai, Louis XVI* reçoit les nouveaux députés aux Etats Généraux : en grande pompe pour les élus de la noblesse, accueillis dans le cabinet du Roi, toutes portes ouvertes, comme le veut la tradition. Le clergé est reçu à huis clos, tandis que les députés du Tiers n’ont droit qu’au « Grand cabinet » et doivent défiler lentement devant le monarque qui les regarde passer d’un air hautain. Cette cérémonie, somme toute assez banale, va déjà décevoir bon nombre des nouveaux députés. Les élus du Tiers, en particulier, ont vite fait de se rendre à l’évidence : le roi a accepté le doublement du nombre de leurs représentants, sous la pression notamment de certains de ses ministres, mais il reste fermement décidé à maintenir la distinction entre les trois ordres. Il vient encore d’en apporter la preuve !..
Deux jours plus tard, a lieu la cérémonie officielle d’ouverture des Etats Généraux du royaume. Les députés des trois ordres défilent, en une longue procession, dans les rues de Versailles. En tête, la masse des représentants du Tiers à qui l’on a fait porter un étrange uniforme de robin, tout noir avec un jabot blanc, complété par un chapeau tricorne, noir lui aussi, et un peu ridicule. Suivent les représentants de la noblesse en habits multicolores, brodés d’or, épée au côté, coiffés de leurs chapeaux empanachés et enfin le clergé où, au milieu de la masse sombre des curés, apparaît la pourpre des cardinaux et le violet de la soutane des évêques. Dans la masse des députés du Tiers, la fille de Necker, Madame de Staël (3), remarque la présence de Mirabeau :
« Aucun nom, excepté le sien, n’était encore célèbre parmi les six cents députés du Tiers.. Il était difficile de ne pas le regarder longtemps quand on l’avait une fois aperçu; son immense chevelure le distinguait entre tous; on eut dit que sa force en dépendait comme celle de Samson; son visage empruntait de l’expression à sa laideur même et toute sa personne donnait l’idée d’une puissance irrégulière mais enfin d’une puissance telle qu’on se la représentait dans un tribun du peuple.. » (4)
Le lendemain 5 Mai, se tient la première séance solennelle des Etats dans la Salle de Menus Plaisirs. Très conscient du rôle politique important qu’il est amené à jouer, Mirabeau a préparé un discours sans savoir d’ailleurs s’il aurait vraiment l’opportunité de le prononcer.
La séance ne se déroulera pas tout à fait comme le député d’Aix et ses collègues du Tiers l’avaient prévu. La Cour a voulu donner à cette première séance un faste qui soit en rapport avec l’importance de l’événement. On a surtout voulu rappeler que les Etats Généraux n’étaient réunis que parce que le Roi en avait décidé ainsi... Comme lors de la présentation des députés au monarque, l’étiquette n’a rien laissé au hasard. Tout a été minutieusement préparé. Par exemple, l’ordre d’entrée des députés dans la salle : les députés du Tiers devront attendre dehors que leurs collègues de la noblesse et du clergé soient installés avant de pouvoir pénétrer. Mais aussi la disposition des élus sur les gradins, les emplacements du trône royal, des fauteuils des ministres, de la reine, des frères du roi, des pairs de France... Tout est fait pour rappeler aux nouveaux députés qu’ils ne sont assemblés là que grâce au bon plaisir de Sa Majesté !...
Dans le début de l’après-midi, après que les députés aient pris place sur leurs bancs, ils doivent attendre, un long moment, l’arrivée du roi. Enfin Louis XVI* parait; accompagné de la reine, de la famille royale et de ses ministres. Il arbore son habit d’apparat et prend place sur le trône dressé face aux représentants du Tiers Etat. (5) De sa voix mal assurée, et sur un ton monocorde, il prononce un discours dans lequel les auditeurs attentifs cherchent vainement les éléments nouveaux. Aucune ambition affichée, aucun projet, aucune ardeur, dans la harangue de Louis XVI*....
C’est le Garde des Sceaux Barentin (6) qui prend la parole à la suite du roi. Un discours long et maladroit qui a pour objet de préciser les intentions du souverain mais qui n’apporte rien par rapport à ce que vient d’annoncer le roi. On croit tout de même comprendre que le Garde des Sceaux n’est pas favorable du tout à des réformes de structure qui ne pourraient, selon lui, que remettre en cause l’équilibre de la monarchie. Mais, à vrai dire, connaissant le conservatisme du ministre, sachant qu’il s’est ouvertement prononcé contre la convocation des Etats généraux, on ne comptait guère sur lui pour promouvoir des innovations.
Vient ensuite Necker qui, dans un discours de près de trois heures, dans lequel il cite beaucoup de chiffres, tente de démontrer qu’il n’y a quasiment pas de problème financier dans le royaume de France. A l’entendre, on pourrait même se demander pourquoi diable le roi a-t-il cru bon de réunir les Etats Généraux du royaume ?...
Le bilan de cette journée est bien décevant pour la plupart des nouveaux élus. Aucune position claire n’a été évoquée pour ce qui concerne le Tiers. Rien n’a été dit à propos des réformes, des projets politiques, des perspectives... Rien de précis non plus sur le sujet qui a pourtant été à l’origine de la convocation de ces Etats : le rétablissement des finances du royaume.
Mirabeau doit évidemment renoncer à tenter de placer son discours. Il le publiera dans le numéro du lendemain de son « Journal des Etats Généraux ».
1 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau " op. cit. Page 302
2 - Idem page 303
3 - Madame de STAEL (Anne Louise Germaine NECKER, Baronne de STAEL-NOLSTEIN) : Fille du banquier Necker, elle épouse le Baron de Staël, ambassadeur de Suède en France. Voulant jouer un rôle politique elle salue la Révolution avec enthousiasme mais fuit Paris en Septembre 1792 affolée par les violences.
Elle revient dans la capitale après la chute de Robespierre, ouvre un salon, publie des ouvrages jusqu'à ce que Bonaparte l'exile en 1803. Elle mourra en 1817.
4 - Cité par Pierre MIQUEL "La Grande Révolution" op. cit. Page 89
5 - Voir Louis XVI*
6 - BARENTIN (Charles Louis François de Paule de) : Né à Paris le 1er Juillet 1738. Conseiller au Parlement de Paris, Barentin soutient les projets de Calonne à l'Assemblée des notables en 1787. Il est hostile à la convocation des Etats Généraux et, lorsque la décision de réunir ceux-ci est prise, il se prononce ouvertement contre le doublement de la représentation du Tiers Etat. Garde des Sceaux, il fait respecter la liberté de vote lors des élections aux Etats Généraux. Le 5 Mai 1789, jour de l'ouverture des Etats, Barentin exhorte les députés à refuser les innovations dangereuses. Il sera congédié par Louis XVI le 16 Juillet 1789.
Réfugié en Italie puis en Angleterre, il regagnera la France sous Louis XVIII et mourra à Paris le 30 Mai 1819.
ILLUSTRATION : Ouverture des Etats Généraux à Versailles
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (33)
LES DEBUTS DIFFICILES DE L'ASSEMBLEE : MAI - JUIN 1789