Le Front Nationale séduit les électeurs, personne ne peut en douter. Il intrigue également bon nombre d’observateurs par sa stratégie qui, sans aucun doute, fait débat à l’intérieur même du parti. Marine Le Pen en a encore fait la démonstration dimanche soir lors de son interview sur BFM/TV. Interrogée sur son programme économique, la sortie de l’Euro, la sortie éventuelle de l’Europe, elle évite toute réponse se contentant de répéter que ce programme est en cours d’élaboration et qu’il sera rendu public en février 2017 !..Ses priorités ne sont pas là, dit-elle ?...Dans un livre paru jeudi 17 octobre et dont le JDD publie quelques extraits*, Joël Gombin, politologue spécialiste du vote FN, fait l'état des lieux du parti de Marine Le Pen et de sa stratégie pour les élections présidentielles. Il tente surtout de démonter quelques idées reçues…
"Le FN est aux portes du pouvoir" est une idée reçue
"Une victoire de Marine Le Pen à la présidentielle semble aujourd'hui très peu probable. Bien sûr, nous ne sommes pas à l'abri de ruptures radicales dans l'ordre social et politique qui feraient mentir les scénarios d'aujourd'hui, mais le Front national se confronte actuellement à une équation très compliquée. Celle-ci est d'ailleurs source de débats internes importants qui pourraient s'accentuer après 2017. L'élection présidentielle, qui a un mode de scrutin majoritaire à deux tours, impose de disposer d'une coalition électorale pour l'emporter et de convaincre au-delà de son camp. Dans toute l'histoire de la Ve République, aucun parti n'a réussi à dépasser seul la barre des 50% des voix exprimées, pas même le parti gaulliste à sa grande époque. Or, le FN est justement dans ce refus des alliances, ce qui est une position paradoxale : c'est ce qui le rend attractif et lui permet de réaliser des scores très importants au premier tour, mais l'empêche de l'emporter au second tour faute de réserves de voix. On l'a encore vu en 2015 lors des élections régionales."
"L'ascension électorale du FN a fait naître un tripartisme dans la vie politique française" : seulement en apparence
"Ce qui me dérange dans le terme du tripartisme, ou tripartition, c'est qu'il suppose une symétrie complète entre trois pôles. Or, ce n'est pas vrai, à deux égards. D'abord, il y a un phénomène 'de front républicain' qui induit une asymétrie entre la gauche et la droite, d'un côté, et le FN de l'autre. Ensuite, parce qu'il existe un bloc 'des droites' avec une continuité sur certains positionnements idéologiques. Mais ce bloc est lui-même asymétrique sur le plan électoral puisque les reports de voix ne sont pas systématiques. Concrètement, on peut observer que les électeurs du FN sont prêts à voter pour la droite afin de faire battre la gauche. Mais à l'inverse, les électeurs de droite ont encore majoritairement comme priorité de faire battre le FN. Ainsi, dans un duel gauche-FN, plus les chances du FN de l'emporter sont grandes, plus les électeurs de droite se mobilisent en faveur de la gauche. C'est pourquoi je parle plutôt de système bipolaire avec un bloc des droites asymétrique. Une situation dans laquelle la droite sort d'ailleurs souvent gagnante : elle bénéficie à la fois du front républicain pour battre le FN et de la volonté des électeurs FN de battre la gauche."
Il n'y aurait qu'une seule ligne au Front national
"C'est évidemment la position affichée par la direction du parti. J'écris dans ce livre que le fonctionnement de ce parti est un centralisme non-démocratique. Centralisme, car il n'y a pas d'expression organisée de diverses tendances. Non-démocratique, puisque jusqu'à présent, le pouvoir au FN a toujours relevé de son chef : c'est lui qui arrête la ligne et non le parti. Pour autant, ce n'est pas parce que la diversité n'existe pas sur un plan juridique qu'elle est absente politiquement. Historiquement, il y a une hétérogénéité idéologique très forte au Front, puisque ce parti a été construit grâce à la coalition de groupuscules de différentes tendances politiques. Cette diversité idéologique est aujourd'hui plutôt réduite par rapport ce qu'elle a été dans les années 1980, mais ce parti n'est pas pour autant unifié idéologiquement. Il est néanmoins important de relever qu'il y a un accord extrêmement large au sein du parti sur sa dimension stratégique qui concerne la dédiabolisation. Celle-ci n'est plus contestée, ne serait-ce que parce que ceux qui l'ont fait sont partis ou ont été mis dehors. De ce point de vue, le différend qui a opposé Marine Le Pen à son père était selon moi plus stratégique que politique."
Autre idée reçue : "En se dédiabolisant, le FN a effectué un virage à gauche"
"Il est déjà compliqué de raisonner selon un axe gauche-droite, en particulier pour les positions du FN. Mais il faut souligner que la dédiabolisation n'est pas un mouvement de recentrage idéologique. C'est avant tout une stratégie qui a comme objectif d'arriver au pouvoir, et cela doit prévaloir sur toutes les autres considérations. Il faut bien distinguer la dimension idéologique et celle qui est stratégique. Je dis notamment qu'un Florian Philippot, partisan notamment d'un interventionnisme étatique, n'est pas davantage 'dédiabolisé' qu'une Marion Maréchal-Le Pen, plus libérale économiquement. Il me semble aussi que la dédiabolisation est compatible avec le maintien au sein du Front national d'une option idéologique radicale. Le rôle joué par les identitaires dans cette stratégie en est un cas emblématique : ils apportent un savoir-faire dans cette dédiabolisation, notamment sur le plan de la communication, sans qu'on ne puisse les juger 'mous' idéologiquement."
* Le Front national, Joël Gombin, Eyrolles, 160 pages, 16 euros. Sortie le 20 octobre.
Source : LeJDD.fr 17 octobre 2016