« LE ROI ET LA REINE PERIRONT... » SEPTEMBRE - OCTOBRE 1789
En quelques mois seulement, Mirabeau est parvenu à réaliser le plus cher de ses vœux : devenir l’un des hommes les plus populaires de tout le pays. Il a tout lieu de se réjouir des événements de ces dernières semaines car, en plus de la célébrité, il a également conquis la puissance : ses amis lui vouent une admiration sans borne, ses ennemis le craignent; son talent s’impose à tous.
Et pourtant, il éprouve toujours autant de difficultés à gérer sa propre vie privée, notamment sur le plan de ses finances. Certes son indemnité de député lui apporte un minimum de revenu mais c’est tout à fait insuffisant pour rémunérer laquais et domestiques dont Mirabeau ne peut admettre de se passer. Alors, dans l’attente du règlement définitif de la succession de l’Ami des Hommes, Gabriel-Honoré accumule les dettes, comme il l’a toujours fait. Un peu plus même que par le passé, car il doit maintenant assumer aussi la charge de son cabinet dont il ne peut plus évidemment se séparer. Une équipe qui comprend, on l’a vu, Dumont, Du Roveray et Clavière, et qui lui est devenue indispensable pour la rédaction de son journal, de ses discours et de ses projets de lois, mais une équipe qui lui coûte fort cher !...
Enfin, il y a aussi le petit Lucas de Montigny dont Mirabeau a pris en charge l’éducation, car on ne lui a pas laissé beaucoup de choix. Si l’on ajoute à tout cela les dépenses liées à ses maîtresses, on comprend que Mirabeau ait autant de soucis pour joindre les deux bouts et pour échapper aux créanciers. A un point tel que, dans le courant du mois de Septembre, il avait dû se résoudre à demander de l’aide à son ami La Marck qui lui avait accordé, généreusement, un prêt de cinquante Louis en lui précisant qu’il ne s’inquiète surtout pas des modalités de remboursement de cette dette de peu d’importance... Mirabeau avait, de ce jour, éprouvé une amitié très forte vis à vis de La Marck à qui il n’hésitera plus à faire ses confidences. Ce jour là, le comte de La Marck avait, quant à lui, compris une chose qu’il n’était pas près d’oublier : si Mirabeau manquait d’argent à ce point, c’est qu’il n’était à la solde de personne, contrairement à ce que prétendaient bon nombre de ses détracteurs.
Et c’est probablement ce jour là que le comte de La Marck prend deux décisions d’importance capitale. La première est de convaincre Mirabeau de servir la monarchie. La seconde, qui va s’avérer beaucoup plus difficile, est de convaincre le Roi et la Reine d’accepter les services du député d’Aix. Comment, se dit La Marck, la Cour pourrait-elle encore se passer de Mirabeau maintenant que l’homme est devenu aussi puissant et que la situation du pays est si dramatique ? Il adresse donc à la reine plusieurs messages en ce sens; d’abord pour l’assurer de son entier dévouement, ensuite pour lui expliquer qu’il ferait toujours de son mieux pour tempérer Mirabeau et l’empêcher de prendre fait et cause pour le parti le plus opposé à la monarchie. Des messages qui finiront par pousser Marie-Antoinette* à convoquer La Marck.
« Je n’ai pas douté de vos sentiments », dit la reine au comte, « et quand j’ai su que vous étiez lié avec Mirabeau, j’ai bien pensé que c’était dans de bonnes intentions; mais vous ne pourrez jamais rien sur lui et, quant à ce que vous jugez nécessaire de la part des ministres du Roi, je ne suis pas de votre avis (1). Nous ne serons jamais assez malheureux, je pense, pour être réduits à la terrible extrémité de recourir à Mirabeau. » (2)
La jeunesse tumultueuse de Mirabeau, ses discours à l’Assemblée qui tantôt semblent défendre la cause du Roi, tantôt l’accuser de tous les travers, tout cela n’est pas du goût de Marie-Antoinette*. Elle n’a aucune confiance dans cet homme dont le physique ne lui inspire qu’une profonde répulsion et qu’elle considère, de plus, comme un aventurier, ambitieux et vénal.. Elle n’est pas prête à changer d’avis et ce sera, sans doute, l’une des causes de la perte de la monarchie.
Alors même qu’à l’Assemblée s’ouvrait le débat sur la banqueroute, débat qui allait fournir une preuve éclatante du pouvoir de Mirabeau, le régiment de Flandres faisait une entrée remarquée dans Versailles. Un régiment tout dévoué au roi, dont la présence va redonner à Louis XVI* le courage nécessaire pour refuser sa sanction aux textes de l’Assemblée. Deux textes importants, l’un relatif à la Déclaration des Droits; l’autre aux décrets qui découlent du vote du 4 Août. En cette fin du mois de Septembre, Louis XVI* refuse obstinément de lâcher « son fidèle clergé et sa fidèle noblesse ». Comment ne réalise-t-il pas qu’une bonne part de « sa fidèle noblesse » a déjà passé les frontières pour se mettre hors de portée des révolutionnaires sans trop se préoccuper du sort de son roi ? Comment Louis XVI* peut-il être assez aveugle pour ne pas voir que Paris bouillonne, que les provinces, ici ou là, se soulèvent; que des châteaux ont été brûlés, des nobles massacrés ? Le roi ne voit-il pas que son obstination est en train de lui aliéner ceux-là mêmes qui avaient mis leur confiance dans la monarchie ?
Tous ces événements inquiètent tellement Mirabeau, qu’il s’en ouvre à son ami La Marck. Il lui confie qu’il est très attristé et qu’il ne comprend pas la position du roi, des ministres, de la reine.
« A quoi pensent ces gens là ? Ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ?....
« Tout est perdu; le Roi et la Reine périront, et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres.. »
Encore une de ces visions fulgurantes de Mirabeau à laquelle La Marck ne répond rien. Il ne croit pas au scénario envisagé par Mirabeau qu’il trouve trop pessimiste. Il note simplement, ce soir là, que son ami est sincèrement peiné de voir le Roi, si mal conseillé, prendre une voie aussi périlleuse...
Effectivement, comme s’il devait donner raison au député d’Aix, le Roi semble s’évertuer à prendre, à chaque fois, les mauvaises décisions. Pourquoi donc aller se montrer, le 1er Octobre, en compagnie de la reine et du Dauphin, au banquet donné par les Gardes du corps en l’honneur du Régiment de Flandres ? (3) Un banquet au cours duquel des officiers, un peu avinés, auraient foulé aux pieds la cocarde tricolore en acclamant Louis XVI* et son épouse ? Quelle erreur, de la part du Roi qui sait, ou qui devrait savoir, que tous ses faits et gestes sont épiés et, le plus souvent, mal interprétés !...
Le lendemain même de cette soirée, certains témoins rapportent que Mirabeau se serait vanté auprès de Mounier, La Fayette* et Duport d’avoir eu une conversation très instructive avec le duc d’Orléans. Cette révélation, faite bien imprudemment par Mirabeau, est probablement véridique. Il aurait en effet dîné en compagnie du duc chez son ami La Marck. Mirabeau est monarchiste mais, en effet, il n’a pris aucun engagement envers Louis XVI* qui continue à l’ignorer. S’il lui fallait faire en sorte qu’un Louis XVII parvienne au trône pour qu’il soit enfin nommé premier ministre il n’hésiterait pas longtemps ....
La nouvelle du banquet des Gardes du corps parvient à Paris le 2 ou 3 Octobre, non sans avoir été considérablement amplifiée en cours de route. On accuse ouvertement la reine d’avoir bu et dansé avec les officiers... On explique que l’attitude des monarques, qui ont participé à ces agapes, est une véritable provocation pour les parisiens qui ont à peine de pain pour se nourrir.. Déjà les faubourgs de la capitale grondent et s’agitent lorsque, le 5 Octobre, Pétion (4) dénonce à la tribune de l’Assemblée le fameux banquet comme « une atteinte à la dignité de la nation » !.. Des femmes se rassemblent sur la Place de Grève pour organiser une manifestation pendant qu’à Versailles l’Assemblée délibère. Pétion est violemment attaqué pour sa dénonciation de tout à l’heure et, alors que le ton monte, Mirabeau intervient à la tribune :
« Je commence par déclarer que je regarde comme souverainement impolitique la dénonciation qui vient d’être provoquée; cependant si l’on persiste à la demander, je suis prêt, moi, à fournir tous les détails et à les signer; mais auparavant, je demande que cette assemblée déclare que la personne du Roi est seule inviolable et que tous les autres individus de l’Etat, quels qu’ils soient, sont également sujets et responsables devant la loi.. » (5)
Mirabeau réaffirme bien son soutien à la monarchie mais son message semble avant tout dirigé contre la reine qui refuse toujours de lui accorder la moindre confiance. Marie-Antoinette* n’oubliera pas de si tôt cette impudence !....
(1) La Marck avait laissé entendre à la Reine que les ministres seraient, un jour ou l’autre, bien obligés de prendre des contacts avec Mirabeau et qu’il faudrait sans doute envisager de faire une place à Mirabeau dans le ministère.
(2) Cité par duc de CASTRIES « Mirabeau » op. cit. Pages 365-366
(3) Voir Louis XVI* et Marie-Antoinette*.
(4) PETION (Jérôme) : Né le 2 Janvier 1756 à Chartres. Avocat dans cette ville, il est élu aux Etats Généraux et siège à l'extrême gauche avec Robespierre*. Il devient l'ami de l'Incorruptible. Après la fuite du Roi à Varennes, il est chargé de ramener la famille royale à Paris. Il est élu Maire de la Capitale le 14 Novembre 1791.
Il va alors se laisser séduire par les idées de la Gironde et sera suspendu de ses fonctions le 12 Juillet 1792. Elu à la Convention par le département de l'Eure-et-Loir, il en est le premier Président et est nommé en même temps Président du Club des Jacobins.
Ayant défendu Buzot, il sera proscrit avec les Girondins le 2 Juin 1793 et devra se réfugier à Caen puis en Bretagne et enfin à Bordeaux. Il se suicidera avec Buzot pour ne pas être arrêté.
(5) Cité par duc de CASTRIES « Mirabeau » op. cit. Pages 369-370
ILLUSTRATION : Banquet des Gardes du Corps à Versailles
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (42)
L’ASSEMBLEE INSEPARABLE DU ROI : OCTOBRE 1789