
Le général Rondot va jouer les arbitres, lundi, à la barre du tribunal. Une audition à très haut risque.
L’orage devrait éclater ce lundi sur le procès Clearstream. "C’est maintenant ou jamais", confie un avocat qui pronostique un coup de théâtre à l’audience. L’homme qui sera à la barre lundi sait tout. Le général Philippe Rondot, à son corps défendant, va jouer les arbitres entre les thèses inconcilibales du trio Villepin-Gergorin-Lahoud. Bien qu’il ait répugné à le faire tout au long de l’instruction, l’ancien officier du renseignement risque fort de mettre en difficulté l’ex-Premier ministre, dont il fut proche: il lui suffit de confirmer la teneur de ses petites fiches, et de répéter ses dépositions précédentes.
Simple témoin, le général Rondot aura toutefois à cœur de mieux faire comprendre son rôle dans l’affaire Clearstream : il souhaite certainement laisser une autre image que celle d’un maître espion berné par les fables d’Imad Lahoud, et dont les carnets secrets, découverts par les juges, ont nourri un feuilleton à rebondissements. Son sens de l’honneur et de la loyauté, sa culture militaire et légitimiste, comme son goût de la discrétion, rendent son témoignage compliqué. Philippe Rondot passe donc une partie de ce week-end à travailler le dossier avec Eric Morain, son avocat. Lundi, face au président Pauthe, il devra au moins répondre à ces dix questions.
1) Pourquoi a-t-il gardé ses fiches, et comment les rédigeait-il?
C’est le premier enjeu de l’audition de demain, puisque le général Rondot va être interrogé sur ses carnets, qualifiés de "salmigondis" mercredi par Dominique de Villepin. "Ce ne sont que des mémos, pour garder un souvenir de discussions parfois décousues", expliquait le général dans son unique interview, accordée au JDD le 14 mai 2006. Après avoir quitté (mes) fonctions, "j’ai pris le soin de détruire le “journal de marche” de mes missions et de mes contacts, ce qui est la règle. Je n’en ai extrait que des verbatim, des notes de synthèse retraçant les étapes de mes réflexions, des mémos qui relatent mes contacts avec les autorités supérieures", expliquait-il dans nos colonnes. Ces mémos devaient être versés aux archives de l’Armée. Les juges les ont saisis avant et ils sont la colonne vertébrale de l’enquête.
2) A-t-il cru qu’Imad Lahoud avait vu Ben Laden?
Dès le début 2003, Imad Lahoud est une source, "traitée" d’abord par la DGSE, puis directement par le général. Après avoir arrêté le terroriste Carlos, un haut fait d’armes, Philippe Rondot se verrait bien être l’homme qui retrouve Oussama Ben Laden. Or Lahoud prétend justement avoir rencontré le grand chef d’Al-Qaida, trois fois, dont une fois en mars 2001 à Beyrouth, et affirme détenir des documents sur ses comptes. Le général partira avec Lahoud au Liban pour mettre la main sur des documents, fin avril 2004. La crédibilité de Lahoud est alors vacillante, ses recherches sur Clearstream étant manifestement bidon, et ses ennuis judiciaires répétés, puisqu’il sort de garde à vue. "Tout aurait dû s’arrêter le 25 mars, le jour de cette garde à vue", martèle Villepin. Le général a-t-il été crédule? Demain, il devra expliquer pourquoi il a continué de traiter une "source" aussi curieuse.
3) Etait-il sous les ordres de Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Défense?
C’est une des équivoques de l’affaire. Depuis novembre 2003, le général Rondot est chargé officiellement de vérifier si des responsables du ministère de la Défense ont des comptes cachés chez Clearstream. Il rend compte régulièrement à Philippe Marland, le directeur de cabinet de MAM, sa tutelle hiérarchique. Mais le 9 janvier 2004, il se retrouve chargé d’enquêter en parallèle sur d’autres personnalités qui apparaissent sur les listings Clearstream, par Dominique de Villepin, alors au Quai d’Orsay, qui fait état d’instructions du président Chirac. Une double casquette inconfortable pour le général.
4) A-t-il cru aux instructions présidentielles données par Dominique de Villepin?
Lors de la réunion du 9 janvier 2004, Dominique de Villepin, selon les carnets Rondot, évoque "les instructions du PR" (président de la République) auquel "DDV avait rendu compte". "Traitement direct avec le PR", "prudence", "cadre secret", ajoute-t-il. En clair, comme il l’écrit dans un courrier adressé à Dominique de Villepin trois jours plus tard, Rondot a compris "qu’il convient bien d’agir avec prudence, selon les propos du Président tels que tu les as rapportés". Autre détail, lors de la réunion du 9 janvier, il est évoqué la possible implication dans les listes de Patrick Ollier, le compagnon de Michèle Alliot-Marie. Etait-ce une façon "d’empêcher " le général de tenir sa tutelle informée? Le 28 janvier, Rondot rend finalement compte à Philippe Marland "des instructions présidentielles". MAM en prend ombrage.
5) Quand a-t-il eu connaissance des comptes attribués à Stéphane Bocsa et Paul de Nagy?
Le verbatim du général daté du 9 janvier 2004 va être au centre de son audition. "Un compte couplé (?) N. Sarkozy-Stéphane Boksa (op) à préciser", écrit Rondot lors de la réunion avec Jean-Louis Gergorin et Dominique de Villepin. Pour la première fois apparaît le patronyme de Stéphane Bocsa, que Rondot écrit avec un "k". La mention "(op)", dans ses notes signifie "orthographe phonétique", ce qui tend à montrer qu’un des deux autres participants en a bien parlé ce jour-là. Villepin dément qu’il en a été question. Gergorin soutient, comme Rondot, que les carnets prouvent le contraire. Autre témoignage : celui de l’assistante du général. Lorsqu’il est rentré, ce jour-là, Philippe Rondot lui a demandé de vérifier dans le Who’s Who le patronyme complet de Nicolas Sarkozy…
6) Est-il intervenu lors de la garde à vue de Lahoud, le 25 mars 2004?
Les carnets du général, comme ses dépositions, contredisent formellement la défense de Villepin. Rondot assure que ce 25 mars 2004, quelques minutes après un coup de fil de Jean-Louis Gergorin, il a reçu un appel de Dominique de Villepin lui demandant de faire libérer Imad Lahoud, alors en garde à vue dans une affaire d’escroquerie. Villepin, à la barre, reconnaît avoir appelé le général avant de se rendre à un sommet européen, mais pour lui demander son avis sur les attentats de Madrid, commis quatorze jours plus tôt. Le général, qui est un spécialiste du Moyen-Orient, pas des affaires espagnoles, n’a pas les mêmes souvenirs…
7) Quand a-t-il su que les listings étaient truqués?
Dans ses carnets, le général émet des premiers doutes sérieux le 6 avril 2004, lorsque les services secrets suisses le préviennent que le compte du magistrat Gilbert Flam n’existe pas. Le même jour, Imad Lahoud se livre vainement devant lui à une tentative de pénétration informatique de Clearstream à Meudon. Le 14 avril au matin, Rondot organise une réunion de "mise au point" avec Lahoud et Gergorin pendant laquelle il leur fait part de ses doutes sérieux. A la barre, Gergorin assure que le général "n’était pas si catégorique". Là encore, tout aurait pu s’arrêter, puisque les lettres anonymes n’étaient pas encore parties...
8) A-t-il vu Villepin entre janvier et juillet 2004?
C’est la grande zone d’ombre de l’enquête. Le 13 avril, Philippe Marland, le directeur de cabinet de MAM, averti des doutes du général, ordonne à celui-ci de stopper son enquête et de prévenir Villepin. "Je lui ai recommandé de faire savoir que toute cela était hautement douteux pour éviter que Dominique de Villepin ne persiste dans l’erreur", a déclaré Marland aux juges. Lors de sa première audition par Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, le général a admis avoir rencontré Villepin en avril, en pleine manipulation, pour lui dire "d’être extrêmement prudent". Puis il s’est rétracté dans un courrier du 26 juillet suivant. Dominique de Villepin affirme n’avoir eu connaissance du dossier Clearstream "qu’une heure le 9 janvier", et puis plus rien jusqu’en juillet et la parution du Point.
9) Pourquoi aurait-il détruit des notes devant Dominique de Villepin et effacé les fichiers dans son ordinateur dans lequel des traces ont finalement été retrouvées?
C’est une des principales pièces à charge du dossier. Les juges, en "réveillant" l’ordinateur de poche du général ont mis la main sur des notes secrètes que celui-ci aurait détruites, le 19 juillet, dans le bureau de Dominique de Villepin au ministère de l’Intérieur. "Si nous apparaissons, le PR et moi, nous sautons", aurait dit le ministre ce jour-là, donnant son feu vert à la destruction des "notes de réflexion et de la disquette". Dans ces notes, Rondot écrivait que Villepin était, selon Gergorin, au courant de la dénonciation au juge Van Ruymbeke et qu’il s’était montré "jubilatoire" et "soucieux de ne pas apparaître dans le scénario". Villepin, là encore, dément.
10) Au final, qui, selon lui, a trafiqué les listings?
Lahoud, sans aucun doute. C’est un "escroc au renseignement", lâche Rondot aux juges. "Je ne veux pas le charger par esprit de vengeance, mais je veux que ses nuisances soient prouvées. Je me pose la question de savoir s’il n’a pas également abusé Jean-Louis Gergorin." Philippe Rondot, lors de ses auditions, a toujours évité de mettre directement en cause Dominique de Villepin. "Je ne fais pas de commentaire sur les déclarations de M. de Villepin", a-t-il sobrement répété sur procès-verbal, à chaque fois que les contradictions étaient trop évidentes. Pour résumer l’affaire, le général s’est montré amer d’avoir été "impuissant". Témoin passif d’une gigantesque manipulation qu’il n’a pas su – ou pu – arrêter à temps.
Source : lejdd.fr 05-10-2009