
Le fantôme de Reed Smoot, le sénateur américain des années 1930 à l'origine du relèvement des droits de douanes sur des milliers de produits, rôde de nouveau. Le département américain du commerce a décidé d'appliquer des taxes pouvant atteindre jusqu'à 31 % du prix sur des tubes en acier importés de Chine et vient également d'augmenter les tarifs douaniers sur les importations de pneumatiques chinois, provoquant l'ire de Pékin.
Il semble que l'administration Obama ne soit pas prête à prendre des risques pour défendre le libre-échange. C'est bien dommage. Le commerce mondial souffre toujours d'une déprime de 20 % et chaque nouvelle barrière douanière ne fait que retarder la reprise. L'économie a besoin que le libre-échange soit défendu afin de neutraliser le protectionnisme rampant et ses conséquences néfastes.
Dans les années 1930, les barrières douanières dressées par la loi Smoot-Hawley avaient provoqué un recul de 65 % des échanges internationaux. Elles avaient effacé la plus grande partie des bénéfices tirés de la mondialisation, ce qui a aggravé la Grande Dépression et retardé la fin de la convalescence d'une dizaine d'années.
Aujourd'hui, s'il n'y a plus de sénateurs Smoot, on voit les syndicats américains s'opposer avec virulence aux importations en provenance de pays à bas salaires. Depuis que la crise financière a frappé en septembre 2008, le commerce mondial s'est réduit d'un tiers : on a préféré puiser dans les stocks, et le crédit nécessaire aux transactions commerciales s'est fait rare. Il est toujours inférieur de 20 % à son niveau d'il y a un an, alors que le produit intérieur brut (PIB) mondial n'a cédé que 5 %. La plupart des pays ont mis en place des mesures protectionnistes pendant la récession, tout en s'engageant à ne pas le faire dans les sommets internationaux.
Si l'économie et le commerce mondiaux se redressent rapidement, ce modeste dérapage sera corrigé et le préjudice aura été limité. En revanche, si la reprise est poussive, il est à craindre que les dispositifs protectionnistes ne se multiplient à grande vitesse. Ces dispositifs affaibliront l'économie mondiale en annulant les avantages récemment apportés par la mondialisation, et l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations commerciales multilatérales de Doha n'arrange rien.
En des temps moins reculés que les années 1930 du sénateur Smoot, les Etats-Unis se sont fait les champions du libre-échange, conduisant avec succès plusieurs rounds de négociations sur le commerce mondial avant 1994. De par sa stature internationale et sa force de conviction, Barack Obama est bien placé pour perpétuer cette tradition. Pourtant, sa crédibilité sera vite entamée s'il ne réprime pas avec fermeté la plus petite velléité de protectionnisme dans son propre pays.
Source : lemonde.fr 15-09-2009