
Tout au long du printemps, les parlementaires français ont suivi avec effarement les péripéties de leurs collègues britanniques, confrontés à l'opprobre à la suite des révélations de la presse sur leurs dépenses personnelles passées en notes de frais. Good Lord ! Ce n'est pas chez nous que cela risquerait de se produire.
Deux députés francais (socialistes) ont joué la transparence sur leur blog (voir notre article : « leur porte monnaie aux rayons x : René Dosière, Jean-Jacques Urvoas, députés » du 24-07-2009). Mais, leur sincérité n’étant nullement mise en cause, il y a tout de même qurelques subtilités dans la rémunération de nos élus, surtout pour ceux, et ils sont majoritaires, qui pratiquent le cumul des mandats !...
A quoi servent les 5 837 euros de frais de mandat ?
A l'inverse de leurs homologues d'outre-Manche, les députés et sénateurs français bénéficient d'un système de remboursement forfaitisé de leurs frais de mandat. L'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), pour un député, s'élève à 5 837 euros net par mois. Pour un sénateur, elle se monte à 6 711 euros net. Rien ni personne n'oblige les élus à justifier la façon dont ils dépensent ces sommes, non soumises à l'impôt sur le revenu.
A quoi sert l'IRFM ? A "couvrir les frais inhérents à l'exercice des fonctions parlementaires", précisent les règlements des deux assemblées. La définition est vaste. Elle se réduit sensiblement, dès lors que l'on en retire les autres prestations qui leur sont servies.
Les élus disposent d'un crédit mensuel affecté à la rémunération de leurs collaborateurs. Le salaire de base d'un assistant à plein-temps se monte à 2 382 euros brut par mois, hors charges patronales. Avec les 9 021 euros qu'il perçoit chaque mois à cet effet, un parlementaire peut recruter jusqu'à trois assistants à plein-temps, plus s'il les emploie à temps partiel. Il procède à son gré. Le recrutement par un élu de son époux (se) ou conjoint(e), ou d'un membre plus ou moins éloigné de sa famille n'est pas une exception : entre 10 % et 15 % des parlementaires emploient un membre de leur famille.
En théorie, s'il n'utilise pas la totalité de ce crédit, le député doit restituer la partie non dépensée, à moins qu'il ne la cède à son groupe politique. Dans la pratique, le contrôle sur la restitution ou la cession n'est guère effectif !.
Les « facilités » dont disposent les parlementaires
Les parlementaires bénéficient par ailleurs de "facilités de circulation" : accès gratuit au réseau SNCF en 1re classe, 40 allers-retours gratuits pour les déplacements aériens entre leur circonscription et Paris, plus 6 voyages gratuits hors circonscription (les représentants de l'outre-mer et des Français de l'étranger bénéficient de forfaits adaptés) et un forfait plafonné pour leurs déplacements en taxi.
Les députés disposent de la gratuité pour les appels téléphoniques passés de l'Assemblée, et les sénateurs d'un forfait global dont le montant est fonction de l'éloignement de leur département.
Lorsque le Parlement siège, les élus peuvent faire prendre en charge, dans la limite d'un plafond, leur hébergement à l'hôtel. Ces indemnités et avantages s'ajoutent à l'indemnité parlementaire mensuelle perçue par chaque élu : 7 043,69 euros brut au 1er juillet, soit 5 470,83 euros au titre de l'indemnité de base, 164,12 euros d'indemnité de résidence et 1 408,74 euros d'indemnité de fonction.
Exception française
En apparence, les élus sont traités sur un pied d'égalité. Dans les faits, non. Présidents, vice-présidents, questeurs, présidents de commission forment en quelque sorte l'aristocratie du Parlement. Leurs fonctions leur donnent droit à des indemnités complémentaires - plus de 10 000 euros pour le président de l'Assemblée nationale, près de 15 000 pour celui du Sénat, malgré la réduction de 30 % qu'il s'est appliquée. A ceci s'ajoutent voiture et logement de fonction pour les plus privilégiés.
L'exception française reste toutefois le cumul des mandats. A l'inverse de la quasi-totalité des autres nations démocratiques, notre système électoral admet - voire encourage - le cumul des mandats électifs. Les détenteurs d'un mandat unique, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, sont minoritaires : seuls 76 députés sur 577 et 100 sénateurs sur 343 sont détenteurs de ce seul mandat.
Ce cumul est source d'inégalités. Pas seulement en termes de cumul des rémunérations : le parlementaire ne peut percevoir au titre de ses mandats électifs locaux plus de la moitié du montant de l'indemnité parlementaire de base, soit 2 375,42 euros, déduction faite des cotisations sociales. La rémunération du parlementaire détenteur de mandats locaux est donc soumise à un écrêtement. Dans la réalité, la règle est loin d'être totalement respectée.
Récemment, un conseiller municipal de Rambouillet a déposé plainte contre Gérard Larcher, président du Sénat et maire de Rambouillet (Yvelines), l'accusant d'avoir dépassé le plafond d'indemnités perçues du fait de son cumul de mandats. La plainte a été classée sans suite après que M. Larcher se fut engagé à restituer le trop-perçu et eut demandé un contrôle approfondi des services de sa mairie. Par ailleurs, ce plafonnement ne prend pas en compte les mandats intercommunaux, non électifs : sur 343 sénateurs, 123 sont présidents ou vice-présidents d'une structure intercommunale.
Par ailleurs, et c’est peut-être là que la différence est la plus forte mais la moins visible : entre un parlementaire disposant de son seul mandat et son collègue régnant à la tête d'un exécutif local, les conditions de travail n'ont rien d'équivalent. Le second s'appuie sur une infrastructure et des personnels déjà en place et qu’en général il ne rémunère pas directement.
En comparaison avec leurs homologues des grandes démocraties, les parlementaires français ne bénéficient pas d'un régime exorbitant. Ils sont même plutôt moins bien lotis sur le plan des conditions de travail et des ressources disponibles pour effectuer leurs missions de contrôle. En revanche, la principale source de discrimination - et frein au renouvellement de la représentation élective - reste le cumul des mandats. S'il fallait identifier le "mal français", c'est probablement là qu'il faudrait le rechercher en premier lieu.
Source : lemonde.fr 23-07-2009