L’INDE, la plus grande démocratie du monde, comme on a coutume de le dire, est bien loin de la France. Lancé depuis près d’un mois dans des élections législatives, cet immense pays de 1,1 milliards d’habitants et de 714 millions d’électeurs, n’attire pas la foule des journalistes européens !.. Et pourtant, l’enjeu est d’importance. Les deux grands partis traditionnels s’affrontent : le BJP et le Congrès. Mais cette fois apparaît un Troisième Front, mené par Mayawa Kumari, l’égérie des indiens "intouchables", qui rend à peu près impossible tout pronostic sur le résultat du scrutin. Voir notre article du 18-04-2009 "INDE : 714 millions d'électeurs, 1 mois de scrutin"
La revue Aujourd’hui l’Inde a rencontré quelques uns de ces électeurs.
Représentant près de 13% de la population indienne, la communauté musulmane constitue un électorat important mais de moins en moins uniforme. Entretien avec Mushirul Hasan, vice-doyen de l’université Jamia Milia Islamia à New Delhi.
Peut-on parler d'"éléctorat musulman" en Inde ?
Oui et non. Je dirais que dans l'ensemble il y a une volonté de s'opposer au BJP (Bharatiya Janata Party-nationaliste hindou, ndlr), considéré comme l'ennemi numéro un par les musulmans indiens. C'est cela qui détermine avant tout leur vote, surtout dans le nord du pays.
De manière plus générale, les musulmans votent pour les partis laïques et pour la gauche mais surtout pour les partis régionnaux. Au Bengale occidental, ils votent pour le Parti Communiste Indien depuis 30 ans, par exemple. En Uttar Pradesh, le vote est partagé entre le Samajwadi Party et le Bahujan samaj Party et au Bihar, les musulmans votent généralement pour le RJD (parti local).
Le parti du Congrès peut-il encore compter sur le soutien de la communauté musulmane?
Les musulmans étaient très fidèles au Congrès au départ mais ils ont commencé à le déserter au début des années 1980. Beaucoup restent cependant attirés par l'image tolérante et laïque de la famille Nehru-Gandhi et je pense qu'il y a un retour vers le Congrès ces dernières années. Mais le parti n'est pas présent partout en Inde, donc le facteur régional prime avant tout.
Les émeutes de 2002 contre la communauté musulmane au Gujarat sont encore dans tous les esprits...
Les questions religieuses et communautaires ne sont pas déterminantes lors des élections en Inde. Je ne pense pas que l'électeur musulman d'Uttar Pradesh soit influencé par ce qu'il s'est passé il y a sept ans au Gujarat, lorsqu'il se rend aux urnes. Ce sont avant tout les questions économiques qui déterminent le vote. Cela ne veut pas dire que les musulmans ont oublié. Les juifs ont-ils oublié l'Holocauste ? Le BJP n'a pas changé, c'est un parti bélligérant evers la communauté musulmane et tant que Narendra Modi (Premier ministre du Gujarat depuis 2001, ndlr) sera aussi influent dans ce parti, le choses ne changeront pas.
Il était question il y a quelque temps de créer un parti islamique en Inde...
C'est une idée ridicule, impossible et indésirable. La population musulmane indienne est très diversifiée, c'est une communauté constituée de plusieurs autres communautés avec chacunes leurs intérêts. Cela n'a pas de sens pour les indiens musulmans de voter selon une ligne religieuse. Après les attentats de Bombay du 26 novembre, les gens ont eu peur car il y aurait pu y avoir des répercutions à l'encontre de la communauté musulmane. Mais je pense que les forces laïques sont encore prédominantes en Inde et que les musulmans ont tout intérêt à les encourager.
Source : Aujourd'hui l'Inde mai 2009