La contestation contre la réforme des retraites va jusqu'à bousculer l'agenda diplomatique d'Emmanuel Macron, preuve, s'il en est besoin, que la situation est grave. La visite du nouveau roi d'Angleterre, Charles III, a été reportée sine die a annoncé ce vendredi en fin de matinée l'Elysée. Cette décision a été prise après un échange téléphonique entre les deux chefs d'Etat.
Programmée de dimanche à mercredi, avec, comme point d'orgue, un dîner d'Etat au Château de Versailles, cette visite serait venue télescoper la nouvelle journée de contestation prévue mardi prochain par l’intersyndicale.
Un camouflet
L'Elysée fait clairement le lien entre l'annulation et l'annonce de nouvelles manifestations, craignant des perturbations contre le programme. Cette annulation est un camouflet pour Emmanuel Macron puisque le roi Charles III avait tenu à effectuer en France sa première visite officielle en tant que roi.
Quelque 4.000 membres des forces de l'ordre étaient prévus pour assurer la sécurité de cette visite, mais dans un contexte où policiers et gendarmes sont déjà sollicités de toute part, il ne fallait pas plus tendre la corde.
Critiques de la gauche comme de la droite
« La réunion des rois à Versailles dispersée par la censure populaire », a ironisé Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, sur twitter. Si la gauche se félicite de cette annulation, la droite dénonce un président qui ne tient plus rien. « Quelle image pour notre pays de n'être même pas en capacité d'assurer la sécurité d'un chef d'Etat », a dénoncé sur Twitter le patron des Républicains, Eric Ciotti.
Un report « au nom du bon sens et de l'amitié »
Depuis le Conseil européen de Bruxelles, Emmanuel Macron a voulu apporter une réponse « de bon sens » en réponse à un journaliste anglais qui lui demandait si ce n'était pas « une humiliation totale que la France ne puisse pas garantir la sécurité de Sa Majesté ».
« Vous voyez la situation liée aux protestations en raison de la réforme des retraites en France. A partir du moment où hier soir l'intersyndicale a annoncé une nouvelle journée de mobilisation mardi et que la visite du roi était prévue de lundi à mercredi, nous ne serions pas sérieux et nous manquerions d'un certain bon sens à proposer à Sa Majesté le roi et à la reine consort de venir faire une visite d'Etat au milieu des manifestations », lui a répondu Emmanuel Macron, évoquant un report au nom « du bon sens et de l'amitié ».
« Ce qui eut été détestable pour le peuple britannique comme pour nous-mêmes c'est au contraire que nous essayons de maintenir comme si de rien n'était avec des incidents à la clé. Donc il faut organiser ça quand le calme sera revenu », a ajouté le président français, qui évoque le début de l'été pour une prochaine visite.
L'Elysée promet en effet une reprogrammation « dans les meilleurs délais ». Ce ne sera pas pour tout de suite. Au lendemain de manifestations qui ont dégénéré dans de nombreuses villes, synonyme d'une radicalisation du mouvement de contestation contre la réforme des retraites, l'exécutif semble dans une impasse. Les manifestations ont réuni, jeudi, 1,09 million de personnes partout en France selon la police et 119.000 à Paris.
Le discours du Président Macron n’est pas passé
Le regain est suffisamment important pour montrer que les opposants ne désarment pas, mais ce sont surtout les violences qui marquent les esprits. La journée s'est achevée par 457 interpellations et 441 membres de forces de l'ordre blessés.
Mercredi dernier, l'interview d'Emmanuel Macron sur TF1 et France2 n'a pas convaincu l'opinion et a radicalisé les opposants à la réforme. « Emmanuel Macron a grillé une cartouche et son discours n'est pas passé », note-t-on dans les couloirs du pouvoir. Elle n'a pas non plus rassuré sa majorité alors que les violences contre eux se poursuivent. Jeudi, des manifestants ont déversé détritus et effluves de lisier sur la permanence du député Renaissance et ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Travert, dans la Manche.
« C'est une situation de crise politique, sociale, économique, démocratique extrêmement grave », a estimé sur BFMTV le leader communiste Fabien Roussel, à l'unisson de tous les autres responsables de la gauche. Vendredi matin sur RTL, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT a appelé à « mettre sur pause » la réforme des retraites et demande « un geste » au gouvernement.
Depuis Bruxelles, Emmanuel Macron a exclu tout report de la réforme, qui attend encore le feu vert du Conseil constitutionnel pour entrer en vigueur. « Nous continuons d'avancer, la France ne peut pas être à l'arrêt », a-t-il dit. Il s'est toutefois déclaré « à la disposition de l'intersyndicale » pour évoquer d'autres sujets comme les fins de carrière et la pénibilité.
Elisabeth Borne va recevoir prochainement ses ministres pour dessiner une nouvelle feuille de route. Mais l'annulation de la visite de Charles III montre une chose : l'exécutif est en plein dans la crise.
Source : LesEchos 24-03-2023